La génération Bettel au pouvoir : Instantanés de sept membres du gouvernement libéraux, tous novices

La bande à Bettel

d'Lëtzebuerger Land vom 06.12.2013

Portrait de groupe Pour le Premier ministre Xavier Bettel, la politique, c’est aussi une histoire d’amitiés : Corinne Cahen, il la connaît depuis l’école primaire, Claude Meisch, il l’a rencontré dans son adolescence à la Jeunesse démocrate et libérale. C’est avec lui qu’il a fait campagne devant les discothèques de la rue de Hollerich, et c’est avec lui aussi qu’il entre en 1999 à la Chambre des députés. Si le style politique de Bettel est très personnel, sa manière d’exercer le pouvoir politique l’est tout autant. Au Luxemburger Wort, Bettel avait avoué : « Pour moi, il est important d’avoir des amis en politique ; des personnes avec qui j’aime aussi passer du temps en privé. » Après, viennent les utiles : Fernand Etgen, ancien préposé à l’Enregistrement et infatigable bûcheur de dossiers, qui se qualifie lui-même de « fidèle soldat du parti » ; André Bauler, intrépide lobbyiste pour les intérêts du Nord qui avait su attirer les voix de la frange conservatrice des enseignants ; et Maggy Nagel se plaignant à tous les congrès du peu d’intérêt que le DP portait à sa circonscription. Ils ont été rejoints par un ministre privatisé : Pierre Gramegna. L’horizon idéologique restreint, économiquement libérale par réflexe, une nouvelle génération du DP arrive au pouvoir.

La marque Xavier Bettel a pu se lancer en politique – jusqu’à s’établir comme « une marque : je suis le Bettel, où que j’aille » – grâce à l’appui des grandes dames de la bourgeoisie libérale de la Ville, Lydie Polfer, Anne Brasseur et Colette Flesch. Mais la manière dont il a géré les négociations de coalition a fait apparaître que le DP était aussi en ligne avec la nouvelle garde de la place financière. Après Alain Kinsch invité à la table des négociations, le directeur de la Chambre de commerce Pierre Gramegna fait son entrée au gouvernement. Il dit n’en avoir été pas peu surpris ; car « je n’ai jamais été membre du DP, je n’étais jamais actif politiquement, et je ne me suis pas présenté aux élections ».

Le diplomate Alors que le triumvirat Alain Kinsch, Norbert Becker et Kik Schneider négociait au sein du groupe de travail « finances et banques » le programme de coalition en matière fiscale et budgétaire, Claude Meisch en allait faire des rapports au directeur de la Chambre de commerce Pierre Gramegna. Celui-ci prétend n’avoir accepté entrer au gouvernement « qu’à condition que le programme de coalition contienne des valeurs de référence qui permettront au ministre des Finances de mener à bien son action et de prendre des mesures de réduction des dépenses ». Puis il hésite et ajoute : « et d’autres mesures… » Si on suit la trame chronologique de Gramegna, il n’avait pas encore reçu l’appel de Bettel lorsque, le 6 novembre, il présentait à la presse les revendications qu’adressait la Chambre de commerce au formateur. Revendiquant un « nouveau business plan » pour le Luxembourg, la CCL posait la question rhétorique : « Est-il réaliste, opportun, voire nécessaire, de considérer que le niveau de vie actuel du Luxembourg doit être la norme ? » Pour Gramegna, « de ce que la CCL a dit hier, on peut éventuellement s’inspirer. Ce document contient de bonnes idées. Mais je ne peux prendre comme référence le programme de souhaits de la CCL, ma référence est l’accord de coalition. »

