Accord de réadmission avec la Yougoslavie

Décourager

d'Lëtzebuerger Land du 11.07.2002

La peur au ventre. Quand Anna M.1 parle du «18 juillet», elle se met à pleurer. «J'ai deux enfants, qu'est-ce que vous voulez que je fasse? Je ne peux pas fuir, je ne peux pas me cacher dans la forêt…» Originaires du Sandjak, au Nord du Monténégro, Anna et son mari sont arrivés au Luxembourg fin 1998 - trop tard pour être éligibles selon les critères à une régularisation des sans-papiers, qui posaient comme date butoir le 1er juillet 1998. Son mari a travaillé comme aide agricole dans une ferme durant neuf mois, lorsqu'une autorisation de travail temporaire fut accordée par le ministre du Travail et de l'Emploi. 

Déboutés du statut de réfugié selon la Convention de Genève, non régularisables, Anna et son mari ont peu à peu perdu toutes les aides de l'État, sécurité sociale, soutien financier etc. - et donc tout moyen de subsistance. Il ne leur reste que les deux chambres qu'ils habitent au foyer d'accueil de Marienthal, où ils n'ont le droit de ne rien faire. «Nous ne voulions pas enfreindre la loi, alors mon mari préfère ne pas travailler au noir,» continue-t-elle.

Depuis quelques jours, la date du 18 juillet circule dans tous les centres d'accueil, les familles non-régularisées s'attendent à un débarquement de la police pour des rapatriements massifs vers leurs pays d'origine, essentiellement la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro). C'est la date que le ministre du Travail et de l'Emploi, François Biltgen (PCS), donna à la tribune de la Chambre des députés mercredi 3 juillet, lors de son bilan intermédiaire sur la procédure de régularisation, comme étant celle de la signature d'un accord de réadmission entre les pays du Bénélux et la RFY. 

Le 26 juin déjà, le ministre de la Justice, Luc Frieden, revenant du sommet européen de Séville, avait déclaré au Luxemburger Wort: «Le rapatriement des demandeurs d'asile déboutés est extrêmement difficile, d'autant plus qu'on dépend de la collaboration des pays tiers dont proviennent ces gens. (...) Les États Bénélux ont négocié un tel accord [de réadmission] avec les administrations yougoslaves. Cet accord devrait encore être signé et appliqué avant les vacances d'été. Cela permettra entre autres le rapatriement des familles qui ont des enfants pendant les vacances.»2

En fait, le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Alphonse Berns, signera cet accord vendredi prochain, 19 juillet, dans l'après-midi à Belgrade. Il s'agit d'un accord de réadmission selon un modèle Bénélux, tels que le Grand-Duché en a signés avec la Roumanie (1995), la Bulgarie (1998), l'Estonie, la Lituanie, la Lettonie et la Croatie (tous 1999), «relatifs à la réadmission des personnes en situation irrégulière» sur le territoire d'un des pays signataires. Ces accords visent à clarifier et accélérer les procédures, notamment pour ce qui est des documents de voyage, la charge des frais de ces réadmissions, la prise en charge à l'arrivée, le point d'arrivée etc. En outre, les États s'engagent à garantir le retour des citoyens dont la nationalité ne serait pas prouvée, par exemple si un demandeur d'asile était envoyé du Luxembourg vers la RFY, mais que, une fois sur place, il s'avérait qu'il s'agissait en fait d'un ressortissant d'un État tiers: son retour au Luxembourg serait alors assuré.

«Cet accord facilitera les procédures, mais il n'est pas absolument nécessaire pour que des rapatriements puissent se faire,» précise Alphonse Berns. Actuellement, les questions administratives pour ces rapatriements doivent être réglées au cas par cas, ce qui alourdit considérablement les procédures. Si les aspirations du Monténégro à l'indépendance aboutissaient, «nous n'avons aucune raison de croire que les autorités régionales, Podgorica et Belgrade, avec lesquelles nous entretenons d'excellentes relations, aient une autre politique en la matière,» estime le secrétaire général. 

Selon François Biltgen, si 1520 personnes ont profité d'une régularisation dans le cadre de la procédure entamée l'année dernière par le gouvernement, et que 380 dossiers sont encore en cours de traitement, quelque 250 personnes n'ont pas rempli les critères. Il s'agirait essentiellement de personnes originaires de Yougoslavie, arrivées après l'été 1998. Le gouvernement ne veut surtout pas laisser de doute quant à sa détermination d'appliquer tous les volets de la procédure, i.e. aussi le côté répressif, les retours. Les familles concernées ne comprennent pas forcément pourquoi leurs voisins de palier du foyer peuvent rester et pourquoi eux devraient partir.

