Auchan Gasperich

Offensive citoyenne

d'Lëtzebuerger Land vom 19.04.2007

2009 ? 2010 ? 2013 ? Plus tard encore ? Le scénario n’est pas à exclure. L’ouverture du centre commercial de quelque 40 000 m2 à Gasperich pourrait prendre du retard sur le calendrier initial avancé par ses promoteurs et l’enseigne de grande distribution Auchan qui va l’exploiter. Selon les informations fournies par la commissiondu commerce de détail de la Chambre de commerce, l’ouverturedu centre commercial est prévue pour 2009/2010, voire même 2013.

Les recours introduits par le syndicat des intérêts locaux de Gasperich et une société immobilière, propriétaire de terrains touchés par le pland’aménagement général (PAG) au sud de la localité de Gasperich (le ban de Gasperich) pourraient toutefois compromettreces plans. « En cas d’annulation de la modification du PAG duban de Gasperich, il faudra recommencer à zéro toute la procédure »,fait observer un connaisseur de la procédure administrative. Car, dans ce type d’affaire, la carte de la réformation n’existe pas. C’est donc tout ou rien : annulation de la modification du PAG ou sa confirmation. 

Sans compter que le grand distributeur ainsi que le promoteur du centre commercial, la société Grossfeld PAP, ont déjà décroché fin décembre 2006 de la part du ministre des Classes moyennes, Fernand Boden, leur autorisation « grande surface », qui leur permettra d’ouvrir la plus grande galerie marchande du Grand-Duché, qui représente, avec ses presque 40 000 m2, le City Concorde et la Belle Étoile réunis, du moins jusqu’à ce que ces deux centres achèvent leurs travaux d’extension1. Ce sésame ne survivra pas plus de trois ans2. Si le 29 décembre 2009, les premiers coups de pelle n’ont pas démarré, Auchan devra recommencer à zéro la procédure d’autorisation de grande surface. Et sans PAG en nickel, pas question de creuser. 

L’ombre sur le projet Auchan Gasperich est réapparue cette semaineavec l’examen par les juges administratifs des recours du Syndicat des intérêts locaux de Gasperich et de la société immobilière civile Plantin à Bertrange. Celle-ci est propriétaire de terrains adjacents aux Messageries du Livres à Gasperich, dont elle fait partie. Ses terrains ont été intégrés par la Ville de Luxembourg dans le plan d’aménagement. Le hic, c’est que ces surfaces ont déjà été touchéespar un précédent plan et donc déclarées zones viabilisées. Avec toutes les conséquences qui en découlent : la ponction de 25 pour cent de leur superficie pour les besoins des infrastructures publiques a été réalisée une première fois. La commune voudrait se servir une seconde fois, ce à quoi le propriétaire lui oppose une fin de non recevoir. « Le PAG modifié empiète en partie sur le terrain antérieurement urbanisé », résume unproche du dossier. C’est sur ce point que se joue le premier recours dont la procédure n’est pas encore parvenue à un stade très avancé. Contrairement au second recours qui arrivait aussi cette semaine en fin de course, mêmesi la fixation de l’affaire pour plaidoirie a été remise à la fin de ce mois pour des raisons techniques. Les « empêcheurs de tourner en rond » que sont certains habitants du très populaire quartier de Gasperich ont plutôt la réputation d’être des gens coriaces et peu portés sur la complaisance.

Il y a donc peu de chances que le procès qu’ils ont introduit en août2006 devant le tribunal administratif débouche sur un arrangement àl’amiable. Il n’est pas exclu en revanche que le recours de la SCI Plantin aboutisse à une négociation et que la plainte soit retirée. La procédure entamée par le syndicat des intérêts locaux de Gasperich, une pépinière assez proche du LSAP, parti dans l’opposition dans la capitale, est à prendre au sérieux. Leur recours a révélé une série de huit failles dans le processus qui a abouti au printemps 2006 à l’approbation des modifications du PAG dans le sud de la capitale. Ces modifications avaient été soumises une première fois par la Ville de Luxembourg à la commission d’aménagement en février 2003. 

C’est donc l’empire de l’ancienne loi de juin 1937 sur l’aménagement communal qui fut d’application dans ce dossier, non pas la nouvelle législation du 19 juillet 2004. Le conseil communal donna son feu vert provisoire à l’aménagement du ban de Gasperich le 17 mai 2004 lequel fut définitivement approuvé le 31 janvier 2005. Il a fallu plusieurs mois au ministre de l’Intérieur pour donner son quitus. L’approbation ministérielle remonte au 14 avril 2006. 

