Affaire Systran

La Commission s’entête

d'Lëtzebuerger Land vom 10.03.2011

La Commission européenne a confirmé le 3 mars avoir introduit un pourvoi dans le litige qui l’oppose au leader mondial de solutions de traduction automatique, Systran. Pour mémoire, le 16 décembre dernier, le Tribunal de l’UE a rendu un arrêt par lequel il condamnait la Commission à verser à Systran une indemnité forfaitaire de 12 001 000 euros pour violation du droit de propriété intellectuelle de celui-ci. L’exécutif européen avait en effet lancé une procédure d’appel d’offre portant sur des travaux de modification des éléments relatifs à la version Systran Unix du logiciel Systran, sans même l’accord de cette société. (d’Land du 24/12/2010). Bruxelles s’est acquitté en partie de ce dédommagement en versant à l’entreprise la somme de 5 685 240 euros, le 9 février 2011, le solde qui nécessitait une procédure comptable complémentaire devrait parvenir prochainement à la société.

Contactée par le Land, la Commission a précisé le fondement de son recours axé principalement sur la contestation de la recevabilité du recours initial de Systran. Elle estime en effet que l’affaire aurait dû être entendue par une juridiction nationale et non par le Tribunal, dont elle ne reconnait pas la compétence en la matière. La matière en question, c’est la propriété intellectuelle et la base de la condamnation du Tribunal, c’est la responsabilité non contractuelle de la Commission, qui, selon les juges, est engagée en l’espèce, l’exécutif européen ayant violé les principes généraux communs aux droits des États membres applicables en matière de droit d’auteur et de savoir-faire. Le pourvoi limité aux questions de droit conteste en outre l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice : les trois conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’UE.

« La Commission a opposé à la société Systran, qui s’inquiétait de la violation de ses droits de propriété intellectuelle, une fin de non recevoir, allant même jusqu’à contester à l’entreprise la propriété de son propre logiciel », souligne pour sa part le président de Systran, Dimitris Saba-takakis. « Elle n’avait de toute évidence jamais envisagé sa propre condamnation et comptait sur le Tribunal pour appliquer l’adage de Jean de La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Bien mal lui en a pris, car la voilà condamnée et privée de ce service de traduction automatique, pourtant essentiel aux agents des institutions européennes qui ont traduit près de deux millions de pages en 2008 avec Systran » poursuit-il.

Comment seront traduites ces deux millions de pages et quel en sera le coût ? Le message d’attente sur la page Internet du service interrompu ne le dit pas. Il indique que « le service a été interrompu suite à la décision du Tribunal », mais aucune solution de remplacement n’est encore envisagée.

Quelle société privée tolérerait la coupure brutale d’un service stratégique et son absence de remplacement deux mois après ? Comment expliquer ce manque d’anticipation, ce sabordage d’un outil vital pour nombre de projets multilingues alors que justement ces derniers prennent un nouvel élan avec notamment la relance du marché intérieur ? Mystère. À tout le moins, cela semble une erreur politique.

Sur le pourvoi, Dimitris Sabatakakis préfère ne pas commenter la décision de la Commission. Pour l’instant, le droit est pour lui. Ce qui l’intéresse davantage, c’est l’avenir du secteur et de sa société : « La traduction automatique, dit-il, devient incontournable au sein de l’UE qui est, par essence, multilingue. Aussi, l’interopérabilité linguistique est-elle un pré-requis au succès des projets de relance européenne (Acte pour le marché unique, directive sur les services, Brevet européen,…). Les acteurs doivent disposer d’outils rapides, fiables et sécurisés pour communiquer dans les différentes langues de l’Union. Nos partenaires sont conscients de ces enjeux et de nouveaux projets voient le jour. Nous restons confiants pour le développement de nos relations avec les institutions européennes ».

Sophie Mosca
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