Anne Michaux, The Perpetual Now

Aliénation visuelle

d'Lëtzebuerger Land du 09.12.2011

C’est en 2006, déjà à la Leslie’s Art Gallery à Bridel, qu’Anne Michaux a montré pour la première fois son travail photographique à un public luxembourgeois. À partir de ce moment-là, elle a systématiquement développé une recherche qui s’agence essentiellement autour de la narration visuelle et de la mise en scène photographiques. En 2007, à l’occasion de Roundabout, une exposition collective organisée à la Rotonde 2, Anne Michaux avait présenté une photographie monumentale qui reflétait l’aspect spectaculaire de son travail. Dans une photographie murale appliquée en papier peint, elle montrait une image photographique prise en gros plan d’un paysage approximatif, qui se révélait dans un flou photographique. Le sujet était une maquette de paysage qu’elle avait réalisée en modèle réduit.

L’artiste, qui vit et travaille à Berlin, utilise le médium photographique pour créer un espace imaginaire qui oscille entre paysages apocalyptiques, panoramas de villes crépusculaires et visions arcadiennes qui sont tous plongés dans un flou persistant qui réduit la mise au point de l’image à un endroit très précis et isolé, de la prise de vue. Ce maniérisme conduit à une diffusion de la lumière et des couleurs que l’on pourrait comparer à un sfumato pictural. Cela donne des séries photographiques où l’évanescence des détails induit le caractère fantastique et irréel des scènes d’Anne Michaux.

En 1996, Dominique Baqué avait donné une définition de la « photographie plasticienne ». La critique photo attitrée d’Art Press y expliquait que la photographie avait développé une dynamique interne qui allait, par exemple, la mener vers le « tableau photographique » vers la fin des années 1980. Il reste que la photographie n’est pas une entité autonome, mais qu’elle est produite par des femmes et des hommes. Dans le cas d’Anne Michaux, par une artiste qui n’est pas photographe de formation, mais qui utilise le médium en exploitant une de ses caractéristiques exemplaires qu’est la notion de profondeur de champ. Cette profondeur de champ, qui est liée dans ce cas à des gros plans extrêmes, n’est pas utilisée dans une perspective documentaire qui est sinon généralement liée à la macrophotographie. En dépassant cet académisme photographique Anne Michaux crée ses images qui se jouent en permanence des rapports d’échelle. Elle ne crée pas des illusions de réalité dans le genre des maquettes architecturales, mais elle introduit régulièrement des éléments étranges et étrangers ce qui produit une sorte d’aliénation visuelle récurrente dans son travail de ces dix dernières années.

Anne Michaux aime produire des séries, mais en même temps chacune de ses photographies accuse une autonomie qui est soutenue par l’esthétique forte de ses images.

Pour la suite d’images la plus récente, Luna Park, elle a pris la décision de recoudre des fragments de tirages afin de reconstituer un assemblage de grand format. Cette démarche semble assez iconoclaste par rapport au comportement très révérenciel qu’entretiennent la plupart des photographes aux tirages et aux agrandissements de leurs images. Or, il ne s’agit pas d’un patchwork chaotique, mais plutôt d’une recomposition assez fidèle au sujet construit de ses images. Anne Michaux utilise du fil de couleur pour transformer la photographie en une espèce de tapis coloré et figuratif. Cette technique signifie peut-être au mieux le paradoxe essentiel de ces images qui ont aussi bien plasticiennes autant qu’elles font référence à des aspects purement photographiques (comme la profondeur de champ).

Anne Michaux revendique son imaginaire personnel comme seul sujet et elle y applique cette notion d’arrêt sur images (film stills) d’un film qui n’existe pas encore. Pour sa nouvelle exposition, l’artiste affirme son talent de créatrice d’images, tout en reprenant une vision qui a été très explorée au début des années 1990 par des artistes comme David Levinthal par exemple. Il y a le plaisir de regarder, mais il y a une étrange dissociation de l’actualité qui est pourtant en train de redevenir un souci principal pour une figuration narrative actuelle.

L’exposition The Perpetual Now d’Anne Michaux dure encore jusqu’au 22 décembre à la Leslie’s Artgallery, 66-68, rue de Luxembourg à Bridel ; ouvert les jeudi de 15 à 20 heures ou sur rendez-vous au téléphone : 621 132 890 ; informations supplémentaires : www.lesliesartgallery.eu.
Christian Mosar
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