Chroniques de la Cour

Cherche juge désespérément

d'Lëtzebuerger Land vom 05.06.2020

Les procédures démocratiques sont longues. La nomination d’un candidat juge européen lorsqu’elle dépend en dernier ressort d’un parlement national prend du temps, alors que les décisions opaques d’un exécutif qui a tous les pouvoirs sont plus rapides ! Dans la première catégorie on trouve la Slovénie. Le 27 mai dernier, son parlement vient de proposer un candidat, Klemen Podobnik, 47 ans, pour un poste vacant au Tribunal européen. Professeur associé en droit civil et commercial à la faculté de droit de Ljubljana, il est passé avec 78 voix, le minimum requis étant 46 voix. Il lui faut maintenant passer le cap du comité dit 255 – un article du Traité européen – qui doit vérifier son « adéquation » au poste de juge européen. S’il a le feu vert, il n’aura plus qu’à être nommé par les États membres, une simple formalité. Mais la route est aride. Le comité est imprévisible dans ses décisions. Les critères sont trop vagues. Le candidat précédent, Marko Pavliha, professeur en droit maritime, avait été recalé parce que, malgré ses capacités juridiques de haut niveau, pouvait-on lire dans le rapport du comité 255, ses connaissances des grandes questions de droit de l’UE étaient insuffisantes. Il en avait conçu une grande amertume.

En revanche, ce même 27 mai, le parlement slovène n’a pas pu départager deux autres candidats proposés aussi par le président de la République, Borut Pahor, sur proposition d’un Conseil judiciaire.

Petit rappel : comme tous les états membres de l’UE et à la suite de la grande réforme de 2015, la Slovénie a deux postes de juges au Tribunal européen. Le second juge est attendu depuis 2018. L’autre juge, Miro Prek, était en place et voulait rester six ans encore. La révélation de violences présumées subies par son ancienne maîtresse – une référendaire de son cabinet – avait été faite publiquement par celle-ci seulement quelques jours avant le vote au parlement, en 2019. On ne sait pas quel a été le poids de ces révélations dans le vote des parlementaires slovènes qui se fait toujours à bulletin secret. Toujours est-il qu’il lui ont manqué sept voix pour attendre le minimum exigé de 46 voix

Le 27 mai, le parlement slovène n’a pas réussi à départager les deux candidats qui se présentaient pour le poste de Prek. En lice : Jure Vidmar, professeur de droit international à l’université de Maastricht, qui n’a eu que 36 voix sur les 46 requises, et une ancienne référendaire du juge Prek, Nina Savin Bossière, qui n’a que reçu le soutien de onze députés. En février dernier, les deux candidats avaient été auditionnés. Vidmar faisait état de son implantation internationale et Savin Bossière de son expérience pratique à la cour où elle a commencé il y a quinze ans en tant que juriste linguiste puis en tant que référendaire ce qui lui aurait permis, disait-elle, de faire en pratique le travail d’un juge sauf à participer aux délibérés. Rattachée au juge Prek ,la référendaire aurait dû quitter la cour avec lui, puisque le contrat d’un référendaire est lié au mandat d’un juge, mais elle a été accueillie par le président du Tribunal européen, Marc van der Woude, comme cinquième référendaire. Sa candidature avait été critiquée par la presse nationaliste et populiste parce qu’elle était inconnue en Slovénie et n’avait pas un diplôme d’avocat. Cette même presse avait également critiqué comme une atteinte à la souveraineté du pays l’intervention présumée du juge Ilesic qui aurait poussé la candidature de la Slovène auprès du président du conseil judiciaire.

Marko Ilesic est un des plus anciens juges de la cour de justice, l’autre juridiction, où il exerce depuis près de quinze ans. Professeur de droit, doyen de faculté, arbitre de chambres de commerce, passionné de football, il est arrivé à la cour auréolée du prestige que lui donnaient ses fonctions précédentes de juge à la cour d’appel de L’Uefa et de la Fifa. Il participait encore récemment à une célébration footballistique slovène. A 73 ans, veut-il encore rester à la cour ou retourner à ses premières amours ? La question est posée parce que s’il partait en octobre 2021, à la fin de son dernier mandat, la Slovénie devrait se trouver un troisième juge... Cette histoire est révélatrice d’un certain état de fait : les pays de l’UE de taille moyenne qui doivent trouver tant de juges spécialisés en droit européen ont devant eux une tâche difficile. Le comité 255, critiqué pour pratiquer quelque fois deux poids deux mesures intronisant certains juges et en refusant d’autres sans logique apparente, crée un climat de suspicion voire d’instabilité. Le manque de travail chronique du Tribunal européen qui fait que 54 juges n’y sont pas nécessaires, certains ayant un portefeuille d’affaires plus que mince, rend aussi cette tâche surréaliste.

Dominique Seytre
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