Barbecues

Le temps des saucisses

d'Lëtzebuerger Land du 26.05.2011

Les conséquences du réchauffement climatique n’ont pas encore toutes été bien étudiées. On sait que, dans le meilleur des cas, la mer arrivera jusqu’à Bruxelles, événement qui mettra un terme définitif aux querelles entre Flamands et Wallons et qui devrait, selon les derniers calculs du GIEC, survenir avant la formation du prochain gouvernement belge. En parallèle, la garrigue couvrira les collines de l’Ösling et on pourra enfin se baigner dans la Mer du Nord sans risquer une pneumonie. La transformation du grand-duché en pays méditerranéen ne s’arrêtera pas là. Qui a envie de travailler quand il fait 25°C et qu’un soleil radieux illumine les journées ? Qui a envie de transpirer dans un costume cravate alors qu’il peut porter tongs et bermudas ? L’oisiveté risque fort de croître au même rythme que les températures. Les deux heures de sieste vont s’imposer partout. Les trains arriveront tous avec dix minutes de retard. Les gens traîneront aux terrasses des cafés au lieu de tous rentrer chez eux à 17h30.

Et, surtout, le Luxembourg prendra enfin la place qu’il mérite de pays champion du monde des barbecues. En effet, il y a deux grands paradoxes au grand-duché : le premier, c’est le nombre de véhicules 4x4 par habitant alors que la qualité du réseau routier est un modèle d’excellence. Le second, c’est l’équipement moyen des ménages en barbecues alors que le nombre de jours d’ensoleillement arrive péniblement à 1 800 heures par an et que la température moyenne annuelle est en dessous de 9°C. Et encore, dans le sud du pays.

Le barbecue, ici, ce n’est pas un simple bidon coupé en deux avec une grille posée dessus, modèle boy scout. C’est une institution. Il faut donc prévoir, au minimum, une « boule Weber » à 200 euros : le couvercle permet, officiellement, une cuisson à l’étouffée mais, en réalité, il évite surtout que ce ne soient vos convives qui étouffent. La gamme supérieure est constituée des modèles sur roulettes, qui offrent la possibilité d’accrocher une panoplie d’instruments digne d’un bloc opératoire, à ceci près que la viande qu’on y manipule est, normalement, déjà morte. Si l’on veut garder les mains propres, on pourra choisir un modèle encore plus onéreux, et remplacer le vulgaire charbon de bois par des « pierres de lave », avec alimentation au gaz.

D’ailleurs, on ne dit plus « barbecue », on dit « cuisine d’été ». Les viandes sont préparées à l’avance dans des marinades savantes. On ne se contente pas de piquer des chipolatas et d’enfiler des poivrons et des blocs de bœuf sur des pics en bois. On fait ça avec amour. On confectionne des brochettes de toutes sortes, avec des assortiments de viandes variées, du lard, du poulet écartelé, des côtes d’agneau, des bifanas, des poissons, des scampis et même, l’homme des cavernes serait déçu, des légumes. Le pays est déjà bien préparé à l’éventualité d’un allongement de la saison des saucisses, qui débute et finit, traditionnellement, en contrepoint de la saison du poisson frit (entre l’Octave et la Schuberfouer) : depuis des décennies, l’agriculture nationale est concentrée sur la production de bière et de viande de porc. Même s’il faut reconnaître que la conversion du vin de Moselle au rosé est relativement récente.

Question infrastructures publiques, le gouvernement et les communes ont investi : le lac d’Echternach, Kockelscheuer, la promenade le long de l’Alzette, les lacs d’Esch-sur-Sûre ou de Weiswampach offrent des emplacements adaptés à la pratique collective de la grillade. Le tout est de choisir un jour où il fait suffisamment beau mais pas trop, pour éviter d’être entouré de voisins bruyants, odorants, fumants et, dans le pire des cas, accompagnés de pit-bulls.

Le barbecue est également l’occasion de créer du lien social sur les parkings de supermarché. Le vendredi, par exemple, à Howald, fanfares et clubs sportifs se succèdent pour servir bière et mettwurscht aux clients du Cactus que les odeurs de diesels n’incommodent pas. Dès les beaux jours venus, il suffit de parcourir les routes de campagne pour savoir dans quel village il faudra aller pour partager sa passion pour la bière, la viande grillée et la musique de fanfare. D’ailleurs, comment mieux traduire l’expression « fête du village » que par « grillfest » ?

Cyril B.
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