Femmes en politique

La femme politique est-elle un homme comme les autres ?

d'Lëtzebuerger Land du 30.09.1999

Les hommes luxembourgeois ont beaucoup de chance. Dans leur grande majorité, les femmes sont très dociles. Leurs féministes aussi. En France, plusieurs centaines de femmes - et hommes ! - publiques viennent de publier le Manifeste des 'Chiennes de garde'. Dans le texte, on lit : " Toute femme visible est jugée sur son apparence et étiquetée 'mère', 'bonne copine', 'bonne à tout faire', 'lesbienne', 'putain' etc. Ça suffit ! (...) Adresser une injure sexiste à une femme politique, c'est insulter toutes les femmes. Nous nous engageons à manifester notre soutien aux femmes publiques attaquées en tant que femmes. " (publié dans Libération du 7 septembre 1999). Ces " chiennes ", souvent elles-mêmes exposées et influentes, n'accepteront plus les insultes sexistes comme celles adressées par des agriculteurs à la ministre verte Dominique Voynet. Au Luxembourg, les féministes engagées et regroupées dans le Conseil national des femmes (CNFL) sont beaucoup plus douces, beaucoup plus positives. Samedi, elles commenceront à planter la Forêt des candidates à Lellingen (en concertation avec la fondation Hëllëf fir d'Natur), un arbre par femme candidate aux élections communales - soit 794 arbres en tout - comme pour remercier le ciel de cette augmentation sensible (plus 6,6 pour cent de femmes par rapport à 1993, sur un total de 24,7 pour cent de femmes dans les 118 communes du pays). Un arbre, ça ne fait du mal à personne. Chargés des symboliques les plus positives qui peuvent frôler le kitsch - fécondité, persistance, longue durée de vie, la communauté de la forêt -, les arbres ne sont pourtant pas une idée révolutionnaire. La coutume luxembourgeoise veut que tout les nouveaux élus aux conseils communaux se voient planter un arbre dans leur jardin, implorant les mêmes symboliques. L'action du CNFL est donc inoffensive, ressentie par les uns comme gentille, par les autres comme niaise. Si, de prime abord, on pouvait croire qu'on ne peut blâmer tous les hommes pour le pourcentage relativement faible des femmes prêtes ou décidées à s'engager dans l'organisation de la vie publique, les réticences et difficultés se situent pourtant souvent à des niveaux qui pourraient être facilement influencés par ceux qui sont au pouvoir. L'organisation scolaire et celle des structures de garde des enfants par exemple. Ou la prise de conscience de la nécessité de l'égalité des chances à tous les niveaux de la société. Une vie publique organisée par des représentants de moins de la moitié de la société ne peut être une société équitable - les femmes représentent 51 pour cent de la population, ceux qui disent s'ériger en " défenseurs de toutes les minorités " (dont les femmes !) ont tendance à l'oublier. En Belgique, un avis d'un organe consultatif qui ne compte pas au moins 33 pour cent de femmes est tout simplement sans aucune valeur. Les actions instiguées et organisées par le ministère de la Promotion féminine comme Partager l'égalité, dans les écoles primaires, peuvent déjà contribuer pour beaucoup à une telle prise de conscience. Les enfants, garçons et filles, y apprennent que les rôles des sexes ne sont pas immuables. Il est vrai aussi que le Luxembourg se fait régulièrement remarquer dans les statistiques européennes pour être parmi les derniers dans la rubrique femmes et emploi, avec seulement 38 pour cent des femmes en âge de travailler qui exercent un emploi salarié. Mardi, le CNFL, et surtout son organe co-financé par le ministère de la Promotion féminine, l'Observatoire de la participation politique des femmes aux élections 1999, ont présenté les statistiques complètes des candidates aux communales du 10 octobre. Où on peut faire des constatations étonnantes. La plus déconcertante étant qu'il reste neuf communes (Bettborn, Erpeldange, Esch/Sûre, Goesdorf, Heffingen, Lac de la Haute Sûre, Lenningen, Munshausen et Reisdorf) sans aucune candidate - en 1993, elles étaient encore 21 dans le même cas. Donc on comprend la satisfaction du CNFL. Parmi les dix communes comptant le plus de femmes candidates - Strassen : 40,9 pour cent ; Esch/ Alzette : 38,6 ; Mondercange : 35,9 ; Kopstal : 35,7 ; Larochette : 35,7 ; Sanem : 35,6 ; Luxembourg : 35,2 ; Bissen : 34,8 ; Bascharage : 34,6 et Dudelange : 33,3 pour cent - huit votent selon le système de la représentation proportionnelle. Qu'aucune commune du Nord ni de l'Est ne se trouve dans ce top ten, ce n'est pas vraiment étonnant comme ces régions se composent avant tout de petites communes votant selon le système majoritaire. Déjà depuis 1993, les conseils communaux qui ont voté selon le système proportionnel comptent deux fois plus de femmes que les petites communes. Il était d'autant plus surprenant que justement la circonscription de l'Est, réputée comme traditionaliste, a délégué en juin deux nouvelles femmes à la Chambre des députés. En analysant les chiffres, il s'avère que les hommes peuvent faire beaucoup pour la représentation des femmes. Car les deux modes de scrutin permettent une belle comparaison : dans les communes votant selon le système majoritaire, 16,2 pour cent des candidats sont des femmes, parmi celles qui votent selon le système proportionnel, ce chiffre double presque (30,4 pour cent). Il revient donc aussi aux partis politiques d'essayer d'établir un certain équilibre sur leurs listes. Ce sont donc logiquement les petits partis, ceux qui revendiquent ouvertement leur engagement pour la parité qui se rapprochent le plus de ce but : Déi Gréng atteignent 47,7 pour cent de femmes et Déi Lénk 32,3 pour cent. Puis suivent : l'ADR (29,4 pour cent), le PCS (28,6), le POSL (26,2 pour cent, avant-dernier, qui pourtant écrit dans un communiqué de presse du 15 septembre : " Die Parteileitung zeigte sich im Übrigen sehr zufrieden mit dem hohen Anteil an Frauen und jungen Leuten auf ihren jeweiligen Listen " !). Il n'est pas étonnant non-plus que le PDL soit le dernier parti dans ce hit-parade, comme les libéraux ont le féminisme en horreur. Lydie Polfer, désormais ministre des Affaires étrangères, et Anne Brasseur, ministre de l'Éducation nationale, ne tiennent-elles pas absolument à signer leurs communiqués et textes par " le ministre ", comme si un simple " la " légitime et juste suffisait déjà pour minimiser ou au moins mettre en doute leurs compétences? Par leur départ de la commune, Lydie Polfer et Anne Brasseur laissent d'ailleurs la ville aux hommes : les trois grands partis en lice affichent trois fortes têtes masculines. On peut aussi estimer que la dernière phrase du petit chapitre 14 de l'accord de coalition PCS/PDL consacré à la Promotion féminine est dû à l'impulsion des libéraux : " Il est retenu que le Gouvernement n'introduira pas d'obligation de quotas entre hommes et femmes ". Pourtant, la ministre Marie-Josée Jacobs (PCS) a engagé le Luxembourg en signant en avril dernier la Déclaration de la Conférence de Paris, qui recommande " que dans la vie politique, les gouvernements, les institutions européennes et les partis politiques prennent les mesures nécessaires, incluant, là où elles sont appropriées, des mesures contraignantes et / ou incitatives, aussi bien dans le domaine électoral que dans la désignation des membres des instances consultatives concourant à la décision publique, pour promouvoir une participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision ".

josée hansen
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