Commerce électronique

Question de confiance

d'Lëtzebuerger Land du 15.04.1999

Non, c'est raté. Le Luxembourg ne sera pas le premier pays européen à légiférer sur le commerce à travers des réseaux informatiques tels Internet. L'Allemagne et l'Italie, par exemple, reconnaissent déjà la signature électronique. Au Grand-Duché, le Conseil de gouvernement n'a approuvé le projet de loi sur le commerce électronique que le 10 mars 1999. Et même les plus optimistes ne s'attendent plus à ce que le texte puisse passer la Chambre des députés avant les élections. 

 

Pourtant, le projet de loi sur le commerce électronique compte parmi ces textes législatifs dont on aime se vanter au Grand-Duché: collaboration étroite avec les secteurs économiques concernés et réaction rapide du législateur afin d'avoir cette petite longueur d'avance sur les autres. Dans le cas d'espèce, le rôle de l'Association des banques et banquiers (ABBL) est même allé au delà du simple encouragement du gouvernement à s'engager sur la voie du commerce électronique, puisque le projet de loi repose largement sur un avant-projet rédigé sur demande du lobby des banquiers par André Prüm et son Laboratoire du droit électronique du Centre de recherche public Centre universitaire. 

 

À l'origine du projet se trouvent les discussions sur l'avenir de la place financière en vue de l'introduction de l'euro. Le commerce électronique était alors identifié ­ avec les fonds de pension internationaux ­ comme un secteur de forte croissance dans les années à venir. Au printemps 1997, l'ABBL a donc pris contact avec le ministre de l'Économie, Robert Goebbels, qui donne son accord de parrainer le projet. Les véritables travaux ne commenceront toutefois qu'en automne de la même année. Une première ébauche du texte sera présentée dès mars 1998. Il faudra toutefois encore dix mois avant que les différents conseillers et ministères se soient mis d'accord sur le texte déposé maintenant à la Chambre.

 

Pour les promoteurs du projet, il n'est toutefois pas encore trop tard. «La plupart des pays qui ont déjà légiféré dans ce domaine l'ont fait d'une manière plutôt partielle, avec par exemple la seule signature électronique», estime Thierry Hoeltgen de Deloitte [&] Touche, qui a collaboré avec l'ABBL. « Ce que nous essayons de faire au Luxembourg est avant tout de créer un cadre unique, complet et cohérent pour le commerce électronique.» Si la loi sera votée, comme prévu, en automne 1999, elle comptera d'ailleurs toujours parmi les plus rapides avec une élaboration en quelque deux ans et demi.

 

Le projet de loi ne traite donc pas de la seule signature électronique. Elle n'en reste pas moins une composante clef. Alors que ce type de signature existe déjà ­ au Luxembourg on peut obtenir différents types de certificats auprès de la Chambre de Commerce ­ elle n'a toutefois aucune valeur juridique. Ce que lui donnera la nouvelle loi, une fois en vigueur. Or, plutôt que de créer un droit spécifique qui s'appliquerait aux transactions sur Internet, les auteurs du projet de loi ont préféré adapter la législation existante à la nouvelle technologie. Ceci en modifiant l'ensemble des articles concernés du Code civil. Un contrat signé électroniquement sera donc aussi valable qu'un accord certifié par une signature manuscrite.

 

 

Le cryptage est libre

 

 

La signature électronique est une technique par laquelle des messages sur Internet sont authentifiés. Une autorité de certification délivre ainsi, après les vérifications qui s'imposent, au demandeur une clef électronique cryptée qui permet à celui-ci d'un côté à envoyer des messages chiffrés que seul leur destinataire pourra lire mais aussi, de l'autre côté, de s'identifier sans qu'il y ait de doutes qu'il est bien la personne qu'il prétend être. La signature électronique permet ainsi au visiteur du site de se faire confirmer par un tiers ­ l'autorité de certification ­ que derrière le site d'une banque se trouve une véritable banque digne de foi et non pas un escroc doué en informatique.

 

La nouvelle loi établira donc les règles à respecter par les autorités de certification et les garanties qu'elles devront apporter. Tout en refusant de limiter l'activité d'autorité de certification à l'une ou l'autre profession, le texte prévoit aussi la mise en place, près du ministère de l'Économie, d'une Autorité nationale d'accréditation et de surveillance. Cette accréditation restera volontaire. Seuls les certificats de fournisseurs agréés auront toutefois force légale. 

 

Le projet de loi prévoit aussi l'adaptation du droit pénal à cette nouvelle technologie. Un faux en écritures ou encore un vol sont ainsi punis de la même manière s'il ont été commis à travers le Web qu'une escroquerie plus traditionnelle. Le projet de loi essaie aussi de rester dans la droite ligne des initiatives déjà adoptées ou en cours de négociations au niveau de l'Union européenne et de l'OCDE. Il en est ainsi pour la signature électronique mais aussi pour le volet de la protection des consommateurs. La nouvelle loi introduira ainsi certaines obligations pour les commerçants virtuels de même que certains droits pour les consommateurs. 

