Roumanie

Une vague criminelle

d'Lëtzebuerger Land du 01.02.2019

La scène semble tirée d’un film d’horreur et elle compte déjà 150 000 visualisations sur YouTube. Elle a eu lieu dans la nuit de 12 janvier à Medias, petite ville située au centre de la Roumanie. Le jeune Marius Costachescu sort en courant d’un bistro poursuivi par trois hommes, mais, pas de chance, il glisse sur le trottoir givré et se fait rattraper. Pendant plusieurs minutes il reçoit des coups de pieds sur la tête et dans le dos jusqu’à ce que l’un des agresseurs, Marius Rusu, âgé de 30 ans, le poignarde à mort avec un couteau. Les policiers ont compté onze frappes mortelles. Les agresseurs ont été arrêtés après avoir été rapidement identifiés sur le film enregistré par une caméra située sur la tour de la ville.

Une copie de ce film a été mise sur Youtube et les Roumains ont découvert ce crime filmé en direct. Ils ont été doublement choqués en constatant que Marius Rusu était un criminel récemment libéré par le gouvernement. Son casier judiciaire contenait déjà une condamnation à quatre ans de prison pour vol et une deuxième condamnation à douze ans de prison pour deux tentatives d’homicide. En 2018, à l’instar de Marius Rusu, 14 402 détenus ont bénéficié de la grâce gouvernementale. 724 d’entre eux ont récidivé aussitôt après être sortis de prison et se retrouvent à nouveau derrière les barreaux.

Ces derniers mois, le nombre de viols et de vols accompagnés de violences est monté en flèche et leur médiatisation multiplie la criminalité dans le pays. En l’absence de programmes de réinsertion dans la société, nombre de détenus libérés retrouvent leurs anciennes habitudes. « La mort fait des ravages dans la rue et nous la contemplons les bras croisés, a déclaré Stelian Ion, député de l’Union Sauver la Roumanie (USR), dans l’opposition. Nous avons essayé d’amender la loi, nous l’avons attaquée à la Cour constitutionnelle, mais nous n’avons pas pu bloquer cette décision du gouvernement. Des gens innocents sont tués, d’autres sont volés et tabassés, et des femmes sont violées par des criminels relâchés de prison sans aucun discernement. Combien de gens doivent encore mourir pour que le gouvernement abroge cette loi ? »

L’opposition de droite accuse le gouvernement social-démocrate en place depuis 2016 de privilégier les criminels par rapport aux victimes. « Le gouvernement défend davantage les intérêts des criminels, a déclaré Raluca Turcan, vice-présidente du Parti national libéral (PNL). Il a été confisqué par des groupes de criminels qui n’ont plus aucune légitimité pour représenter la Roumanie et ses institutions. Comment un gouvernement qui prend parti pour des criminels peut-il convaincre les institutions européennes qu’il est capable de défendre les intérêts des citoyens européens ? »

Depuis le 1er janvier, la Roumanie assure la présidence tournante de six mois de l’Union européenne (UE), mais la crédibilité du gouvernement est en chute libre. Son but principal est de limiter les pouvoirs des magistrats et de blanchir le casier judiciaire du chef de file des sociaux-démocrates, Liviu Dragnea. En 2016, ce dernier a été condamné à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale, et en 2018 à trois ans et demi de prison ferme pour trafic d’influence, condamnation qu’il a contestée en appel.

M. Dragnea, président de la Chambre des députés, dirige le gouvernement dans l’ombre, ses condamnations pénales l’ayant empêché d’accomplir son rêve de devenir Premier ministre. Et les malheurs du chef de file des sociaux-démocrates sont loin d’être terminés. Il fait aussi l’objet d’une enquête de la part de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) de Bruxelles pour avoir détourné 21 millions d’euros de fonds européens. En septembre 2016, l’Olaf avait demandé à l’UE de récupérer l’intégrité de ce budget destiné à un projet de construction de routes.

Malgré les mises en garde des institutions européennes, les autorités roumaines poursuivent leur offensive contre la justice. Le ministre de la Justice, Tudorel Toader, promet de prendre en urgence un décret d’amnistie destiné à blanchir son casier judiciaire et à lui permettre de poser sa candidature pour l’élection présidentielle qui aura lieu à l’automne. Le 22 janvier, la Commission de Bruxelles a aussitôt dénoncé ce projet d’amnistie. « Il est essentiel pour la Roumanie de se remettre sur la voie de la lutte contre la corruption en garantissant l’indépendance de la justice et en évitant tout retour en arrière », a déclaré le porte-parole de la Commission Margaritis Schinas. Arrivée à la tête de l’UE, la Roumanie a choisi de suivre l’exemple de la Pologne et de la Hongrie en remettant en question l’État de droit. La compassion du gouvernement pour les détenus traduit sa volonté d’aller jusqu’au bout pour sauver des hommes politiques qui ont enfreint la loi pénale. Pendant ce temps une vague criminelle est en train de secouer le pays.

Mirel Bran
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