Chaque famille a des histoires à raconter de connaissances ou d'amis déboutés de la procédure d'asile et de celle de régularisation, chez lesquels la police a débarqué à cinq heures du matin et a forcé les gens à partir sans même pouvoir faire leurs valises. Or,  depuis les vacances de Carnaval à peu près, Caritas n'a plus eu connaissance de rapatriements. Les récentes déclarations des ministres, le début des vacances surtout - et donc l'interruption de la scolarité des enfants - font craindre une nouvelle vague, plus massive des rapatriements ou expulsions cet été.

Il semble clair que le discours politique vise à impressionner ceux des immigrés qui ne trouvaient aucune mesure d'encouragement au retour assez attrayante pour se porter volontaires. La majorité d'entre eux sont partis de chez eux pour des raisons économiques, notamment du Sandjak, région au Monténégro dont proviennent la majorité des réfugiés qui sont au Grand-Duché. Si la région est effectivement plus calme actuellement, la situation économique ne s'y est guère améliorée. Les projets d'aide au développement du gouvernement luxembourgeois ne sont que ponctuels et ne créent que de rares emplois dont les habitants ont au moins autant besoin que de potentiels retournants. Ceux qui ont quitté tout ce qu'ils avaient pour venir en Europe le faisaient souvent non seulement pour trouver un travail, mais avant tout pour garantir une bonne éducation et donc un meilleur avenir à leurs enfants. Forcément, ils essaient tout leur possible pour pouvoir rester. 

«Régularisation par le travail!» fut le mot d'ordre du gouvernement. Nous devons réussir la même intégration des 5000 Yougoslaves qui vivent actuellement au Luxembourg que celle des immigrés italiens qui sont arrivés dans les années 1950 et 1960, déclarait le chef de l'État, le Grand-Duc Henri, dans une interview au magazine italien L'Espresso (du 4 juillet 2002). Et refuse ainsi de voir ce «choc culturel» ou religieux que les milieux de droite appellent de leurs craintes, comme il s'agit pour la première fois d'immigrés non-catholiques - musulmans dans leur majorité.

Vu les murs de plus en plus hauts de la «forteresse Europe», qui s'acharne à boucher toutes les voies d'immigration légales, les plus déterminés des migrants sont forcés d'en trouver d'autres. La procédure d'asile est une des seules à rester accessible.

Dans une résolution adoptée unanimement par son assemblée générale le 4 juin dernier, l'Association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti) déplore «le caractère restrictif de cette opération [de régularisation] et ce au moment même où le gouvernement négocie des accords de main d'oeuvre avec la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie». Dans un communiqué du 2 juillet, le Comité de liaison et d'action des étrangers (Clae), demande même au gouvernement et au Parlement de «rouvrir une nouvelle phase de régularisation qui puisse englober tous les déboutés de la première régularisation». Qui, souvent, sont ici depuis plus de trois ans, eux aussi; les enfants sont scolarisés, les gens commencent à être un peu chez eux - les renvoyer pour aller chercher de la main d'oeuvre dans des pays plus catholiques semble effectivement pour le moins loufoque. 

Mais le gouvernement n'a jamais laissé le moindre doute quant à sa détermination de prouver son autorité: la mesure de régularisation doit rester unique, one shot. 

Restent les craintes des déboutés, qui vivent dans l'incertitude la plus totale. Les foyers ressemblent de plus en plus à des maisons fantômes, au fur et à mesure que les familles régularisées partent s'installer à leur compte. Ne restent que ceux qui veulent rester malgré tout, mais ne savent que faire, qui s'attendent tous les soirs à être réveillés le matin par l'arrivée de la police. Certaines associations humanitaires aimeraient que les choses soient tirées au clair, que les personnes soient informées de ce qui leur arrivera et disposent de quelques mois pour partir dignement, alors que d'autres, plus radicales, s'opposent à tout départ.

Mais en droit, l'accord de réadmission qui sera signé vendredi prochain, ne pourra en aucun cas donner lieu à des rapatriements massifs avant l'été: avant d'être applicable, il devra être ratifié par les parlements des pays signataires, donc par la Chambre des députés au Luxembourg. Il le serait par une loi, qui devra être rédigée, puis passer toutes les instances, des Chambres professionelles et du Conseil d'État jusqu'à la commission parlementaire. Le projet de loi n°4691 portant parallèlement approbation des six autres accords similaires fut déposé le 21 juillet 2000 à la Chambre, puis avisé le 7 novembre de la même année par le Conseil d'État. Depuis, plus de nouvelles.

 

1 Nom changé par la rédaction

2 Traduction: jh

 

 

 

 

josée hansen
© 2023 d’Lëtzebuerger Land