RTL Group

Affaire de familles

d'Lëtzebuerger Land vom 16.04.2003

Agréable n'est, à coup sûr, pas le bon terme. Six semaines après sa nomination à la tête de RTL Group, Gerhard Zeiler a fait mercredi sa première sortie officielle à Luxembourg à l'occasion de l'assemblée générale de la société cotée. Trois heures durant, il a surtout eu droit aux plaintes des actionnaires minoritaires, révoltés voire dégoûtes par le traitement privilégié que Bertelsmann a réservé à GBL, le holding d'Albert Frère. Les premiers litiges opposant des actionnaires institutionnels et privés représentant plus de quatre pour cent du capital de RTL Group à Bertelsmann, qui contrôle 90 pour cent du capital, et son actionnaire GBL seront plaidés au mois de mai.

À part ce bourbier, Gerhard Zeiler a fait jusqu'ici un sans faute à la tête du seul groupe de télévision et radio vraiment pan-européen. Connu en Allemagne pour être le cerveau derrière le succès continu de la « famille » de chaînes RTL, il a aussi veillé à être à la disposition de la presse française, qui a multiplié les portraits de l'Autrichien. Il est vrai que la germanisation de RTL Group à travers l'omniprésence de Bertelsmann continue d'être vue avec suspicion dans l'Hexagone. Mercredi, Zeiler le diplomate, a poursuivi son offensive de charme en rassurant  les actionnaires luxembourgeois : « RTL Group est une entreprise luxembourgeoise et une réelle société européenne au sens noble du terme. Le siège restera ici. »

En général, la nomination de Zeiler est considérée comme un renforcement de l'emprise de Gütersloh, le siège de Bertelsmann, sur RTL Group. Un jugement à relativiser. « Il existe une vraie école Bertelsmann, mais Gerhard Zeiler ne sort pas de là. C'était à l'époque encore Ferd Kayser qui est allé le chercher pour diriger d'abord Tele5, dans laquelle la CLT avait une participation, et ensuite RTL II, » rappelle Dan Arendt. L'ancien secrétaire général de RTL Group est aujourd'hui associé de Deloitte [&] Touche spécialisé sur les médias. « Zeiler est certainement quelqu'un d'apprécié à Gütersloh, concède-t-il, mais il l'est aussi par les professionnels au sein de RTL Group. » L'ancien patron de la télévision publique autrichienne ORF est en effet membre du conseil de la fondation à travers laquelle la famille Mohn contrôle Bertelsmann.

Zeiler n'est donc pas un « Bertelsmann » pure souche. Mais d'autres observateurs constatent qu'on n'a pas moins nommé un germanophone à la tête du groupe. Ceci confirme une concentration sur le marché allemand, qui représente quelque 70 pour cent de son résultat brut.

Didier Bellens, aujourd'hui patron de Belgacom, à laissé à son successeur Zeiler un groupe en bonne santé, au moins compte tenu des circonstances. En 2002, RTL affiche certes pour une deuxième année consécutive une perte nette. Son résultat opérationnel est par contre en hausse de plus de 50 pour cent et se rapproche à nouveau des chiffres de 2000. 

« Dans le contexte de la crise des médias, RTL semble plus fort aujourd'hui qu'avant, estime Dan Arendt. C'est aussi le mérite de Didier Bellens. » Le financier belge est certes apprécié pour sa gestion du groupe, mais pas nécessairement reconnu comme un véritable homme des médias. Sous sa direction, RTL a cependant réussi à réduire ses dépenses tout en maintenant, voire en améliorant sa position concurrentielle.

RTL Group a pourtant commis les mêmes erreurs que ses concurrents. Or, plus prudente, la société du Kirchberg ne se retrouve aujourd'hui pas pour autant dans les mêmes mauvais draps que Kirch, Vivendi Universal ou encore AOL Time Warner. En 2002, on ne retrouve ainsi plus les mêmes coupes claires dans les résultats que l'année précédente, qui s'était clôturée sur une perte record de 2,5 milliards d'euros expliquée par des corrections de valeurs sur des participations récemment acquises. 

« C'était la stratégie du moment, se rappelle un ancien du groupe. Tout le monde faisait des acquisitions et celui qui ne suivait pas perdait en comparaison en importance. » Le principal coup réussi à l'époque était la reprise de la société de production Pearson TV, aujourd'hui rebaptisée FremantleMedia. « Fondamentalement, la combinaison de CLT-Ufa avec une société de production fait du sens et porte aujourd'hui ses fruits, » affirme Dan Arendt. 

« Soit on a procédé à cette acquisition trop tôt, soit trop tard, tempère une autre source. Le bilan n'est pas positif alors qu'à cause des problèmes du bras américain de Pearson TV, ses activités ont été réduites de quasi 50 pour cent depuis l'acquisition. » La correction de valeur sur cette participation en 2001 était de 2,3 milliards d'euros. Parmi les conséquences on trouve le fait que le holding RTL Group n'a ni en 2001, ni cette année versé d'impôts à l'État luxembourgeois.