Ce sont ces trois décisions queles plaignants entendent faire prochainement annuler par le tribunal.La première arme juridique dégainée par les plaignants touche à l’absence de finalité d’intérêt général de la modification du plan d’aménagement général de la localité de Gasperich, malgré l’emballage avantageux qu’en fit la commune en présentantle projet comme une « mise en valeur de la partie sud-ouest dela ville ». Or, avance le syndicat des intérêts locaux, la modification s’appuie essentiellement sur un plan baptisé Masterplan Grossfeld, le fruit d’une société de promotion immobilière qui n’a pas un but humanitaire. 

Ce qui lui fait affirmer que « le plan d’aménagement ‘Grossfeld’n’est donc rien d’autre qu’une gigantesque spéculation immobilière au profit d’investisseurs privés ne répondant à aucune finalité d’intérêt général ». Les juges apprécieront. Le recours pointe en outre du doigt le vide juridique et les contradictions qui ont émaillé les activités de la commission d’aménagement, laquelle a siégé en 2004 et 2005 avec des membres suppléants alors que la loi de1937 n’en prévoit ni la présence ni l’existence.

Autre gaffe épinglée aux bretelles du bourgmestre Paul Helminger :l’absence de la modification de la partie écrite du PAG de l’ordre dujour de la séance du conseil communal du 31 janvier 2005 alors que la loi communale cadre de 1988 proscrit de mettre à la discussion des objets étrangers à l’ordre du jour, sauf dans les cas d’urgence.

C’est sans doute sur le non-respect de la procédure participative des habitants de Gasperich, concernés au premier chef par la venue du méga centre commercial et des aménagements publics qui seront faits dans ce quartier sud de la capitale, que les plus grands espoirs des plaignants s’accrochent. Leurs arguments ne manquent pas de poids, bien que la question de l’application des lois se posera sans doute dans ce dossier. 

Il est probable aussi que les juges, ne resteront pas insensibles à leursarguments, d’abord parce qu’ils n’ont encore jamais été amenés à se pencher sur l’interprétation d’une convention internationale du 25 juin 1998 (dite convention d’Aarhus3) qui impose aux autorités publiques le devoir de mettre à la disposition du public les informations qui leur sont demandées. Le syndicat des intérêtslocaux a fait des pieds et desmains en 2004 auprès des autorités communales pour obtenir la communication de l’étude du bureau Schroeder [&] Associés sur le développement des quartiers sud-ouest ainsi qu’une copie du Masterplan Grossfeld. Prêche dans le vide. La Ville n’a jamais levé le voile sur ces documents qui ont pourtant été les piliers des modifications apportées au PAG. Il ne fait pasde doute aux yeux de s plaignants que ce refus de communication« doit entraîner l’annulation pure et simple des délibérations provisoires et définitives ainsi que de la décision du ministre de l’Intérieur ».

Des gaffes ont-elles été commises dans ce ministère, notamment lorsque son titulaire en chef imposa des modifications, quoi quemineurs, du plan d’aménagement ? Le ministre exigea ainsi le déplacement d’une voie de circulation projetée à proximitédes terrains de la SCI Plantin. Or, l’ancienne loi de 1937 sur l’aménagement communal demande au ministre de jouer les caisses enregistreuses sans toucher le moindre éléments des plans qui lui sont soumis. Son incursion, même cosmétique, dans le dossier pourrait lui valoir un beau zéro pointé.

1 La Belle Étoile à Bertrange (Cactus) a obtenu récemment une autorisation d’extension de 5 000 m2, ce qui portera sa surface commerciale totale à 30 000 m2 et le City Concorde, également à Bertrange (Cora) a été autorisé à agrandir les superficies du supermarché et de la branche habillement. Une parade au projet AuchanàGasperich qui prévoit plus de 11 000 m2 dédiés à l’habillement.

2 Une autorisation est valable en principe deux ans avec une prorogation d’un an maximum. 

3 Convention approuvée par la loi du 31 juillet 2005 portant approbation sur l’accès à l’information, donc postérieurement à la demande de communicationdes pièces par le syndicat des intérêts locaux de Gasperich. 

 

Véronique Poujol
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