Luxembourg School of Finance

Une science pour la place financière ?

d'Lëtzebuerger Land du 21.10.2016

Coup de théâtre à la Luxembourg School of finance (LSF). En avril 2016, après huit ans à la tête de la LSF, Christian Wolff a été démis de ses fonctions. (Il a pris une année sabbatique jusqu’à la rentrée 2017-2018.) Ce changement s’annonçait depuis un moment déjà. Car les relations entre le Néerlandais Wolff et les acteurs de la place financière avaient été peu harmonieuses. Non qu’il aurait été un dangereux gauchiste. Le CV de Christian Wolff énumère des postes de consultance dans des fonds de pension, family offices et hedge funds de Lugano aux îles Caïman en passant par le Luxembourg. Son verdict sur la taxe Tobin ? « Une idée absolument stupide », déclarait-il à L’Essentiel en 2012. Son appréciation des recherches de Gabriel Zucman ? « Ce genre de travail sur les paradis fiscaux est plus journalistique qu’académique », disait-il au Land en 2014.

Le problème de Wolff, c’est qu’il était considéré comme trop distant, trop hautain, « trop académique » ; notamment par les banquiers locaux. À la limite, il aurait pu résister à la pression extérieure s’il avait eu derrière lui ses collègues de la LSF. Or tel ne fut pas le cas, deux licenciements ayant laissé un mauvais souvenir. Un dernier point négatif était le contraste avec son prédécesseur Pierre-Armand Michel, un Belge venu de Liège et connu pour sa bonhommie.

Depuis le mois de juin, Jean Schiltz, spécialiste en mathématiques appliquées, est le nouveau directeur de la LSF. Élu pour quatre ans par ses collègues, sa carrière s’est déroulée dans un cadre régional : il a étudié à l’université de Nancy, enseigné à celle de Metz, avant d’intégrer, trentenaire, l’Uni.lu, fraîchement créée. Adolescent, il a co-écrit deux contes fantastiques, dont un est décrit par le Luxemburger Autorenlexikon comme « une vision futuriste apocalyptique ». Réputé diplomate, disponible, habile et consensuel, il apparaît comme le parfait directeur pour l’interrègne qui s’annonce.

La LSF reste une petite entité – elle ne compte que neuf professeurs à plein-temps, dont le dernier a été embauché en 2008. Jean Schiltz veut faire évoluer ce nombre à 25. Mais, concède-t-il, budgétairement, rien ne serait pour l’instant assuré. Dès le début, les enseignants de la LSF furent soupçonnés par leurs collègues de l’Uni.lu de n’être venus que pour l’argent ; voire, d’en gagner plus qu’eux. Selon Jean Schiltz, ce ne serait pas le cas ; tous les enseignants de l’Uni.lu toucheraient le même salaire. « Nous travaillons d’ailleurs à ce que cela change pour attirer les bons profs », dit-il. Et d’évoquer des « salary top-ups » pour les méritants qui arriveront à placer leurs articles dans les revues scientifiques les plus réputées. Au niveau international, estime Schiltz, le salaire moyen annuel d’un professeur en finance avoisinerait les 400 000 dollars. Une rémunération qui est souvent financée par les business schools, dans lesquelles les profs sont intégrés et qui constituent de véritables machines à sous. Si la LSF ne peut concurrencer ces salaires, elle n’a par contre pas de problèmes à recruter des doctorants et post-doctorants, leurs salaires étant relativement élevés par rapport aux autres universités.

Ce juillet, lors d’une conférence de presse, Stefan Braum, le doyen de la Faculté de droit, d’économie et de finance, expliquait que la LSF « avait été vue jusqu’ici comme une sorte de satellite, flottant quelque part ». Et d’annoncer qu’elle sera désormais solidement attachée à sa faculté. Jean Schiltz veut restructurer la LSF autour de trois axes : les investissements alternatifs, le risk management et les technologies financières. Mais trouver un équilibre entre les demandes d’une place financière protéiforme et l’autonomie de la recherche scientifique sera difficile.

