Édito

Vies à l’arrêt

d'Lëtzebuerger Land du 13.03.2020

Quelle est cette vie confinée que nous apporte la maladie à coronavirus (Covid-19), déclarée officiellement « ni de manière désinvolte ni de façon abusive » comme pandémie par l’Organsiation mondiale de la santé (OMS) ce mercredi ? Il y avait alors 120 000 cas dans quatorze pays, dont plus de 4 200 décès. Hier, jeudi, le Luxembourg comptait officiellement 19 malades, dont deux transmissions locales et un cas sur le site d’un de principaux hôpitaux du pays (voir p.6). Après notre mise sous presse, le gouvernement se réunissait hier, jeudi soir pour prendre des décisions afin de tenter d’endiguer la propagation du virus dans le pays.

Les dommages sont désormais incommensurables. Ils sont sanitaires en premier lieu, mais aussi économiques et sociétaux. Les bourses qui s’effondrent, les productions qui ralentissent, les approvisionnements de matières premières ou de produits finis (y compris de médicaments) qui sont interrompus, les entreprises en chômage partiel et les aides financières décidées par le gouvernement sont autant de paramètres qui vont considérablement freiner la croissance économique ces prochains mois. Des secteurs entiers sont d’ores et déjà sinistrés, comme le tourisme ou l’aviation, frappés de plein fouet par la peur des usagers et les mesures politiques, comme celle des États-Unis de ne plus laisser entrer de vols en provenance d’Europe.

De fait, le virus, sur lequel le docteur chinois Li Wenliang avait alerté en premier le 30 décembre 2019 à Wuhan (il s’était inquiété du nombre élevé de malades d’une grippe sur le marché local des animaux et fut puni pour son whistleblowing ; il est mort lui-même du virus début février), fonctionne comme un marqueur de la mondialisation. « C’est comme pisser dans la piscine », riait jaune un collègue : dès le premier stade de l’épidémie, on pouvait quasiment suivre avec le doigt sur un globe ses mouvements via terre, mer et airs. Dans sa deuxième phase, le virus mit à nu des réflexes peu ragoûtants dans la population : du racisme primaire (contre les Chinois d’abord, puis contre les Italiens ou les frontaliers) au protectionnisme politique (comme la fermeture des frontières). Mais le virus forge aussi de nouvelles solidarités entre populations saines et celles vulnérables (surtout les personnes âgées ou dont la santé est déjà fragilisée), des jeunes proposant spontanément de faire les courses pour leurs voisins âgés.

La chancelière allemande Angela Merkel estima ce mercredi que 70 pour cent de la population allaient être touchés par le virus, de ces 70 pour cent, 80 pour cent en auront des symptômes ressemblant à la grippe (toux, fièvre, problèmes respiratoires) ; les autres peuvent être plus gravement malades ; 3,4 pour cent en meurent. C’est dix fois plus qu’une grippe saisonnière. Les gouvernements s’accordent désormais à appliquer des mesures drastiques, comme l’a fait la Chine, pour freiner le virus. La recommandation s’appelle « social distancing » : ne pas se faire la bise, ne pas se serrer la main, garder un mètre ou deux de distance avec les autres – ce qui est plus facile à faire dans une maison d’ermite dans l’Œsling que dans un train bondé de travailleurs frontaliers. Dans la désorientation totale face à une situation qui évolue rapidement, les écoles sont prêtes à fermer, de grandes entreprises et les institutions européennes encouragent le télétravail et les visioconférences, les salles de spectacle sont désertées. Ceux qui vivent en quarantaine en Italie racontent à quel point la vie y est mise entre parenthèses, comme à l’arrêt.

Le coronavirus met aussi à nu les effets néfastes de la globalisation, comme l’outsourcing de la production d’équipements sanitaires par exemple (ruptures de stocks de masques de protection, typiquement produits en Europe jadis), le tourisme de masse, ou ceux de la recherche de l’efficience économique des systèmes de santé, avec des hôpitaux dépassés et des professionnels de santé en sous-effectifs dramatiques. Ce sont ces incertitudes, la crainte de ne pas pouvoir être pris en charge et soigné, qui a transformé le virus en panique.

josée hansen
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