Mudam, The Venice Biennale Projects

The mouse that roared

d'Lëtzebuerger Land vom 22.02.2013

Contre toute attente, à partir de 2003, tout devint plus difficile. Su-Mei Tse venait de remporter le Lion d’or avec son pavillon Air conditioned, sous le commissariat de Marie-Claude Beaud, alors directrice du Mudam. « Je n’ai pensé qu’à l’exposition, dit l’artiste dans un entretien vidéo, pas une seule minute je ne m’étais dit que c’était aussi une compétition. » Je me souviens de la frénésie de l’équipe luxembourgeoise à Venise lors de la remise des prix, de la joie sans bornes le soir, sur le vaporetto loué pour le vernissage, lors duquel on n’attendait que des stars, de ce mélange de fierté et d’étonnement, l’air de ne pas y croire encore : We did it ! « Nous », ce minuscule pays avec une scène artistique tout juste embryonnaire, qui n’occupait un pavillon fixe dans ce grand cirque de l’art contemporain vénitien que depuis 1999, dont le Musée d’art moderne, organisateur de ce pavillon, n’avait même pas encore de bâtiment et où on ne pouvait pas vraiment parler de marché de l’art, nous avions gagné contre les grandes nations qui dominent depuis toujours Venise, sa compétition, et, par conséquent, le marché de l’art international, États-Unis, Grande-Bretagne, France, Allemagne...

Lors de la participation suivante, 2005, Antoine Prum ne pouvait quasiment faire autrement que de déconstruire ce mythe, non, plusieurs mythes en même temps, ce qu’il fit magistralement avec son film Mondo Veneziano – High Noon in the Sinking City, une histoire de vengeance sanglante jouant dans le milieu de l’art, filmée dans les décors de cinéma construits par Delux (pour le tournage de The Secret Passage d’Ademir Kenovic, qui allait devenir un flop monumental, mais c’est encore une autre histoire) sur la friche de Terres-Rouges à Esch-sur-Alzette. Dans une seule œuvre, il démonte aussi bien l’illusion vénitienne, et son pendant luxembourgeois – qui s’avère être cette façade Potemkin qu’indiquait le pavillon Potemkin Lock de Bert Theis aux Giardini dix ans plus tôt –, que le discours et le mode de fonctionnement du monde de l’art.

Atelier Luxembourg – The Venice Biennale Projects, actuellement au Mudam, montre un quart de siècle de participations luxembourgeoises à la biennale d’art contemporain de Venise, soit douze projets d’artistes. Enfin, onze, parce que Jill Mercedes, 2007, a refusé de reconstruire son Endless Lust dont elle estime qu’il était fait pour ce lieu spécifique qu’est la Ca’ del Duca dans cette ambiance unique qu’est Venise en été, et qu’elle ne pouvait pas le déplacer ailleurs – et a fortiori dans une institution comme le Mudam. Au plus tard depuis 2003, Enrico Lunghi, le directeur du Mudam, est devenu en quelque sorte l’historien officiel des participations luxembourgeoises à Venise, enthousiaste inconditionnel de ce qu’il appelle une « success story ». Le Luxembourg à Venise est devenu son dada, déjà avant cette exposition, il enchaînait articles et publications rétrospectifs et conférences sur le sujet. Car le Luxembourg à Venise, c’est cette réussite inattendue en finalement assez peu de temps que les pavillons aux foires commerciales, comme à la World Expo à Shanghai en 2010, ou les sportifs de haut niveau ne réussissent pas vraiment. Comment a-t-on pu passer de ce « joyeux dilettantisme » que décrivent les Patricia Lippert, Moritz Ney, Marie-Paule Feiereisen, Jean-Marie Biwer et Bertrand Ney, qui y sont allés dans les années 1980-1990, à un professionnalisme tel qu’il ait pu être pris au sérieux par ses pairs ? L’exposition du Mudam continue ce storytelling un brin naïf et, il faut l’avouer, aussi assez chauvin de la victoire de David contre Goliath, et la presse reprenait en chœur la litanie lancée par le Mudam et la ministre de la Culture : c’est incroyable, qu’est-ce qu’on est super, voilà enfin que l’on a la reconnaissance qu’on mérite. C’est un peu le « Wir sind Papst ! » du milieu de l’art autochtone.

