Priorités nationales de la recherche

Trois défis pour la politique

d'Lëtzebuerger Land vom 18.10.2007

Le monde de la recherche luxembourgeoise est en train de vivre unepériode très intéressante. Une certaine dynamique et une volontéd’améliorer la recherche sont manifestes. 

Le discours politique place la barre très haute en voulant créerdes vrais « centres d’excellence » dans la recherche. Ceci nécessiteévidemment aussi une « excellente » politique de la recherche. Pouren arriver à cette excellence, il reste encore du chemin à faire. Il faudra surtout se pencher sur trois chantiers : la prioritisation, la coordination et la représentation.

Des nouvelles priorités Durant la plus grande partie de l’histoirede la recherche luxembourgeoise, une vraie politique de recherchefaisait plutôt défaut. Ce décalage entre un système de recherche émergent de plus en plus diversifié et le manque d’une coordination en amont a contribué à créer une infrastructure de recherche, qui de nos jours, est assez fragmentée et faiblement interconnectée.

Pour remédier à cette situation, on s’efforce à donner un vraicadre et des priorités concrètes en matière de recherche. « Prioritiser » est le thème à la mode dans le monde de la politique de la recherche. Ce 14 novembre le Fonds national de la Recherche (FNR) présentera les priorités nationales de la recherche quiont été définies dans le cadre du Foresight Exercise, une étude prospective qui a débuté en janvier 2006 et qui est en train de se terminer ces jours-ci. Six domaines sont candidats pour devenir très probablement des priorités pour la recherche scientifique au Luxembourg : innovation dans les services ; nouveaux matériaux et nouvelles surfaces fonctionelles et intelligentes ; sciences  biomédicales ; marché du travail, éducation et protection sociale ; identités, diversité et intégration.

Selon le FNR, ces six priorités sont « all of high importance for Luxembourg and constitute a well-balanced research portfolio allowing to tackle major socio-economic and environmentalchallenges faced by Luxembourg over the next 10 years »1. D’uncôté, on peut féliciter le FNR pour cet ambitieux exercice et pour avoir essayé de créer un débat participatif, démocratique et transparent. Plus de 360 personnes (chercheurs, experts étrangers, acteurs du monde économique, politique et social) y ont participé. 

Mais, de l’autre côté, le Foresight Exercise a parfois fait recours à des méthodes un peu trop rigides et l’exercice a montré qu’avant de se lancer dans des discussions sur le futur, on aurait dû débattre en profondeur du présent.

En juin 2007, le FNR a soumis ces priorités, sous forme d’un rapport de 330 pages, au ministère de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (voir d’Land du 29.06.07). En ce  moment, le ministère de la Recherche est en train de consulter divers acteurs pour se pencher sur ces priorités : les ministères concernés par la recherche, la Chambre de commerce, la Fédération des industriels luxembourgeois, l’Association des banques et banquiers du Luxembourg, la Commission de surveillance du secteur financier ainsi que la Banque Centrale. Selon Pierre Decker, conseiller de gouvernement en matière de recherche, le ministère de la Recherche soumettra le 26 octobre un dossier au Conseil de gouvernement qui, pour sa part, devrait retenir ces priorités. Reste donc à savoir lesquelles des priorités proposées par le FNR seront retenues, voir modifiées.

Une faible gouvernanceMalgré la définition de priorités nationales pour la recherche, la gouvernance de la recherche laisse encore à désirer. L’année passée, l’OCDE a publié un rapport sur l’innovation au Luxembourg. Son constat est que les principales faiblesses du système d’innovationluxembourgeois sont des faiblesses structurelles et une « faiblegouvernance ». Selon l’OCDE : « The governance of research and innovation is not yet sufficiently developed to guarantee an optimal contribution of public research institutions to the development of the national innovation system. Objectives and strategies governing the public research institutions are largely absent ».2

En plus : « The building of a strong public research system calls forstrengthening the governance of the research and innovation system. At present there seems to be a lack of explicit and binding strategy at the various levels of governance, and sometimes confusion of strategy and implementation ».3 Face à cette situation, l‘OCDE recommande trois stratégies principales : améliorer la gouvernance, améliorer la complémentarité entre acteurs de recherche et augmenter la connectivité au sein du système d’innovation. Il faudra voir si, quand et comment les recommandations de l’OCDE seronteffectivement traduites en réalisations concrètes.

