Binge watching

Chernobyl, aujourd’hui

d'Lëtzebuerger Land du 20.03.2020

Pour cette nouvelle rubrique dédiée aux séries, la diffusion de Chernobyl, sur OCS (et disponible en cassette DVD), est pour le moins opportune en ces temps d’épidémie. Adulée par les spectateurs, comme en témoigne la note de 9,6 obtenue sur le site IMDB, cette mini-série britannico-américaine de cinq épisodes a remporté un franc succès, se hissant même devant des monuments TV tels que Breaking Bad ou Game of Thrones. Le parc nucléaire français – et la présence à la frontière de la centrale de Cattenom – nous rappelle chaque jour combien la menace radioactive est d’actualité, d’autant plus redoutable que celle-ci est invisible. De Melancolia (Lars von Trier, 2011) à Walking Dead, en passant par Take Shelter (Jeff Nichols, 2011) et Les Derniers Jours du monde (2009) des frères Larrieu, les fables apocalyptiques abondent ces dernières années, malheureusement confortées par l’effondrement écologique de la planète. Comme si l’humanité avait dorénavant une conscience aigüe de sa possible disparition. Si de tels récits se situent le plus souvent dans un monde imaginaire, ils prennent une tournure redoutable lorsqu’ils reposent sur des faits réels. Comme c’est justement le cas dans la production de HBO Chernobyl.

Souvenons-nous du 26 avril 1986. C’est la date à laquelle est survenue la première catastrophe nucléaire de l’Histoire, suivie depuis par celle de Fukushima en 2011. De façon très officielle, les autorités françaises nous informaient que le nuage fatidique s’était arrêté à la frontière. La défiance populiste à l’égard des gouvernants y trouvait alors une solide justification. Le mensonge d’État ne fut donc pas l’apanage des responsables soviétiques, qui mirent plusieurs jours à reconnaître et à alerter les autres pays européens de l’ampleur de la catastrophe. Ce soir-là, une gigantesque explosion jaillissait dans le ciel ukrainien. Est-ce simplement un essai mené au sein de la centrale nucléaire Lénine ?

À quelques kilomètres de là, la population de la ville de Prypiat s’interroge. Inquiète, elle voit dehors une kyrielle de pompiers se diriger vers le réacteur. Ces derniers, avec leur équipement inapproprié à une situation jusque-là inédite, ignorent tout du danger auquel ils sont confrontés. La plupart d’entre eux mourront les semaines suivant l’explosion du réacteur. Avec le personnel soignant et la population vivant à proximité de la centrale, ce seront les premières victimes de la catastrophe nucléaire.

La centrale Lénine, avec son nouveau réacteur RBMK, devait être le flambeau de la puissance soviétique. Défectueuse et hâtivement construite, elle en sera finalement le tombeau, précipitant la désintégration de l’URSS sous le gouvernement de Gorbatchev. Ce que l’accident industriel révélera au grand jour, ce sont les nombreux dysfonctionnements au sein du système soviétique, rongé par la corruption, l’aveuglement dogmatique et la dissimulation de la vérité. Autant d’enseignements que l’on doit aux témoignages bouleversants recueillis in situ par Svetlana Alexievitch dans La Supplication. Ce livre, publié en France en 1999 (et adaptée à l’écran par le réalisateur luxembourgeois Pol Cruchten en 2015, ndlr.), rend hommage à celles et ceux qui ont vécu de près la catastrophe, le plus souvent au prix de leurs vies, comme ces mineurs du Donbass qui ont travaillé jour et nuit pendant un mois pour éviter une fusion nucléaire totale. On apprendra qu’un quart d’entre eux décèdera avant l’âge de quarante ans. Un sacrifice humain rappelé au terme des cinq épisodes, lorsque sont convoquées les images d’archives et les personnes dont s’est inspirée la fiction écrite par Craig Mazin.

Parmi les héros s’étant battus pour faire connaître la vérité figurent le tandem formé par l’ingénieur Valeri Legassov (Jared Harris) et le politique Boris Chtcherbina (Stellan Skarsgard), chargé par le Kremlin de conduire la mission gouvernementale sur la catastrophe. Tout d’abord hostiles l’un à l’autre, ils finiront par conjuguer leurs efforts jusqu’au procès qui se tiendra à Moscou du 7 au 31 juillet 1987. Une troisième figure importante de la série est féminine : il s’agit d’Ulana Khomyuk (Emily Watson), personnage fictif spécialement créé pour représenter les intérêts de la communauté scientifique. Par leur intermédiaire, le spectateur accède aux coulisses de l’enfer nucléaire, assiste aux solutions de fortune improvisées pour coffrer le cœur du réacteur, côtoie la détresse de la population locale à laquelle chacun d’entre nous pourra s’identifier. Voir des enfants jouer, une vieille femme traire une vache, des amoureux s’embrasser au moment même où s’opère insidieusement une contamination, est un crève-cœur permanent.

On l’aura compris : non seulement cette série invite à se souvenir et à mieux s’informer sur cet événement, mais elle nous incite à méditer sur les conséquences et la responsabilité à recourir à l’énergie nucléaire. Une ressource que l’on a imprudemment utilisée sans savoir comment l’éliminer préalablement. D’où les contestations et les débats légitimes qui entourent ces dernières années l’enfouissement des déchets nucléaires dans la Meuse, à Bure. C’est évidemment dans cet enjeu de sensibilisation que loge la vertu pédagogique et politique de cette série. Cela n’a pourtant pas refroidi les ambitions commerciales d’une entreprise comme Areva, qui demeure active aux quatre coins du monde. De nouvelles centrales ont été édifiées sur des terres sismiques : c’était le cas au Japon, comme on l’apprit avec Fukushima, mais aussi en Chine...

Une version russe de la catastrophe nucléaire devrait prochainement voir le jour, sans doute pour nuancer les points les plus critiques mis en avant dans Chernobyl. Si la Guerre Froide est terminée, les faits et la vérité scientifique demeurent l’objet de tensions internationales.

Loïc Millot
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