Selon sa direction, RTL Group est aujourd'hui positionné à merveille pour profiter d'une éventuelle reprise des marchés publicitaires. En Allemagne et en France, la position n'a jamais été aussi forte. Aux Pays-Bas, on espère avoir passé le pire. Au Royaume-Uni, la petite dernière, Five, se développe bien et ne devrait plus perdre d'argent en 2003. Seul bémol : la mère du concept à succès « football, films and fucking » (sic) a quitté la chaîne en direction de Sky. Après restructuration des activités de production, leurs résultats progressent de nouveau.

L'aspect le plus particulier de RTL Group en ce début 2003 est peut-être que la société... n'a pas de projets. Il faut sans doute remonter au début des années 1980 pour retrouver une situation similaire. La seule ambition affichée est la montée dans le capital de la chaîne de télévision espagnole Antena 3, dans laquelle RTL détient 17,3 pour cent. Or, tout indique que Telefonica, l'actionnaire majoritaire, qui doit se défaire de sa participation, préfère vendre à un acteur local, en dépit du président espagnol du conseil d'administration de RTL. Mercredi, Gerhard Zeiler refusait de s'admettre battu. Il peut s'imaginer soit un partenariat avec le nouvel actionnaire principal soit d'étoffer la participation par des rachats d'actions en Bourse. 

Les autres perspectives qu'il a présentées sont plutôt maigres : accroître les synergies (à l'exemple de « Pop Idol », émission produite par Fremantle et diffusée par M6 après l'énorme succès sur RTL Allemagne), contrôle des coûts et développement des revenus hors publicité. Outre la production, ces derniers incluent le téléshopping et la participation payante à des jeux grâce aux appels téléphoniques et aux SMS. 

Sur les projets d'avenir, on reste sur sa faim. « Depuis 18 mois, le message est qu'il n'y a plus d'argent et donc plus d'expansion, explique un ancien de RTL. Si l'actionnaire donne un jour d'autres instructions, on va relancer la machine. »

Le grand absent chez RTL est ainsi l'Europe centrale. Dans un an, l'Union européenne comptera 25 pays et sur les dix nouveaux, RTL n'est présent que dans un seul : la Hongrie. RTL Klub y a une part de marché de 42 pour cent. RTL n'avait pas réussi à décrocher de fréquence hertzienne en Pologne et s'est retiré en 2001. Plutôt que de profiter de la faiblesse financière de la concurrence, RTL Group les imite donc dans leur attentisme de meilleurs jours. 

La grande question est si Gerhard Zeiler pourra insuffler un peu de dynamique dans le développement de RTL Group. Ce n'est pas sûr. Il est d'abord un homme très occupé, puisqu'il reste responsable de la famille de chaînes de RTL en Allemagne ­ même si certains observateurs doutent que cette situation pourra durer. 

En tant que patron à Cologne, le réflexe naturel de Zeiler ne sera ensuite pas nécessairement de renforcer le rôle stratégique du Kirchberg dans le groupe. Il pourrait plutôt être tenté de laisser continuer la tendance, qui se dessine depuis un certain temps déjà, qu'au holding on veille aux chiffres alors que la stratégie se fait sur les marchés nationaux. La principale initiative en 2001, l'entrée dans le capital de la chaîne d'information n-tv suit ainsi une stratégie définie à Cologne. Le regroupement au niveau national des activités de RTL a fait du holding plus un fédérateur de familles de chaînes qu'un véritable groupe avec une stratégie globale.

Pour donner un peu de cohérence au tout, Didier Bellens avait certes établi un « operations management committee ». Les différents responsables nationaux s'y retrouvent une fois par mois pour un échange d'expériences et d'idées. Or, cet OMC travaille plus sur base de recommandations et de bonne volonté qu'en tant qu'outil par lequel l'administrateur-délégué traduirait son emprise sur le groupe.

Gerhard Zeiler a certes renversé une décision de Bellens qui indique qu'il veut peser un peu plus sur les composantes de RTL Group. Alors que le Belge avait réduit son comité de direction à trois financiers, Zeiler a de nouveau élargi le sien à six personnes, un savant mélange de barons du groupe et de « Bertelsmänner ». Reste à voir s'ils ne vont pas veiller surtout à se neutraliser les uns les autres.

Les plus grandes questions concernent toutefois Gütersloh. Sous le nouveau patron, Günther Thielen, les entités opérationnelles sont supposées retrouver plus d'autonomie. Gerhard Zeiler n'a cependant pas davantage que son prédécesseur été nommé au comité de direction de Bertelsmann - officiellement parce que RTL est coté en Bourse. 

Les décisions définitives sur la place de RTL Group dans Bertelsmann - dont celle de la cotation en Bourse de RTL - devraient rester en l'air jusqu'en 2005. D'une part, il y a les litiges avec les actionnaires minoritaires qui prendront du temps pour passer les instances. D'autre part, il y a de grands points d'interrogation sur la possibilité accordée à Albert Frère d'introduire ses 25,1 pour cent de Bertelsmann en Bourse. Pour l'instant, les deux principaux intéressés s'amusent aux jeux habituels en faisant savoir, à qui veut l'entendre, que c'est leur dernier souci.

 

Jean-Lou Siweck
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