Il y a des raisons pour être un peu pessimiste. Dans le passé, on a souvent peu tenu compte de rapports ou d’expertises sur la recherche. Certains problèmes sont connus depuis des années dejà – comme le problème de coordination et le problème d’une vision trop appliquée et utilitariste de la recherche – mais peu d’actions concrètes ont été lancées pour changer les choses.

Des conseils peu représentatifs Le problème de la gouvernance de larecherche se situe aussi à un niveau dont on ne discute que rarement en public : les divers conseils scientifiques et administratifs des institutions de recherche. Prenons, par exemple, le conseil de gouvernance de l’Université du Luxembourg. Tandis que ce conseil est composé de personnes du monde scientifque, économiqueet légal, qui ont toutes un droit de vote, les représentants desenseignants et des étudiants ont seulement une voix consultative. Ceci est d’autant plus bizarre que ces deux derniers groupes sont la chair et les os d’une université.

Le conseil administratif du Fonds national de la Recherche, quantà lui, est encore moins équilibré. On y trouve principalement deshommes au dessus d’un certain âge qui travaillent soit dans l’industrie, soit dans un ministère. Qui représente les femmes ? Qui représente la société ? Qui représente l’environnement ? Qui représente la culture ? Qui représente le renouveau ?

Ces deux conseils sont à la tête d’institutions publiques. Mais ces conseils ne représentent pas vraiment, pas légitimement le public.Quand est-ce que ces « old boys’ clubs» seront remplacés par desstructures plus démocratiques, plus représentatives, plus équilibrées et plus transparentes ?

Quelle place pour le savoir ??En soi, l’idée d’utiliser différentes formes de savoir comme base pourles prises de décision politiques n’est pas neuve. Cependant, depuis quelques années, on parle de plus en plus d’evidence-based politics en Europe. L’idee est simple : favoriser des approches plus rationnelles, plus rigoureuses, plus systématiques ; se baser sur des connaissances valides et solides et, en même temps, éviter des décisions basées sur des opinions seulement. Une vraie evidence-based politics reste encore à être inventée au Luxembourg – ceci dans tous les domaines politiques.

Au niveau de la politique de la recherche, on donne surtout la parole à l’économie et à l’industrie. Les actuelles consultations organisées par le ministère de la Recherche en témoignent : les acteurs du monde de la finance sont sur-représentés. Qu’on demande l’opinion du monde de la finance et des acteurs industriels ne pose, en soi, pas problème. Mais il y a un problème si, à coté de ceci, on ne donne pas la parole à la société, à la culture, aux ONG, aux citoyens, etc.Si le gouvernement veut se doter d’une politique de recherche moderne, efficace et – surtout – légitime, il devrait aussi veiller à changer certaines habitudes.

Pas de surprise donc, si les domaines de recherche appliqués et/ou àrentabilité directe pour le secteur privé seront favorisés. Le constat del’OCDE, qui a fustigé la« myopie de recherche appliquée » au Luxembourg, n’est visiblement pas pris en compte.

Les défis pour la politique de la recherche luxembourgeoise sontconnus. La faible gouvernance de la recherche est un problème triple : un problème de prioritisation, un problème de coordination et un problème de représentation. La question qui se pose est de savoir ce qu’on va faire de ces constats. Va-t-on se contenter de les commenter, va-t-on les renier, les ignorer ? Va-ton en tenir compte et agir ? Quelle est la place du savoir dans la politique luxembourgeoise ?

Morgan Meyer
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