Philanthropie

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d'Lëtzebuerger Land du 24.03.2011

L’assèchement du financement public de la scène culturelle locale devrait logiquement ouvrir davantage de portes à l’initiative privée, qui a manqué jusqu’à présent au Luxembourg de hardiesse et de pugnacité pour aller à la pêche aux fonds. Moins par manque de sensibilité des philanthropes pour la culture qu’en raison de la circonspection avec laquelle les opérateurs de la scène culturelle font preuve eux-mêmes pour solliciter l’argent des entreprises et des personnes privées. La crise financière n’a pas fait que rogner aux encoignures le budget culturel public, elle a aussi pesé sur les contributions des entreprises privées dans le mécénat culturel, poussant alors certaines institutions culturelles à se décomplexer et à diversifier les sources de financement privé et faire davantage appel aux contributions des personnes privées, à l’instar de ce qu’ont fait des grands musées étrangers.

Le Mudam est sans doute au Luxembourg, avec la Philharmonie, l’une des institutions culturelles qui a réalisé de manière la plus aboutie le rapprochement avec des sponsors privés, dès son ouverture en 2006. Le musée a embauché à plein temps Annick Spautz pour gérer et développer le volet du mécénat. Une brochure spéciale présente les différentes formules de soutien, du parrainage, avec un ticket d’entrée à 100 000 euros par an, au partenariat en passant par le tutoriat. Il y en a pour toutes les bourses, même les plus modestes. En coopération avec la plateforme www.fansnextdoor.com, le Mudam s’est même essayé au crowdfunding, permettant aux créatifs de financer leurs projets grâce à l’effort collectif de leurs fans.

La crise financière, reconnaît Annick Spautz, a mis un frein au mé­cé-nat des entreprises qui avait atteint son dynamisme à l’ouverture du Mudam et lors de l’année culturelle en 2007. Les entrées de fonds ont toutefois repris en 2010, confirme la responsable : « Nous sommes en train de solidifier notre base de mécènes », indique-t-elle en admettant que les entreprises donnaient moins qu’avant, mais qu’elles sont plus nombreuses à le faire. La diversification du portfolio de mécènes rend le musée moins vulnérable en cas de défection de l’un d’eux.

La banque KBL, jusqu’alors fortement impliquée sur la scène culturelle, fut l’un des principaux mécènes du Mudam, mais l’incertitude qui pèse sur l’actionnariat de la banque a mis en suspension la poursuite de son soutien au cours des prochaines années. Banque de Luxem­-bourg, qui avait aussi été un des grands soutiens du musée à sa création, a changé d’approche, optant désormais pour une politique de soutien de l’art et de la culture extrêmement ciblée (le jeune public à la Philharmonie, par exemple). « Notre mécénat a évolué pour devenir plus spécifique et plus innovant », explique Philippe Depoorter, membre du comité de direction de la banque. Le cabinet d’avocats Arendt et Medernach a rempilé pour sa part en signant un nouveau contrat de trois ans pour soutenir le Mudam. L’auditeur PWC a maintenu lui aussi inchangée son enveloppe tout comme la Fondation Leir, abritée sous le chapeau de la Fondation de Luxembourg. Le Mudam ne communique pas sur les montants qui viennent des contributeurs privés. Le mécénat correspond au total à cinq pour cent du budget annuel du Mudam (qui s’autofinance à hauteur de 14 p.c.), qui « restera principalement financé par l’État », même si la part provenant du secteur privé devrait clairement augmenter au cours des prochaines années.

La rénovation de la Villa Vauban, qui abrite les collections d’art de la Ville de Luxembourg, a fait évoluer l’approche de cette institution vis-à-vis des sources de financement privé. En s’ouvrant à un partenariat avec la banque ING et en optant pour une démarche véritablement « proactive » pour rechercher les sponsors, soit d’expositions soit d’œuvres d’art. Sous l’égide de la Fondation de Luxembourg qui l’héberge, la Fondation du Pélican de Mie et Pierre Hippert-Faber a d’ailleurs choisi de faire un don à la Villa Vauban. Là aussi, silence radio sur le montant du don qui devrait intervenir encore cette année.

Les philanthropes privés sont encore rares au Luxembourg à investir leur argent dans la culture, et encore moins dans la scène locale. La Fondation de Luxembourg admet que la part de la culture représente seulement 12,5 pour cent des montants investis au total par les philanthropes qui choisissent plus volontiers de soutenir des projets de recherche scientifique ou des causes humanitaires. « La culture, résume Philippe Depoorter, n’est pas au premier rang des préoccupations des donateurs ». Ils y sont d’autant moins sensibles qu’ils considèrent encore que le financement de projets culturels est une obligation incombant entièrement à l’État. « Je n’ai pas l’impression, souligne-t-il encore, qu’il y a au Luxembourg une réelle volonté de la scène culturelle luxembourgeoise d’aller chercher les privés, particuliers et entreprises, pour faire financer ses activités ». Pour le banquier, le cadre juridique et fiscal embryonnaire en place au grand-duché en matière de mécénat culturel ne favoriserait pas l’initiative privée, ni l’enthousiasme des firmes à soutenir autre chose que des maillots de football ou des tricots d’une équipe cycliste.

Véronique Poujol
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