 

Le projet de loi assaisonne le commerce électronique à la sauce luxembourgeoise. Et puisqu'il s'agit avant tout du projet fétiche des banquiers il ne faut pas s'étonner à ce que la confidentialité y joue un rôle important. La première mesure se retrouve dès l'article deux du projet de loi: «L'usage des techniques de cryptographie est libre.» Un principe, pour simple qu'il apparaît, qui n'existe ni en France ni aux États-Unis, par exemple. Sur le plan fiscal, le projet de loi ne prévoit pas de régime préférentiel pour le commerce électronique. Seul le taux de TVA, le plus bas de l'Union européenne, comptera donc comme argument de vente.

 

Le texte prévoit aussi l'utilisation de pseudonymes afin de permettre des transactions commerciales anonymes sur Internet. Pour le législateur luxembourgeois, un paiement sur Internet est ainsi assimilé à un paiement en liquide. Afin de garantir la confidentialité de l'identité des clients du commerce électronique, les autorités de certification sont soumises au même secret professionnel que les banquiers luxembourgeois. Les dispositions réglant l'accès des autorités à ces informations s'inspirent elles aussi du secret bancaire.

 

La question reste toutefois ouverte pourquoi justement le Luxembourg se trouve une vocation dans le commerce électronique. Si les quelques sites commerciaux de sociétés luxembourgeoises ont des ambitions internationales plutôt limitées, l'absence d'un cadre juridique est sans doute la raison la moins importante. Les banques seraient donc les plus intéressées. Sous l'adresse «www.e-banking.com» on tombe par exemple sur le site de… Fortis Bank Luxembourg. Or, ni Fortis ni la Banque internationale (Bil), les deux pionniers de la banque en ligne - Robeco Bank les a entre-temps rejoints alors qu'aussi bien la Banque générale (BGL) que la Banque et Caisse d'épargne de l'État sont encore en phase de préparation - ont attendu une loi pour offrir leurs services à travers Internet. 

 

 

Ouverture de compte à distance

 

 

Le véritable potentiel du secteur ne pourra toutefois se développer avant que n'est en place un cadre juridique adapté. «L'intérêt évident d'une loi sur le commerce électronique, explique ainsi Roland Schoenauer de Fortis Bank, est avant tout de rassurer le client. C'est moins important pour la clientèle locale, qui nous connaît et avec laquelle un lien de confiance existe au préalable. Au niveau international toutefois, avec des clients étrangers, ni le nom de la banque ni les briques et le mortier d'une agence permettent de construire cette confiance. Pour le client, l'existence d'un cadre juridique est donc primordial.» Un constat qui vaut d'ailleurs aussi pour le commerçant, puisqu'une fois la loi votée, il saura en s'installant au Luxembourg quelles lois s'appliquent et ce qu'elles contiennent. 

 

La vision de l'ABBL se concentre pour l'instant toutefois surtout sur le secteur bancaire. Il s'agit de promouvoir le Luxembourg comme «centre d'excellence» pour le commerce électronique. Disposant d'un cadre légal, le but est d'attirer au Luxembourg les activités de «banque en ligne» des groupes bancaires internationaux qui sont déjà présent à travers une filiale au Luxembourg et qui cherchent maintenant une localisation pour se lancer dans ce nouveau type de services. Grâce à la nouvelle loi, il sera ainsi possible d'ouvrir des comptes à distance. La condition de «connaissance du client» que le législateur impose au banquier sera alors remplie à travers une signature électronique certifiée.

 

Ce sera moins important pour l'activité de private banking, puisque les clients qui désirent placer une centaine de millions de francs au Luxembourg font normalement de toute façon au moins une fois le voyage du Grand-Duché. Le cadre juridique pourrait toutefois se révéler primordial pour l'industrie des fonds d'investissement. La signature électronique permettra ainsi la vente des parts de Sicav à travers l'Internet à partir du Luxembourg. Un secteur qu'on estime, comme celui des assurances-vie, à très grand potentiel.

 

Lucien Thiel estime aussi que les banques auront un rôle à jouer en tant que «certificateur naturel de leurs clients», c'est-à-dire en leur certifiant leurs signatures électroniques. Une évolution intéressante surtout en vue d'élargir cette signature au delà de la simple identité aussi, par exemple, à la solvabilité d'une personne qui s'apprête à signer un contrat de vente électronique. Fortis Bank, qui avait prévu de se lancer dans cette voie, ne l'estime cependant plus prioritaire. Pour l'instant on préfère investir d'abord dans les applications bancaires et de laisser la certification à des organismes tels la Chambre de commerce.

 

Les première banques se seraient déjà décidées pour le Luxembourg, selon Lucien Thiel. La préparation du Grand-Duché à ce secteur reste pour l'instant largement cantonné au niveau juridique. Les banquiers de la place se plaignent cependant déjà aujourd'hui de la difficulté à trouver les informaticiens nécessaires au développement de leurs activités, sans qu'il soit question de se lancer sur Internet. Il restera donc à voir si, même si le cadre juridique et les stratégies des banques s'accordent, les ressources humaines permettront de faire du Grand-Duché l'eldorado du commerce électronique.

 

Jean-Lou Siweck
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