Neo Facto

Les crypto-monnaies, nouveau fer de lance en or

d'Lëtzebuerger Land vom 12.06.2015

S’il est un nom que l’on peut certainement associer à la notion de start-up numérique à Luxembourg, c’est probablement celui de Laurent Kratz. Non pas que les autres ne déméritent, mais le Messin d’origine âgé de 50 ans fut l’instigateur de certaines des réussites les plus connues du public… En effet, après avoir effectué un cursus technique à Grenoble, complété par un diplôme en business de l’école de commerce de Solvay à Bruxelles et roulé sa bosse comme directeur d’une société de services à Luxembourg, il monte en 2000 sa propre société de services en ingénierie informatique dont il est toujours un des associés aujourd’hui, Neo Facto. Aujourd’hui, il veut en faire un centre de compétences reconnu en technologies de pointe, notamment en développement mobile. L’application de webbanking S-net de la Spuerkeess, c’est eux. Mais dans une volonté de diversifier rapidement son activité et de s’orienter vers plus de création de valeur, il lance parallèlement deux start-ups : lesfrontaliers.lu en 2000, site de référence de la population active qui traverse chaque jour la frontière luxembourgeoise, puis un peu plus tard, en 2005, Jamendo, plateforme de musique libre bénéficiant d’un succès à la fois populaire et financier puisque, selon son créateur, celle-ci est rentable depuis plusieurs années et a même connu une croissance de quinze pour cent sur la période 2013-2014.

Laurent Kratz se retire du projet Jamendo en 2009 et, rejoint par le co-fondateur du site Pierre Gérard trois ans plus tard, part en recherche d’un nouveau challenge : « Nous n’avions plus de première danseuse et nous avons donc fait le tour sans a priori de toutes les innovations et disruptions qui pouvaient avoir du sens pour des entrepreneurs tels que nous ». Le choix des associés se tourne vite vers les crypto-monnaies, dont ils identifient le potentiel énorme grâce à leur expérience en start-up. Et même si le secteur en est alors à ses balbutiements, le fondateur de Neo Facto croie dur comme fer au potentiel de disruption des monnaies virtuelles. Ainsi, il se souvient que beaucoup de pure players, comme Boursorama, voyaient à cette époque internet simplement comme un medium et non comme une source possible de changement des modèles business. Aujourd’hui, l’arrivée de nouveaux modèles à l’international, avec des sociétés Fintech innovantes comme la pluridisciplinaire Accountor ou encore Lending Club, spécialisée en prêts et finance participative, semble confirmer au moins dans une certaine mesure l’intuition qu’avait eu alors Laurent Kratz. En parallèle de l’aspect novateur de cette niche émergente, la perspective d’y consacrer un nouveau projet au Luxembourg le séduit également et s’impose naturellement à lui lors de cette recherche : « Il y a une véritable conjonction de planètes à Luxembourg, avec des acteurs de petite mais aussi de très grande taille, des capitaux et de vrais talents qui en font une place financière exceptionnelle ». Il apprécie également que les niveaux hiérarchiques soient très condensés et la relative facilité à accéder aux organes décisionnels, ainsi que la vraie volonté montrée par le Grand-Duché de s’investir auprès des technologies auxquelles il souhaite se consacrer.

Pour ce projet, plusieurs modèles business liés au crypto-monnaies et surtout à la plus connue d’entre elles, le Bitcoin, se sont présentés à l’entrepreneur. Les activités de change, qui font le lien entre ces monnaies virtuelles et les monnaies fiat (euros, dollars, yens…) et de virements sans frais de pays à pays étaient déjà selon lui très concurrentielles ; et le fait qu’elles soient basées sur des modèles difficiles, qui prennent du revenu sur des commissions tout en détruisant le business existant de par la valeur ridiculement basse de ces mêmes commissions, les obligeant à parier sur des volumes d’échanges astronomiques, n’ont pas retenu la faveur des associés. Ils se sont ainsi tournés vers une activité plus orbitale et en outre très peu dépendante de la volatilité du Bitcoin : la gestion de conformités et de régulations. En effet, même s’il s’agit d’une technologie novatrice qui ne bénéficie pour l’instant pas des mêmes assurances que les moyens de paiements plus traditionnels, la loi commerciale s’impose quoi qu’il arrive. De plus, « le Bitcoin et ses descendants étant amenés à être de plus en plus utilisés », les acteurs prenant part au marché ont un grand besoin de transparence et donc d’outils et de services leur procurant cette transparence. Car si toute transaction de Bitcoin est tracée, la facilité de créer des comptes multiples et le cryptage des numéros de comptes en clés rendent le système relativement opaque.