Sera-t-il candidat aux prochaines élections ? « Je ne le sais pas » Est-ce un avantage de ne pas avoir à penser à sa réélection lorsqu’on doit décréter des mesures impopulaires ? « Je ne le sais pas non plus », répond-il au Land. Il aurait surtout voulu aider son pays, sa propre personne serait secondaire. Qu’en est-il de sa légitimité vis-à-vis des autres ministres, lorsqu’il devra leur expliquer les coupes budgétaires ? « Je fais partie d’une équipe gouvernementale et je suis ministre comme tous les autres. Je ne vois pas de raison d’en faire une polémique. Le fait que je ne sois pas élu appartient désormais au passé », répond Gramegna deux heures après son assermentation. Un diplomate soyeux pour plaider la cause de la place financière sur le parquet international et organiser la promotion économique auprès d’investisseurs chinois, russes et qataris, c’est une chose ; imposer une politique d’austérité (Bettel parlait mercredi de « mesures désagréables ») à la population locale, c’en est une autre. Mais il semble que dans les rangs du DP, personne n’était trop enclin à endosser ce rôle. Ce sera peut-être ça aussi le style Bettel : la délégation.

L’effacé Claude Meisch se rappelle avoir pris en 2004 la présidence d’un parti sorti du gouvernement avec le CSV avec un tiers de députés en moins et « terriblement secoué, terrassé, dont les membres étaient démotivés ». Pour les élections de 2009, Meisch fut propulsé tête de liste, mais le style soigneux et austère du fils de bijoutier et ancien employé de banque, dont les interventions étaient plates comme un trottoir de rue, provoquait surtout l’ennui. Si Claude Meisch est peu charismatique, il a eu l’intelligence de l’avoir compris : Son ascension politique ne se fera que derrière le parti, et Xavier Bettel. Or, celui que tous voyaient ministre des Finances, s’est désisté : comme raisons, Meisch invoque tour à tour des raisons personnelles de père de famille et le peu d’intérêt qu’il porterait à la politique internationale, cadre où se définit la marge de manœuvre fiscale du Luxembourg. Il a choisi l’Éducation, mais avoue ne pas pouvoir dire «  que c’est un domaine qui m’aurait fasciné ou que j’aurais étudié depuis des années ».Pour un rejeton de la petite bourgeoisie, sa propre scolarité, qui passa par le Lycée technique de Pétange, fut atypique et s’apparenta à un déclassement social. Il sera intéressant de le voir se confronter à l’élitisme d’une partie du corps professoral. Son secrétaire d’État André Bauler, sous la direction duquel le groupe de travail éducation avait failli faire sauter les négociations de coalition, se voit « plutôt comme ministre remplaçant ».

La commerçante Corinne Cahen s’insère à merveille dans l’univers Bettel. Ancienne de RTL, où elle présentait entre autres l’émission people Place royale, cette patronne de 23 employés a petit à petit amorcé son entrée en politique par les réseaux sociaux (sur Facebook elle a une audience de 2 500 « amis »). Comme ancienne présidente de l’Union commerciale de la Ville de Luxembourg, elle s’engageait pour des horaires d’ouverture plus flexibles, comme candidate, elle défendait un salaire jeune en-dessous du salaire minimum. Comme ministre de la Famille et de l’Intégration, responsable des services de soins, de la Caisse nationale des prestations familiales et du RMG, elle sera chargée de superviser la mise en place d’un « agenda 2030 » dont les contours devront encore se préciser au fil des prochains mois.

La politicienne locale Maggy Nagel ministre du Logement et de la Culture, devrait se tirer d’affaire : les moqueries sur son style vestimentaire exprimés par les hipsters et autres « gens cultivés », finiront par la rendre sympathique aux yeux de beaucoup.

Les discrets Reste l’inconnu de qui Xavier Bettel se choisira pour le seconder au ministère d’État et à qui il donnera le droit de lui clouer le bec. Les spéculations vont bon train, les deux assistants de Bettel aux discussions de coalitions préfèrent se tenir cois : Jean-Paul Senninger, ancien chef de cabinet de Lydie Polfer à la mairie et au ministère des Affaires étrangères, répond par un « on ne peut rien exclure » tandis que Jacques Thill, conseiller de gouvernement au ministère d’État, se contente de dire qu’il y restera « a priori ». Quant au numéro trois du DP, le secrétaire de fraction et spin doctor Theisen, il semble promis à une belle carrière.

Bernard Thomas
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