Le Casino comme médiateur

Meet the artist

d'Lëtzebuerger Land vom 24.03.2011

En 2010, le Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain a introduit un nouveau projet pour promouvoir sur le plan international des artistes luxembourgeois ou résidant au Luxembourg : les dossiers d’artiste et le « rendez-vous des curateurs ». Les responsables du projet ont lancé un appel à dossiers destiné à identifier un échantillon représentatif de la scène artistique luxembourgeoise. Suite à cet appel, un jury a fait en mars 2010 une sélection de 50 artistes. Les dossiers des artistes sélectionnés ont ensuite été mis à la disposition du public, des journalistes et critiques d’art, mais aussi et surtout des curateurs, des galeristes ou des collectionneurs, dans la bibliothèque et médiathèque du Casino, l’Infolab.

Pour le rendez-vous des curateurs en octobre 2010, le Casino a invité onze curateurs internationaux afin qu’ils puissent découvrir une partie des 50 artistes, soit à travers une présentation de dix minutes de leur travail, soit à travers une visite d’atelier ou d’exposition alors en cours. Bettina Heldenstein, responsable de l’Infolab et de la gestion des dossiers d’artiste, souligne que, lors du choix des curateurs, le directeur artistique du Casino, Kevin Muhlen, a attaché une grande importance à ce que le groupe soit composé à la fois de curateurs indépendants et de curateurs travaillant pour une institution culturelle afin de diversifier les possibilités d’intégrer les artistes locaux au niveau international. Selon Bettina Heldenstein, la Curators’ visit a non seulement suscité un échange d’idées entre artistes et curateurs, mais elle a surtout instauré un débat riche entre les artistes eux-mêmes, un fait qui a incité l’équipe du Casino à réfléchir sur d’autres moyens de rencontre entre les artistes dans le futur.

Alexander Steig, artiste allemand vivant et travaillant depuis deux ans et demi au Luxembourg, salue lui aussi l’initiative du Casino. Pour sa rencontre avec les curateurs, Steig a aménagé son appartement et y a exposé certaines de ses œuvres, des installations closed-circuit. Ce fut pour lui également une occasion de faire la connaissance de collègues artistes et de tisser des liens plus étroits avec la scène artistique luxembourgeoise. Ayant vécu à Hanovre, à Brême et à Munich, il compare ces différentes scènes artistiques et affirme que le Luxembourg, au contraire des grandes villes de l’Allemagne, permet un contact facile et personnel avec les administrations et institutions culturelles. Selon lui, l’un des problèmes du manque d’intérêt de la scène internationale pour les artistes luxembourgeois ou résidant au Luxembourg est l’absence d’une faculté d’art à l’Université du Luxem­bourg. Il manque en effet à l’intérieur même de la structure de la créativité un fondement essentiel qui est l’éducation, non seulement des artistes mais aussi du public.

Force est effectivement de constater que le Luxembourg en tant que lieu potentiel de création n’attire guère des artistes internationaux. Bien que le pays dispose de bonnes institutions culturelles (Mudam, Philharmonie, Rockhal, Casino, etc.), il y a une insuffisance d’endroits qui dépendent moins de l’État et qui favoriseraient une création plus libre. Alors qu’Alexander Steig parle à ce propos d’« off-spaces », d’une création qui serait plus improvisée et spontanée, voire du développement d’une culture « made in Luxembourg » interconnectant à la fois artistes et habitants,

Mariette Dölle, directrice du Tent à Rotterdam et invitée à la Curators’ visit en 2010, parle quant à elle d’« espaces underground ». La curatrice y voit la possibilité d’un développement culturel plus informel et plus attractif : « Ne sous-estimez pas l’importance d’une telle infrastructure culturelle underground d’une ville. L’expérimentation est nécessaire pour l’innovation et l’innovation est justement ce que le monde des affaires recherche… Afin qu’une scène artistique locale prospère, il faut des endroits où les artistes peuvent expérimenter, se développer et défier les pratiques comportementales dans le monde de l’art. » Pour Dölle, il est important que des pays comme le Luxembourg ou des villes comme Rotterdam proposent des programmes pour promouvoir la scène artistique locale, le Luxembourg, autant que Rotterdam, n’étant pas « les premiers auxquels les curateurs pensent » lorsqu’ils sont à la recherche de jeunes talents pour organiser des expositions.

De son côté, Marie Cozette, directrice du centre d’art contemporain La synagogue de Delme, met en avant « l’extrême hétérogénéité des pratiques » artistiques au Luxembourg qu’elle a pu rencontrer lors de la Curators’ visit : « Ce qui me paraît très sensible, c’est aussi la pluralité des parcours des artistes : ils ont étudié là, vécu ici, été en résidence là-bas. Cette mobilité et la superposition des différents horizons dans une même biographie me paraissent assez singulières et très riches. Pourtant, ce n’est pas forcément très sensible dans les pratiques elles-mêmes et je m’interroge sur le peu de questions liées à l’identité, l’histoire, la société, dans les travaux des artistes que nous avons rencontrés. »

Ceci indiquerait qu’un parti pris radical soit absent dans l’art contemporain luxembourgeois, un parti pris qui renforcerait l’intérêt de la scène internationale pour l’artiste local. Ce manque de radicalité ou d’innovation peut toutefois résulter d’une insuffisance d’appui pour les artistes. Trixi Weis, artiste luxembourgeoise créatrice d’installations, de vidéos, de sculptures cinétiques ainsi que de performances, a fait partie de ceux qui ont pu présenter leur travail aux curateurs. Elle approuve l’initiative du Casino dans le sens que, pour elle, c’était une occasion de prendre du recul par rapport au propre travail en l’exposant devant un groupe de curateurs. L’artiste reste cependant critique par rapport au système des curateurs qui « paraissent intéressés à leur propre carrière parfois plus qu’à celle de l’artiste ». Tout en louant les efforts du Casino, surtout depuis le changement de la direction artistique en 2009, l’artiste pense qu’il reste encore du pain sur la planche en ce qui concerne la promotion internationale des artistes luxembourgeois.

Fin février 2011, un nouvel appel à dossier a été lancé aux artistes. La date limite de dépôt des dossiers est fixée au 31 mars et la rencontre avec les curateurs s’inscrira dans le cadre du congrès de l’IKT (International association of curators of contemporary art) qui se tient cette année au Luxembourg. À cette occasion, environ 150 curateurs internationaux se déplaceront du 28 avril au 1er mai au grand-duché. Certains d’entre eux ont d’ores et déjà manifesté auprès du Casino leur intérêt de rencontrer des artistes nationaux. On s’étonne alors du fait qu’au programme du congrès de l’IKT figure une visite des grandes institutions culturelles du Luxembourg et de Metz et de quelques petits centres d’art, mais qu’à l’heure actuelle il ne soit pas prévu de faire une grande exposition de groupe donnant aux artistes luxembourgeois ou résidant au Luxembourg l’occasion de montrer quelques-unes de leurs œuvres et de démontrer ainsi leur compétence au niveau de la scène artistique internationale.

Florence Thurmes
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