Noms de domaine alternatifs

Vaste offensive contre le navire-amiral de la flibuste

d'Lëtzebuerger Land du 12.12.2014

The PirateBay, qui se vantait d’être le site de partage de fichiers « le plus résilient » du Net, a succombé à une razzia de la police suédoise cette semaine. Mis hors ligne dans la journée de mardi, il restait aux abonnés absents mercredi soir, preuve que ses opérateurs étaient cette fois-ci confrontés à des obstacles autrement plus graves que lors des précédentes offensives visant à le mettre hors-ligne.

Habitué des attaques visant à le neutraliser, The PirateBay s’est en effet doté au fil des ans d’un écheveau complexe de miroirs et de noms de domaine alternatifs, prêts à prendre la relève du dispositif principal, hébergé ces derniers temps sous un nom de domaine suédois. Dans le monde du partage de fichiers, même cette période d’un peu plus de 24 heures pendant lesquelles le navire-amiral du piratage sur Internet n’a pas fonctionné représente déjà une victoire majeure, même si elle est symbolique, pour ses ennemis jurés, les organisations d’ayant-droits des films, morceaux de musiques, programmes et autres œuvres et fichiers qui s’y échangent par millions. L’intervention des forces de l’ordre suédoises a aussi abouti à la disparition du forum associé au site, logé à l’adresse The SuprBay.

Un site miroir fonctionnant sous un nom de domaine costaricain et apparemment hébergé sur un serveur aux Pays-Bas, arborait le logo pirate et sa célèbre mise en page spartiate mercredi en fin de soirée, listait des torrents, des fichiers légers qui permettaient de télécharger films, musiques et autres objets numériques, mais était considéré par certains comme un faux.

L’offensive de la police suédoise a été précédée la semaine dernière d’une victoire de l’organisation d’ayants-droits Société Civile des Producteurs Phonographiques (SCPP) en France, où elle a obtenu d’un tribunal qu’il ordonne aux fournisseurs d’accès à Internet de bloquer l’accès au site. Une mesure analogue a récemment été prise en Inde.

Si l’on en juge par l’histoire passée du site, créé par quatre associés en Suède en 2003, il en faudra plus cependant pour le mettre définitivement à genou. Ces quatre associés ont fait l’objet de poursuites judiciaires et ont été arrêtés et condamnés, dans des circonstances parfois rocambolesques. En 2009, trois d’entre eux, Fredrik Neij, Gottfrid Warg et Peter Sunde, ont écopé d’un an de prison et d’amendes totalisant plusieurs millions d’euros.

Mais somme toute, depuis 2003, toutes ces attaques ont abouti, tout au plus, à des mises hors ligne temporaires, dont la plus sérieuse remonte à 2006. Le site pirate compte des dizaines de millions de participants (« pairs ») qui se partagent des millions de fichiers. Soutenu par des volontaires un peu partout dans le monde, il parvient à déjouer les poursuites judiciaires, les confiscations de serveurs, les attaques de déni de services et autres obstacles auxquels recourent les ayants-droits en reconstruisant à chaque fois un réseau de secours.

S’adressant mercredi au site spécialisé TorrentFreak, Peter Sunde, un de ses cofondateurs, s’est dit heureux que le site soit hors ligne, estimant qu’il avait perdu son âme en acceptant de grandes quantités de publicités au goût douteux et qu’il avait fait son temps puisqu’il a rempli sa mission qui consistait à ses yeux à « mettre les torrents à la portée des masses ».

En 2012, un des animateurs de The PirateBay estimait que le site était désormais « intouchable » car entièrement hébergé sur le « cloud ». Une affirmation sans doute quelque peu péremptoire mais il faut reconnaître que faute d’infrastructures techniques confiscables, les policiers sont obligés de recourir à des strategèmes beaucoup plus élaborés pour paralyser un site comme The Piratebay, qui semble bel et bien incarner la devise « fluctuat nec mergitur ».

Jean Lasar
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