Depuis peu, l’export culturel se professionnalise, aussi bien par la création de l’association Music:LX, que grâce au travail des missions culturelles et des ambassades

Les MacGyver de l’export

d'Lëtzebuerger Land du 24.03.2011

Question politique Lorsque deux commissions parlementaires – en l’occurrence celle des Affaires étrangères et européennes et celle de la Culture – se voient pour une réunion conjointe, l’enjeu est probablement de taille. Lundi 28 mars, elles se réunissent pour parler... de l’export culturel. Pour en apprendre davantage sur le suivi des accords culturels et sur le travail des missions diplomatiques et consulaires, en particulier les « Maisons du Luxembourg ». Il y a donc désormais une véritable prise de conscience de l’enjeu d’un tel travail d’aide à l’export et de promotion du grand-duché par et avec la culture.

Cliché Jusqu’à il y a quelques années, l’action culturelle typique des ambassades était une exposition avec des aquarelles de madame l’épouse dans le cagibi entre la cage d’escalier, les toilettes et l’entrée ou un concert de l’attaché culturel, chanteur d’opérette à ses heures. La petite sauterie n’était qu’un prétexte pour rassembler la communauté des expatriés grand-ducaux et quelques personnes d’intérêt commercial et/ou politique autour d’un verre de vin et de quelques canapés afin de nouer des relations sur d’autres plans. « Les choses changent extrêmement vite en ce moment, » promet Bob Krieps, nouvel administrateur du ministère de la Culture, venant d’une carrière effectuée dans le secteur culturel privé – la distribution et commercialisation de contenus à la CLT-Ufa, puis la défense des droits d’auteurs à la Sacem. Il est convaincu qu’« un concert dans une ambassade n’est pas suffisant pour promouvoir l’œuvre d’un artiste ! » Extrêmement sensibilisé à la question de l’export suite aux demandes des artistes, qui se voient freinés dans le développement de leur carrière par l’exiguité du territoire (et donc de marché) et l’absence quasi totale de métiers et de relais privés au Luxembourg – il n’y a presque pas d’agents, ni de bookers, de tourneurs ou de labels par exemple –, celui qui est aussi président de l’asbl Music:LX a donc pris des initiatives dans ce domaine dès son arrivée montée de la Pétrusse.

« Il est essentiel que les intérêts de l’artiste soient au centre de tous nos efforts à l’étranger, » scande-t-il sans fatiguer. Le message est désormais le même au ministère des Affaires étrangères, où Jean Olinger, le responsable du service des affaires juridiques et culturelles (sic !) depuis l’automne dernier, et qui revient de treize ans de travail à l’étranger, est extrêmement enthousiaste de la richesse de l’offre culturelle qu’il découvre peu à peu et se réjouit de développer ce volet de la promotion du Luxembourg et de son image de marque à l’international.

Erreurs du passé Forcément, les quelques artistes qui ont vraiment percé sur la scène internationale grâce à la seule qualité de leur travail – que ce soient Bert Theis et Su-Mei Tse en arts plastiques, l’acteur André Jung ou le pianiste et musicien électro Francesco Tristano Schlimé, l’auteur Jean Krier, le compositeur Claude Lenners, la danseuse Sylvia Camarda ou encore le réalisateur Jean-Claude Schlim, pour n’en citer que quelques-uns – sont aussi quelque part des ambassadeurs pour le Luxembourg, au même titre que les frères Schleck en sport ou le Premier ministre Jean-Claude Juncker en politique. Or, jusqu’ici, il pouvait tout à fait arriver qu’un fonctionnaire zélé du ministère de la Culture compte le nombre de demandes de soutien de la part d’un artiste – un appui logistique, une petite aide financière pour payer un voyage ou les frais de l’hôtel lors d’une invitation à un festival ou une biennale – et réponde par un simple : « ah non, pas vous encore ! », prétextant des hypothétiques roulements pour un traitement plus égalitaire de tout le monde.

Or, tout ne se vaut pas, un peintre du dimanche, pour légitime que soit son loisir, n’a ni les mêmes ambitions ni le même travail qu’un artiste professionnel. Ces tracasseries de différentes administrations étaient même allées si loin que Michel Majerus avait carrément renié ses origines luxembourgeoises et marquait simplement « né à Esch-sur-Alzette » sur son CV. Il est aujourd’hui, au-delà de sa mort, un des seuls artistes plasticiens autochtones vraiment connus sur le marché international. Une telle erreur, de cela tout le monde conviendrait, ne doit plus se reproduire.