Ainsi, la nouvelle sous-entité de Neo Facto baptisée Scorechain propose un panel de services allant du reporting basique, à savoir la production de documents comptables, à l’établissement de traçages de transactions complexes pour des instances policières ou fiscales internationales, activité dite Forensic. Mais Laurent Kratz ne compte pas s’arrêter là et a bien l’intention d’exploiter à court terme et au maximum le potentiel des algorithmes qu’il développe pour répondre à toujours plus de problématiques, notamment celle de la sécurité : « d’ici cinq ans, nous croyons que le type de protocoles que nous sommes en train d’élaborer pourra par exemple tenir des registres, et gratuitement. Cela va amener des changements notoires, surtout pour des grandes sociétés qui en ont fait leur spécialité, comme la European Fund Administration, et qui vont devoir s’interroger sérieusement ». Le créateur d’entreprises en série souhaite pour cela rester dans cette dynamique stimulante de gestion de start-ups et se concentrer sur le B-to-B, plus avantageux que le B-to-C grâce au vivier de prospects déjà présents sur la place luxembourgeoise et ailleurs et à l’absence de coûts d’acquisition pour faire connaitre le produit ou le service au public.

Et puisque l’on parle d’outil, notons également le développement – toujours en cours, mais déjà disponible – chez Neo Facto d’une application permettant de créer un compte Bitcoin et de le gérer à partir d’un appareil mobile : Yallet. Et selon Laurent Kratz, ce portefeuille en ligne qui sert de vitrine à l’activité Bitcoin de sa société présente plusieurs avantages : sa qualité, qui lui permettrait d’être vendu sous licence, mais également le fait qu’aucun grand point central financier ou IT ne se trouve derrière, ce qui permet un échange libre de personne à personne par simple connexion de deux appareils au réseau Bitcoin… Quant au financement de ses nouvelles structures, Laurent Kratz explique qu’il est assuré grâce aux bonnes performances de la société de services en ingénierie informatique, qui lui permettent de réinvestir une part des bénéfices dans une start-up, et par un complément apporté via une levée de fonds. Une combinaison dont bénéficie en ce moment même Scorechain.

Toutefois, s’il s’accorde à dire que Luxembourg possède à la fois l’ouverture d’esprit et les bons interlocuteurs – en banque, fonds d’investissement… – pour permettre le déploiement d’initiatives audacieuses dans le secteur Fintech, il déplore également le fait que le Grand-Duché ne puisse pas encore offrir la gamme de profils nécessaire à toute l’activité et qu’il soit encore presque impératif de trouver des talents adéquats à l’étranger, surtout sur des profils de business development managers, « car la masse critique de start-ups n’est pas encore présente à Luxembourg ». Il utilise ainsi volontiers sa propre main d’œuvre déjà formée chez Neo Facto pour assurer un bon fonctionnement technique des start-ups et ne désespère pas de trouver bientôt plus de bons profils orientés business au Luxembourg, peut-être même directement à l’Université du Luxembourg, qui se trouve désormais à quelques pas de son bureau, à Belval…

Une chose est sûre : Laurent Kratz ne s’interdit rien quant à son avenir et considère la possibilité de pivoter à un moment vers d’autres activités autour des crypto-monnaies tout à fait envisageable, toujours accompagné de Pierre Gérard, ami de longue date, et d’un associé arrivé en 2009 et issu de la « génération n-1 », Ludovic Compère. Car il est clair que pour ce passionné, l’avenir se trouve dans ces échanges de valeurs impalpables. Ces échanges, il aurait d’ailleurs aimé les voir déjà présents lors de la naissance d’iTunes ou encore lors du passage de la presse écrite au digital payant, car il en est persuadé, les possibilités de micro-paiement du Bitcoin et de ses homologues auraient à elles seules pu donner une toute autre envergure à ces moments clé de la vie culturelle et médiatique contemporaine.

Fabien Rodrigues
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