Art contemporain

[/'jiːhɔ/] !

Mike Bourscheid et Vince Tillotson durant leur performance
Photo: Trash Picture Company
d'Lëtzebuerger Land du 09.03.2018

Mike, dans un juste-au-corps jaune citron, entre en premier. Il monte sur la scène ronde, dont le sol est peint en orange. Au centre, un totem en bois ; à côté un banc, une boîte de carottes épluchées, des fers de différentes épaisseurs. Mike porte un casque surmonté d’un fanion bicolore vert et orange et d’une... carotte ; aux pieds, des baskets hautes en couleurs. Il se met à marcher en rond, patiemment. Entre Vince. Tenue bicolore orange et verte, marcel et legging ; sur la tête, une sorte de toque avec la même carotte au-dessus ; aux pieds des bottes de cowboy. Il se met à suivre Mike dans ses rondes. Ils changent de rythme, parfois le premier marche plus vite, parfois le second se met à courir ; parfois l’un des deux s’arrête net. Et de temps en temps, ils lancent un tonitruant Yee-Haw ! (dont le titre de cet article est la transcription phonétique) qui réveille l’auditoire s’étant placé le long des murs de la première salle de la galerie Nosbaum-Reding au Marché-aux-poissons.

Le public est venu en nombre à ce vernissage original, le 22 février, pour assister à une des rares performances de l’artiste luxembourgeois Mike Bourscheid, qui vit et travaille entre la Minette et Vancouver au Canada et avait représenté le Luxembourg à la biennale d’art de Venise l’année dernière. Les deux hommes continuent leur ronde, « on est tous les deux un peu cheval et un peu cowboy » expliquera l’artiste plus tard. De prime abord, on dirait que lui, Mike, joue plutôt le rôle du cheval et Vince Tillotson celui du cowboy. Parce que parfois, Vince monte sur le petit banc, puis sur le dos de Mike, op den Hatzebockel, dans la sorte de selle que Bourscheid a confectionnée lui-même (comme il le fait toujours pour tous ses costumes). D’autres fois, il est vrai, Vince s’arrête au même banc et passe un pied à Mike, qui le ferre d’une de ces talonnettes également faites sur mesure – ce qui va non seulement modifier sa dégaine claudiquante, mais aussi le son de ses pas. Ce serait donc lui le cheval plutôt ? Parfois aussi, Mike agrippe le harnais attaché à la toque de Vince, freinant ainsi sa marche. À d’autres moments, il sort une cigarette du paquet glissé dans le costume de Vince, l’allume, la fume, et met les cendres dans le réceptacle également prévu pour l’occasion dans le costume de son comparse.

Les deux hommes tournent et tournent – et le public les fixe, un sourire aux lèvres, dans l’attente de ce qui va se passer en prochain. Cela dure une demi-heure et aucun des artistes ne tombe d’épuisement. Puis les accessoires sont sagement fixés sur le totem et les crochets prévus pour l’occasion aux murs et les gens se regardent, perplexes. Il y en a qui partent, fâchés, lançant un « n’importe quoi ! » furieux ou un « je n’ai rien compris ! » dubitatif. Certains y voient un rituel sadomasochiste ou homoérotique, d’autres de la pure provocation.

Pourtant, cette performance No lemon, no melon, créée pour l’exposition éponyme – sa première exposition personnelle au Luxembourg –, s’inscrit très directement dans le travail récent de Mike Bourscheid : il s’agit d’une allégorie de ce grand lost in translation qui l’occupe depuis un moment. Thank you so much for the flowers faisait déjà référence au brouillage de pistes que Mike Bourscheid constate au quotidien dans son travail entre deux continents, en l’occurrence cette tendance des Américains de tout exagérer, y compris les compliments. En plus, lui, l’homme baraqué qui a l’air d’un dur-à-cuire, adore aussi transgresser les codes entre les sexes et les genres. Il aime coudre ses costumes lui-même, avec un amour impressionnant du détail, et trouve que c’est aussi son droit de porter du rose si cela lui chante. No lemon, no melon parle de cette perturbation des définitions claires, nous dit que le monde n’est pas binaire mais complexe. Et si en plus, cela nous fait rire, c’est encore mieux.

Dans le couloir de la galerie, on peut découvrir les dessins préparatifs de Mike Bourscheid, pour les costumes et les mises en scènes, très rigolos. Et dans la salle arrière, l’exposition permet au public luxembourgeois qui n’a pas pu faire le voyage jusqu’à Venise, de revoir quelques-uns des objets qui firent partie de son installation dans la Ca’ del Duca : les formes de spéculoos en bois, le vase qu’il porta sur la tête et les petites poteries qui étaient fleuries durant toute la durée à Venise. Les fleurs comme symboles des compliments que l’artiste reçoit lorsqu’il est au centre de l’attention. Ici, ils sont vides. C’est dommage.

L’exposition de Mike Bourscheid, No lemon, no melon chez Nosbaum-Reding dure encore jusqu’au 24 mars ; à cette occasion paraît aussi le catalogue du pavillon vénitien de Mike Bourscheid, Thank you so much for the flowers, en co-édition avec le Casino Luxembourg ; ISBN 978-2-9599765-4-4 ; 25 euros ;
en vente à la galerie ; www.nosbaumreding.lu.

josée hansen
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