Taxis

Roule toujours

d'Lëtzebuerger Land vom 23.04.2009

Un rapport, qui a coûté entre 250 000 et 350 000 euros, selon les sources, sur l’avenir et le sort du secteur des taxis après juin 2009, tarde à être publié alors qu’on le dit, en coulisse, « prêt à l’emploi ». « L’étude est sur le point d’être terminée », nuance-t-on au ministère de l’Économie et du Commerce extérieur, qui en est le principal commanditaire. Ses conclusions sont déjà connues d’un petit cercle de gens, mais pas au-delà. Les professionnels n’ont eu droit, au début de l’année 2009, qu’à l’un des volets de l’étude. Pas le plus consensuel d’ailleurs, puisqu’il s’agissait dans un premier temps pour les consultants de la firme Ernst [&] Young, mandatée par Jeannot Krecké, d’établir le prix d’une course de taxis. 

La probable libéralisation du secteur, qui peut prendre plusieurs formes plus ou moins discrètes, constitue le second volet du rapport. Le plus politique et le plus délicat aussi à quelques semaines des élections législatives. Faire passer une libéralisation des taxis pourrait déclencher une polémique inutile dans le pays, avec le risque d’un déchaînement des passions chez ceux qui jugent que l’abolition des prix maxima et l’ouverture du robinet des licences de chauffeurs de taxi débouchera sur une hausse des prix, alors que c’est le contraire qui est recherché. Les partisans de la libéralisation estimant que la concurrence – si les autorités ne limitent plus le nombre de licences dans certaines zones, scénario très probable – contribuera à normaliser le secteur et aura, du coup, un effet positif sur les tarifs. Les représentants d’une des rares branches des transports à ne pas être subventionnée pourraient  être invités prochainement par le ministre LSAP à la présentation de ce dernier volet de l’étude. Le rapport d’Ernst [&] Young explore, raconte-ton, les pistes d’une réforme du secteur des taxis qui a bien sûr pour objectif, la baisse des prix des courses, présentées comme les plus chères en Europe.

La multiplicité des scénarios explorés par le consultant traduit sans doute les hésitations des deux ministres en charge de la réforme : outre Jeannot Krecké à l’Économie, son collègue de parti et ministre des Transports Lucien Lux travaille aussi sur un dossier qui n’a pas que des enjeux économiques. Le volet relatif à la réglementation routière est aussi un plat de consistance. À l’aéroport, par exemple, où l’activité des taxis est très réglementée, les textes doivent être réécrits en tenant compte du caractère « privé » du terrain, qui est passé dans les mains de LuxAirport. La Chambre des métiers met d’ailleurs une dernière main à son avis relatif au projet de règlement grand-ducal sur la circulation à l’aéroport. 

La réforme des taxis ne sera pas annoncée sous cette législature. Elle attendra l’après juin-2009. S’il rempile au gouvernement et en particulier aux commandes de l’Économie et au Commerce extérieur, ce sera un des chantiers auxquels se collera Jeannot Krecké. Après, évidemment, que la crise sera derrière lui. Il serait politiquement suicidaire de s’y attaquer avant l’échéance de juin, alors que le secteur des taxis est touché de plein fouet par la crise, les hôtels de la capitale s’étant vidés de ses hommes et femmes d’affaires. Les firmes de taxi n’embauchent plus et les chauffeurs, traditionnellement très volages à l’égard de leurs employeurs en raison des salaires et des conditions de travail peu aguichantes, s’accrochent désormais davantage à leur patron. 

Il y a un peu plus d’un an que l’on attend un nouveau règlement grand-ducal fixant les prix maxima des courses de taxi. Ces prix officiels n’ont pas évolué depuis 2001, en dépit d’un règlement de 2004 qui n’a fait que cloner les anciens tarifs. Dans la réalité, les firmes de taxi ont totalement ignoré la réglementation, jugée inadaptée, et imposé leur propre prix. La principale entreprise du secteur, Colux, avait mené le bal et fut très rapidement suivie par ses principaux concurrents (d’Land, 01/02/2008). Ce règlement s’inscrivait dans la logique de la mini-réforme de la loi de 2004 sur la concurrence. Le texte permet désormais de sanctionner les infractions des firmes de taxi au règlement de 2004, fixant les prix maxima (tarif ordinaire d’un voyage aller/retour au point de départ) à 1,02 euro par kilomètre, avec une prise en charge, c’est-à-dire le prix minimum de la course, à cinq euros. Ce tarif officiel que personne ne respecte est à comparer avec les prix des principales firmes de taxi (dont Colux), qui pointent à 1,30 euro/km avec une prise en charge de 2,50 euros. 

Toujours est-il que plus personne au ministère de l’Économie ne veut entendre parler de ce règlement de 2004. D’ailleurs, les amendements apportés à la loi sur la concurrence auraient dû  en principe amener les fonctionnaires à modifier ce règlement grand-ducal. Preuve supplémentaire que le texte est devenu obsolète : aucune sanction à l’encontre des firmes de taxi qui n’appliquent pas les prix officiels n’est intervenue depuis plus d’un an. 

Pour autant, les autorités vont-elles abandonner leur contrôle sur les prix des taxis, qui restent encore sous tutelle avec les prix des médicaments et des produits pétroliers ? À moitié peut-être. La réponse est dans le rapport d’Ernst [&] Young encore à publier.Le consultant avait toutefois fourni en janvier 2009 aux professionnels des indications de ce que pourraient être les tarifs officiels des prestations de taxis. Sur la base d’une prise en charge à 2,50 euros telle qu’elle est actuellement pratiquée sur le marché, le prix au kilomètre d’un aller-retour ordinaire serait de 1,14 euro en 2009, sur la base d’un honnête « taux de rémunération » de huit pour cent pour les firmes.

Avec une prise en charge à cinq euros, telle qu’elle est inscrite encore aujourd’hui dans la réglementation, ce tarif passerait à 1,10 euro du kilomètre parcouru.

Il s’agirait là, selon Ernst [&] Young, de prix tenant compte de marges bénéficiaires « raisonnables » à réaliser par des entreprises « bien gérées ».  Or, actuellement, la plupart des firmes de taxis estiment que le coût de revient au kilomètre ne permet pas de descendre sous les 1,27 euro, en tenant compte d’une TVA qui est au plancher (trois pour cent au Luxembourg). Avec un marché qui affiche des tarifs à 1,30 euro par kilomètre, la marge de manœuvre n’est pas très large, à moins de rouler en Logan d’occasion, les voitures parmi les moins chères du marché. 

Les professionnels s’interrogent en tout cas beaucoup sur le bien-fondé de l’analyse économique des coûts réalisée par Ernst [&] Young qui a abouti à 1,14 euro/km. Cette étude tient-elle compte par exemple des conventions collectives dans le secteur des taxis ? On voit bien pourquoi, dans ce contexte, le ministre de l’Économie, a du mal à trancher dans le vif et imposer un règlement grand-ducal à tout le monde et partout. Il aura sans doute encore davantage de difficultés à faire passer une grande réforme de la législation sur les taxis, qui remonte à 1997. 

La solution pourrait venir d’un compromis qui imposerait des prix réglementés uniquement aux taxis situés sur les emplacements spéciaux, comme la Gare ou l’Aéroport. Pour le reste, ce serait le régime de semi-liberté dans un secteur encore « captif »  qui est sans doute loin d’être sorti du chaos.  

Véronique Poujol
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