Mots d’ordre Aujourd’hui, les slogans qu’évoquent aussi bien le ministère de la Culture que celui des Affaires étrangères sont promotion, mise en réseau, showcase, lobbying. Valérie Quilez est une leurs promotrices les plus actives. Originaire de Toulouse, ayant travaillé comme responsable des relations publiques de Luxembourg 2007, elle fut engagée par le ministère de la Culture comme « chargée de mission culturelle » à Paris en janvier 2009. « C’était une proposition du ministère de ‘lancer quelque chose’, se souvient-elle. L’idée était d’avoir un processus mobile et léger : une personne, un ordinateur et une mise en réseau. Cela permet aussi de moduler les étapes. »

Elle refuse surtout de se définir comme « directrice artistique », mais voit son travail vraiment comme du lobbying pour les artistes, « et pour cela, il faut de l’endurance et de l’opiniâtreté ». Ses activités sont multiples : faire se rencontrer des artistes en tournée en France et la presse spécialisée ou les intermédiaires professionnels utiles ; proposer, en accord avec le ministère de la Culture et les institutions culturelles luxembourgeoises, des programmations de concerts, lectures, films ou œuvres luxembourgeoises à ceux qui en font la demande (comme la salle de concert L’Entrepôt à Paris) ; faire connaître le Luxembourg culturel dans une ville qui regorge de centres culturels régionaux ou nationaux ; diffuser les informations sur ces activités artistiques aux abonnés de la newsletter et aux fans sur Facebook... Installée à l’ambassade mais rattachée au ministère de la Culture, elle accorde toujours ses violions avec lui et lui rapporte ; elle n’a pas de budget global mais fonctionne par projets, pour lesquels elle développe des plans de financement qui doivent être accordés individuellement par le ministère de tutelle. Valérie Quilez affirme elle aussi que les choses changent en ce moment, et que la professionnalisation de la culture « que l’on constate à l’intérieur du pays commence aussi à se voir à l’extérieur ».

Le bonus de l’exotisme À Berlin, la Luxembourgeoise formée entre autres à l’export, Ann Muller, fait un travail similaire à celui de Valérie Quilez, et ce depuis plus de quatre ans. Sauf qu’elle est directement rattachée au ministère des Affaires étrangères. « J’adore ce travail, parce que je peux tout faire, je touche une palette extrêmement large de missions ». La Botschaft à Berlin, dirigée par l’ambassadrice Martine Schommer, s’est surtout faite remarquer, jusqu’au grand-duché, avec ses programmations « Luxemburg ist... », dédiée chaque année à une autre discipline : « ...Literatur » en 2009, « ...Film » en 2010 et « ...Tanz » en octobre prochain. « Berlin est une ville très dure, où il est difficile d’attirer l’attention du public, déjà excessivement stimulé par l’offre culturelle abondante, résume-t-elle son approche. Si nous pouvons arriver à attiser la curiosité du public, notamment grâce au ‘bonus de l’exotisme’ – peu de gens connaissent le Luxembourg ici –, alors il ne faut pas décevoir, il faut que la qualité de ce que nous montrons soit garantie. » C’est pour cela qu’elle a choisi de faire de telles actions concentrées dans la ville, en collaboration avec les lieux culturels existants, qui confèrent une certaine crédibilité à la programmation.

« Une des facettes du travail d’une ambassade est la culture, dit Ann Muller, elle nous aide à faire parler du Luxembourg, à rappeler notre existence d’une autre manière. » Elle dispose d’une petite enveloppe budgétaire pour cette activité, somme qu’elle ne veut pas révéler, mais insiste sur l’acribie avec laquelle elle gère cet argent public, « nous ne sommes pas là pour faire des événements juste pour le plaisir. »

Histoires d’argent Comme si souvent, l’argent est le talon d’Achille de cette nouvelle approche. Actuellement, les quatre Maisons du grand-duché du Luxembourg, à Bruxelles, Berlin, Tokyo et New York, qui disposent d’espaces plus grands et de missions élargies dans le domaine, se partagent un budget annuel de 135 000 euros pour la programmation de leurs activités. Les autres ambassades confondues ont en tout et pour tout 50 000 euros pour des activités culturelles, budget dont la gestion est centralisée à Luxembourg. Jean Olinger promet de s’engager afin de voir augmenter cette somme lors de prochains exercices.