Cette tension existe depuis la création de la LSF en 2002 (sur initiative de Lucien Thiel, alors directeur de l’ABBL). Certains banquiers s’attendaient à ce que les chercheurs leur développent de nouveaux produits financiers, à la manière d’une cinquième Big Four. Ils ont vite déchanté. Même si les recherches scientifiques des uns peuvent avoir un impact sur le business des autres, les deux ne pensent pas dans les mêmes catégories. Les banquiers posaient des questions précises sur le court-terme, les chercheurs répondaient par des problématisations sur le moyen-terme. Un signe de cette distanciation est la Fondation Luxembourg School of Finance. Dirigée par l’ABBL, elle payait des bourses étudiantes et des projets de recherche de la LSF. Cette année, la fondation a décidé d’élargir ses activités à l’ensemble de l’Uni.lu, brisant l’exclusivité de ses liens avec la LSF.

La place financière n’hésite pas à intégrer les connaissances scientifiques. Après la Deutsche Bank et sa « Chair of Finance », après Atoz et sa « Chair for European and International Taxation, après EY dont le dirigeant Alain Kinsch a été nommé au conseil de gouvernance de l’Uni.lu, six acteurs de la place financière ont annoncé vouloir s’impliquer. La semaine dernière, Clearstream, Allen & Overy, Deloitte, la Banque centrale européenne, Brown Brothers Harriman, Lombard Odier et State Street ont annoncé cofinancer une chaire « dans le domaine des marches financiers et du post-marché ».

La proximité avec les acteurs privés affute-t-elle le regard critique sur la place financière ou, au contraire, le bloque-t-elle ? « Pour les doctorants, la place financière n’est pas importante, répond Schiltz. Les sujets académiques, ce sont des thèmes qui sont à la mode, sur lesquels beaucoup est publié. En plus, c’est très orienté vers les États-Unis. Si vous voulez publier dans une revue reconnue, il faut en grande partie travailler sur des données américaines. Même si cela change un peu, Dieu merci. » Or, la place financière peut fournir les données sans lesquelles aucune recherche n’est possible. La LSF est ainsi en train de construire une gigantesque base de données, qui devra englober des informations sur l’ensemble des fonds Ucits depuis 1988. LuCIFR, l’acronyme pour Luxembourg Center for Investment Fund Research, promet des publications dans les revues académiques. Quant à la masse de données sur la fiscalité des multinationales disponible en ligne – connue sous le nom de « Luxleaks » – elle devrait intéresser davantage les juristes fiscalistes que la LSF, estime Schiltz.

« Les centres de décision en matière d’innovation de la majorité des banques de la place se trouvent à l’étranger et il n’y a pas de véritable culture de l’innovation observable, ni d’approche structurée », avait noté le Conseil économique et social il y a deux ans. La place financière vend surtout des produits normatifs, plutôt que des produits financiers. Elle s’intéresse donc davantage aux juristes et à la « regtech » (pour : technologie de la régulation) qu’aux économistes et à leurs modèles financiers.

Le programme du master en wealth management, introduit en 2013, dont le curriculum fut élaboré au sein d’un groupe de travail de l’ABBL, est censé former les futurs banquiers mobiles travaillant pour les HNWI. À quelques adaptations près, le master est identique à ceux offerts dans d’autres universités. Si on y retrouve quelques buzzwords du private banking, comme la finance islamique ou la philanthropie, ces cours se résument à une ou deux heures par semestre.

Selon Schiltz, la place financière s’attendrait surtout à des « personnes diplômées ». Pour les étudiants, un master à la LSF est une manière de prendre pied sur le marché de l’emploi luxembourgeois. Mais il ne s’agirait ni de « courir derrière toutes les tendances, ni de changer nos programmes tous les ans », mais d’offrir « un savoir de base », dit le directeur de la LSF. « Ainsi, les étudiants doivent-ils comprendre comment on analyse des données, pas comment fonctionne une software utilisée dans l’une ou l’autre banque. Sinon, dès que la banque change de programme informatique, les anciens étudiants ne peuvent plus rien faire. »

Bernard Thomas
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