Exposition

Dévotions et émotions

d'Lëtzebuerger Land vom 31.01.2020

Ne vous y méprenez pas, les radiographies qui attirent d’emblée le regard, ce n’est pas du Wim Delvoye, non, le Musée national d’histoire et d’art n’a pas pris la relève du Mudam qui a remisé l’artiste belge. Les deux bras qui sortent du mur, l’une des mains d’un brillant poli, l’autre mate, ce n’est pas non plus du Robert Gober, plasticien américain contemporain. Hypothèses pas si déplacées que ça, là où il s’agit d’hyperréalisme. Et ni Delvoye ni Gober ne lésinent sur les motifs religieux. Seulement, leur baroque moderne se limite à l’ici-bas, à l’existence (humaine) dans sa condition passagère, à notre pauvre précarité. Pas besoin de lever les yeux au ciel, rien à attendre d’une quelconque transcendance.

Bien sûr, c’est tout le contraire pour les peintures et les sculptures réunies dans les deux salles Kutter du MNHA, à gauche et à droite d’un sens didactique dont on ne félicitera pas assez les responsables. Là, dans les œuvres du Siglo de Oro, siècle d’or espagnol, on reste bien dans la vanité du genre humain (dans ce qui s’avère vide et vain), témoin les nombreux crânes à la signification allégorique trop évidente. Mais il faut après regarder ailleurs, ah, vers ces yeux grands ouverts, ces regards quasi illuminés, levés cette fois-ci vers un ciel dont on attend rémission et salut. Et il n’est pas rare que le ciel s’ouvre en effet et qu’un rai de lumière vienne sinon réchauffer la créature, du moins donner tant soit peu d’espoir au croyant.

C’est tout l’effet recherché par l’art de ce siècle d’or, un art emphatique, un art de propagande, dira-t-on, dans un temps où l’église catholique s’efforçait de regagner la faveur des fidèles. Temps de la Contre-Réforme pour répondre aux calvinistes et luthériens. Et en plus, dans un temps de guerres, de luttes de pouvoir entre l’empereur, les rois et les princes, pour apporter du réconfort, et de l’espoir même s’il était renvoyé à l’au-delà, à une population éprouvée.

Murillo, Zurbaran, voilà des noms de peintres connus, maîtres de l’imagerie spirituelle espagnole. L’exposition du MNHA, dès son titre, y joint celui de Pedro de Mena, le sculpteur, mettant de la sorte cette technique à égalité avec la peinture. En même temps, dans son face-à-face des œuvres de l’une et de l’autre, elle donne au visiteur une belle occasion de dialogue, de confrontation. Où des fois il semble alors que tout simplement le sujet soit sorti de la toile pour gagner la dimension supplémentaire, tellement peintures et sculptures se répondent, et c’est aussi l’affaire de l’exquise polychromie des dernières. Le musée au Marché-aux-poissons de s’enorgueillir d’ailleurs d’être généreusement pourvu grâce à un donateur privé, détenant probablement, à en croire son directeur, le plus grand nombre de sculptures de de Mena en dehors de l’Espagne.

Une douzaine de peintures, une dizaine de sculpteurs, cela suffit à faire le tour, au plus haut niveau, de cet art, côté sujets et motifs, côté maîtrise et virtuosité. Priorité soit donnée à l’enfant Jésus, au garçonnet, mais il est très vite opposé au crucifié, et rien de plus propre à toucher, à émouvoir, à l’identification du croyant, que les souffrances du Christ. Parallèlement, on passe de l’Immaculée Conception, réaffirmée comme dogme catholique, à la Mère des douleurs, de l’aménité jubilante de l’une à l’expression désolante de l’autre. Suit un cortège de saints, martyrs ou autres, et sorte d’apothéose, dans la mise en scène du moins, la tourbillonnante chute de Satan sous les coups de l’archange.

On s’en sera rendu compte, il est plusieurs façons de considérer l’exposition. S’attachant à la peinture pure, on privilégiera la crucifixion d’Alonso Cano, pour sa sobriété, pour cette face penchée légèrement, les yeux fermés, ce corps quasi lumineux se détachant sur le ciel et le paysage montagneux. Et après de longs et enrichissants moments dans le sas didactique, c’est le moment de retourner aux sculptures. On aura appris, avec les radiographies réalisées au Centre hospitalier du Nord, comment elles sont assemblées autour d’un noyau creux. Aucun détail ne vous échappera plus, avec les explications de Muriel Prieur, cheffe de la restauration au MNHA, sur les techniques d’exécution, les matières telles les carnations ou les imitations de textile, voire les postiches, avec les ongles incrustés en corne par exemple. Tout cela, pour faire le plus vrai possible, pour l’impact le plus fort.

L’exposition De Mena, Murillo, Zurbarán – Maîtres du baroque espagnol dure jusqu’au 7 juin au Musée national d’histoire et d’art, Marché-aux-Poissons, Luxembourg ; informations et programmation : www.mnha.lu.

Lucien Kayser
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