Édito

The Communism Report

d'Lëtzebuerger Land vom 07.02.2020

On imaginait les historiens Jean Reitz et Nadine Geisler croupissant dans les caves des Archives nationales comme Adam Driver dans The Report de Scott Z. Burns., qui fait actuellement un foin sur Netflix. Driver incarne l’agent de la CIA Daniel Jones, qui a mis à jour les pratiques de torture de services secrets américains à la suite des attentats du 9/11. Jean Reitz et Nadine Geisler avaient été chargés en 2016 par le Premier ministre Xavier Bettel (DP), sur recommandation d’une commission d’accompagnement composée de fonctionnaires, de politiques et d’historiens de l’Université du Luxembourg, d’analyser les archives matérielles du Service de renseignement de l’État (Srel) afin d’en mettre à jour les pratiques entre sa création en 1960 et 2001. Ils ont eu deux ans pour le faire. Le rapport présenté hier, jeudi, à la presse et mis en ligne à la suite sur le site de la Chambre des députés (ChD) est, il faut l’avouer, un pétard mouillé. Parce que les archives avaient été « nettoyées » en amont, par les responsables du Srel, concéda Reitz. Et parce que les dossiers pouvant avoir quelque importance pour la politique d’aujourd’hui, comme celui sur les écoutes illégales de la Cour ou celui sur le
Bommeleeër, n’y figurent pas pour cause d’affaires judiciaires pendantes.

Xavier Bettel, surfant sur une vague de popularité pour sa main ferme dans la gestion de la crise institutionnelle à la Cour, avait vite faite de se montrer en grand démocrate en affirmant son plein support à l’exercice de transparence qu’est ce rapport sur l’histoire du Service de renseignement. Parce que le Srel est intimement lié à l’État-CSV : ce furent les dysfonctionnements au Srel et son manque de rigueur comme responsable politique qui ont fait chuter Jean-Claude Juncker (CSV) et son gouvernement en 2013. « Le SRE d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce Srel de jadis », assura Bettel jeudi, rappelant qu’il était celui qui avait fait réformer le service et fait ouvrir les archives.

Le rapport ne nous apprend rien de ce qu’on ne savait déjà : le fonctionnement dilettante du Srel, la paranoïa d’une invasion communiste de son directeur de l’époque Charles Hoffmann, en pleine guerre froide, qui allait jusqu’à craindre un « endoctrinement des touristes qui visitent les pays de l’Est » (p.65), ou soupçonnant des cocos dans les clubs de football ou encore parmi les artistes invités au festival d’Echternach. Les militants communistes, les membres de clubs ou les entreprises ayant un quelconque lien avec des pays communistes étaient systématiquement surveillés et filés – quarante pour cent des fiches consultées (plus de 2 000) concernent des soupçons de communisme (le dossier papier Elcom, comme « élément communiste », avait été vidé, mais les responsables du Srel avaient oublié les microfilms, prouvant encore une fois leur amateurisme). La crainte d’un terrorisme d’extrême-droite était beaucoup moindre. Les militants communistes, tous ceux qui avaient fait un voyage à Moscou à cette époque-là ou ceux qui avaient un abonnement à la Zeitung vum Vollek, étaient systématiquement suivis, mais Reitz affirma ne pas avoir eu de preuve d’un espionnage politique de militants d’autres partis. Le rapport toutefois fait état de « l’intérêt » du Srel pour les mouvements anti-nucléaires et écologistes ou les associations de jeunes un peu plus progressistes.

Faute de temps et de moyens, les deux historiens ne se sont consacrés qu’aux documents concernant les ressortissants luxembourgeois – soit 6 438 sur un total de 116 438 – et demandent que la mission soit prolongée. Le fonds Srel reste en sécurité aux Archives nationales, promet Bettel, aux députés maintenant de décider de la suite. Mais le rapport ne ferait même pas un scénario pour un film de série B, tellement il se limite à décrire surtout l’époque dans laquelle agissait le Srel. Restent quelques anecdotes : sur tel agent qui tentait de faire parler un employé de l’ambassade soviétique en le saoulant au whisky et au Beaujoulais (p.66). Ou sur l’ancien ministre socialiste de la Justice et ambassadeur luxembourgeois en URSS René Blum, qui avait pour habitude de crier dans son téléphone avant de terminer ses conversations (p. 73) : « Hutt dir alles mat héieren, dir Aasschlächer ? » !

josée hansen
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