« Nous allons établir un vade-mecum de bonnes pratiques et de la ligne à suivre dans le domaine, » affirme pour sa part Bob Krieps. Une demande récurrente de plusieurs ambassadeurs est d’avoir accès à une sorte de catalogue des artistes, des œuvres ou des productions de qualité qu’ils pourraient consulter pour leur faciliter le travail de mise en réseau et de relais. Les deux ministères sont en train de réfléchir à une manière objective de le faire. Des postes budgétaires réservés à des activités d’export – comme la présence du Luxembourg aux biennales de Venise ou à l’exposition universelle de Shanghai en 2010 – ont peu à peu fait leur apparition dans les tableaux du ministère de la Culture.

L’autonomie de l’ambassadeur « Beaucoup de choses dépendent aussi de la personnalité de l’ambassadeur, » concède Jean Olinger. Il y a ceux qui ont un intérêt personnel ou une sensibilité pour la chose culturelle, et ceux qui se concentrent plutôt à d’autres priorités, qu’ils soient politiques ou économiques. Ronald Dofing, ambassadeur à Athènes depuis octobre 2010, après plus de quatre ans à Varsovie, fait partie de la première catégorie. Pour lui, « ce n’est pas un luxe de faire de la promotion culturelle, mais cela fait partie de la stratégie, de montrer que le Luxembourg n’est pas une monoculture. Et puis, il s’agit aussi de la promotion de l’export pur et simple, » les productions théâtrales ou les films étant aussi des produits commerciaux, qui peuvent ainsi élargir leur public potentiel. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard que le ministère de l’Économie et du Commerce extérieur commence lui aussi à prendre conscience de l’enjeu.

Connaisseur averti des arts, Ronald Dofing est persuadé qu’il faut adapter les programmations culturelles à la sensibilité de chaque pays : si, en Pologne, il se concentrait sur les arts performatifs, le cinéma et le théâtre, il suppose qu’il serait utile d’adapter l’offre culturelle luxembourgeoise ici aux attentes du public grec. Une première action sera une programmation de films produits a Luxembourg au Greek Film Center, leur Cinémathèque, où l’ambassadeur joue les intermédiaires entre cette demande et le Centre national de l’audiovisuel pour établir le programme.

À Londres, la situation est tout à fait différente : l’ambassadeur Hubert Wurth, qui est également peintre lui-même, a dû se rendre à l’évidence qu’il ne suffit pas d’offrir un événement à l’ambassade dans une capitale aussi vivante pour que le public suive. Il se concentre donc désormais sur des artistes qui ont un lien avec Londres, par exemple qui y vivent et travaillent, comme la plasticienne Véra Kox ou la photographe Marianne Majerus... « Il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de budget pour ces activités, » juge-t-il, les dépenses se limitant à la logistique et à la gastronomie. Il voit son rôle surtout comme celui d’un facilitateur, qui puisse aider et soutenir les artistes dans leurs efforts de s’établir à l’international. L’approche de Paul Steinmetz à Tokyo1 est encore une autre : il travaille surtout avec des résidences d’artistes, invitant interprètes et créateurs à venir vivre durant quelque temps au Japon afin qu’ils puissent travailler librement dans cet environnement stimulant.

Une image brouillée De cette recherche forcément fragmentaire, on retiendra donc plusieurs choses : qu’il y a certes un certain dynamisme des ministères dans ce domaine, mais qu’il ne fait que suivre celui de la scène culturelle elle-même. Et surtout que l’image de ce qu’on veut transmettre reste extrêmement brouillée : il n’y a guère de collaborations entre les différentes ambassades et, surtout, pas de stratégie commune développée de manière centralisée au sein de l’État – comme l’ont beaucoup d’autres pays européens comme la France, l’Angleterre ou encore les Pays-Bas. L’approche de Jean Olinger – « la culture est le reflet d’un pays et d’un peuple ; donc il est important de montrer que nous sommes jeunes, dynamiques et multiculturels par ce biais aussi » – n’est pas encore partagée par tous.

1 Interview réalisée avant le séisme.
josée hansen
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