Taxe spécifique aux banques

Les nouveaux bancophobes

d'Lëtzebuerger Land vom 29.04.2010

Les banques peuvent bien payer pour la crise qu’elles ont déclenchée : le catéchisme haineux qu’ont prodigué certains éléphants du LSAP tout au long des négociations de la Tripartite est non seulement caricatural, mais dangereux pour l’économie luxembourgeoise qui s’appuie essentiellement sur ses capacités à attirer les très volatils capitaux étrangers. Il n’y a pas de mystère à la présence au grand-duché de gros fonds d’investissement ou des holdings milliardaires en euros : les ponctions sur leurs flux y sont faibles et les autorités plutôt accommodantes avec le grand capital. Le gouvernement n’entend d’ailleurs pas rompre avec sa réputation de pays business friendly. Le ministre CSV des Finances Luc Frieden doit plus que jamais tremper ses boutons de manchette dans le cambouis pour contribuer à ouvrir de nouveaux horizons à un secteur financier en panne de revenus.

Sous la pression d’une population particulièrement sensible aux discours stigmatisant les banquiers, le Premier ministre Jean-Claude Juncker est bien obligé de donner des gages à l’aile gauche de son gouvernement qui lui réclame de « faire les poches » des établissements de crédit, dont certains furent sauvés de la faillite par l’argent du contribuable luxembourgeois. Le gouvernement, qui s’est jusqu’ici montré opposé à l’introduction d’une taxe sur les services financiers pour autant qu’elle ne frappe pas toute l’Europe, afin de ne pas créer des distorsions de concurrence entre les différentes places financières, marche ici sur des œufs. Les dirigeants de l’Association des banques et banquiers Luxembourg l’ont d’ailleurs averti qu’une taxe bancaire imposée de façon unilatérale aux banques constituerait « un signal psychologique » désastreux pour le gouvernement qui donnerait ainsi aux acteurs de la place financière le sentiment « qu’ils ne sont pas le bienvenu au pays ». Un geste hostile, comme l’introduction d’une taxe spécifique aux banques, mettrait à mal tous les efforts accomplis au cours des dix dernières années par les autorités pour convaincre les investisseurs de la supériorité des services financiers qui leur sont prodigués au grand-duché, au-delà du secret bancaire et de la fiscalité.

Pour ne pas créer l’affolement des opérateurs, mais aussi montrer à l’opinion que le secteur financier n’échappera pas à l’effort de guerre demandé à tous pour assainir les finances publiques, le gouvernement a trouvé la parade. D’abord, il prévoit de faire passer l’impôt de solidarité à charge des sociétés de son niveau actuel de quatre pour cent à cinq pour cent. Les principaux contributeurs seront les banques. Ensuite, il entend imposer un taux unique de 1,2 pour cent de contribution des entreprises à l’Assurance accident (AA). Les prélèvements sur la masse salariale dépendent actuellement de la classe de risque : un artisan paie davantage (le taux va jusqu’à six pour cent) qu’un bureau d’études par exemple. Pour le secteur financier, qui présente peu de risques d’accidents de travail, si ce ne sont ceux liés aux trajets, cela signifierait une hausse de 0,75 pour cent de sa contribution qui est actuellement de 0,51. Pour Jean-Claude Juncker, ce serait un coup double qui lui permettra d’abord de vendre le taux unique de contribution à l’AA comme une variante luxembourgeoise de la taxe financière et ensuite de se poser en grand rassembleur des entrepreneurs de tous les secteurs, qui avaient tendance à tirer à hue et à dia. Ainsi, les banques montreront de manière plus visible leur solidarité avec le reste de l’économie, notamment les petites et moyennes entreprises – que la crise a souvent laissées exangues –, dont la charge à l’AA va être considérablement allégée. Le système de bonus-malus, encore à mettre en place, devrait d’ailleurs rendre la facture assez indolore pour le secteur financier.

Véronique Poujol
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