La rétrospective, pourtant, démontre aussi à quel point les questions de place, de lieu, d’espace dominèrent toutes les réflexions des artistes qui étaient sélectionnés pour aller à Venise entre, en gros, les luttes des premières années pour trouver ne seraient-ce que quelques mètres carrés dans la pavillon italien, l’action subversive de Bert Theis de s’implanter entre les pavillons fixes des voisins, le grand vide de Luc Wolff, les illusions optiques de Simone Decker dans le ville et les tentatives d’occuper les lieux par Doris Drescher et Jill Mercedes. Il semblerait que seul le geste libérateur d’Antoine Prum, jeu d’illusions proche de l’allégorie de la caverne de Platon, et son multiple meurtre symbolique a pu ouvrir la voie à d’autres propositions, comme la Collision Zone de Gast Bouschet et Nadine Hilbert (2009), ambiance paranoïaque sur les nouvelles peurs de l’Europe vis-à-vis de l’Afrique, travail politique et esthétique à la fois, qui fait un pied de nez aux considérations inhérentes au cirque de l’art.

Au-delà d’être un succès populaire, avec quelque 26 000 visiteurs jusqu’à présent (ce qui en fait la quatrième exposition la plus visités du Mudam), Atelier Luxembourg est une bonne exposition, un rappel pour tous les fanatiques inconditionnels de la grande manifestation vénitienne (la prochaine aura lieu cet été, le Luxembourg y sera représenté par Catherine Lorent), et une manière de découvrir les différents univers pour ceux qui n’ont pas pu faire le voyage. Elle s’ouvre majestueusement sur le Potemkin Lock de Bert Theis, cette structure légère et provisoire qui occupait un vide, structure blanche, Venice Rap avec des paroles de Duchamp en bande sonore et transats sur un tapis d’écorces. L’œuvre devient ici plus noble qu’elle ne l’était là-bas. Puis on déambule vers la droite, pour commencer sur une frise faisant l’historique, avec tout de suite ce Lion d’or exposé comme un monument national. Les tableaux et sculptures des précurseurs sont exposés « beaucoup mieux ici qu’elles ne le furent à Venise, » estime Marie-Paule Feiereisen dans un entretien vidéo, alors que dans l’autre aile, Su-Mei Tse et Doris Drescher partagent la grande salle avec leurs œuvres fragiles et intimistes, dessins, vidéos, nouvelles installations...

Simone Decker et son espace infini plié ainsi que ses photos de chewing-gum surdimensionnés occupent le petit pavillon, alors que Luc Wolff a créé une nouvelle œuvre pour l’espace sous le grand escalier en colimaçon menant vers la cave : son Magazzino luxembourgeois refait le même vide qu’à l’époque (1997) à Venise, mais avec d’autres moyens, ce qu’il a pu trouver dans les stocks ici. La présentation de Mondo Veneziano d’Antoine Prum pâtit des conditions dans cet auditorium catastrophique du Mudam, pas vraiment pensé pour des projections et dont à la fois l’écran (trop petit) et le son (trop faible) s’avèrent à chaque fois desservir les œuvres. Restent les deux installations des deux duos Martine Feipel & Jean Bechameil, dans une aile de la cave, et de Gast Bouschet & Nadine Hilbert, dans l’autre, qui sont toutes les deux très réussies dans leur adaptations luxembourgeoises : deux univers très forts, le premier, Le Cercle fermé, avec son dédale de couloirs, de meubles et de colonnes qui s’affaissent, et le deuxième avec une ambiance inquiétante et un son vrombissant dans lequel on ne peut que s’engouffrer, plus condensée ici, sur un seul espace, qu’elle ne le fut à Venise.

L’exposition Atelier Luxembourg – The Venice Biennale Projects au Mudam, 3, Park Dräi Eechelen à Luxembourg-Kirchberg, se termine ce dimanche, 24 février ; www.mudam.lu. Publication d’un catalogue documentaire ; 156 pages, 20 euros ; ISBN 978-2-919923-10-6.
josée hansen
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