Programme de stabilisation de l’économie

La fin des évidences

d'Lëtzebuerger Land du 27.03.2020

Avec le recul, le gouvernement aurait peut-être mieux fait d’empocher les 250 millions d’euros d’arriérés d’impôts que lui devait Amazon. Le monopoliste sera un des rares acteurs mondiaux à sortir gagnant de cette pandémie. Et le Luxembourg aura besoin de beaucoup d’argent. Présenté ce mercredi soir, le « Programme de stabilisation de l’économie » du gouvernement mobilisera 8,8 milliards d’euros, soit quatorze pour cent du PIB. (Le budget de l’État luxembourgeois est de 20,6 milliards.) Pour survivre économiquement et socialement à cette pandémie, le gouvernement a recours à des outils qui avaient été inventés en mode panique durant la crise sidérurgique. Le chômage partiel avait ainsi été instauré d’urgence en 1975 pour n’être formalisé qu’a posteriori par une loi. 45 ans plus tard, en ce mois de mars 2020, le dispositif engloutit un demi-milliard d’euros. Par mois. Soit autant que coûtera l’ensemble du projet du tram. Pour donner un autre point de référence : le « Konjunkturpak », ficelé en mars 2009 par le gouvernement Juncker/Asselborn I, était de seulement 1,23 milliard d’euros, soit 3,24 pour cent du PIB d’alors. (Auxquels s’ajoutaient une demi-douzaine de milliards en garanties pour la BGL et la Bil.) Mais ces raisonnements par analogie n’opèrent plus. C’est la moitié de l’économie qui est désormais placée sous respirateur artificiel. Le nombre exact de personnes en chômage partiel n’est pas encore connu, les demandes toujours en traitement. Mais rien que l’industrie et la construction cumulent 85 000 salariés.

Or, en majeure partie, ce Programme de stabilisation ne sera pas constitué de dépenses au sens strict. La « souplesse » accordée aux entreprises pour payer les impôts directs (chiffrés à 1,25 milliard) et les cotisations sociales (trois milliards) n’est ainsi qu’un report, probablement passager. Quant à la garantie étatique couvrant les crédits bancaires aux entreprises (2,5 milliards), l’argent ne sera pas « perdu », du moins pas intégralement. Allouer ces milliers de millions s’apparente à un exercice hallucinant. Les administrations, déjà relativement peu fournies en temps normaux, sont aujourd’hui débordées : environ un tiers du personnel est absent. Ceux qui restent doivent trancher très rapidement – « onbürokratesch » pour reprendre le mot d’ordre – sur des milliers de dossiers soumis par une multitude d’entreprises aux profils très variés. Lors de sa première conférence de presse, vendredi dernier, le ministre de l’Économie, Franz Fayot (LSAP), avait fait preuve d’une étonnante (et probablement déplacée) honnêteté intellectuelle. Il expliquait ne « pas vouloir donner de faux espoirs » : « Nous ne pourrons aider chaque entreprise ». Quelques jours plus tard, changement de ton : le ministre se veut rassurant, protecteur : « Nous ne laisserons personne sous la pluie. Celui qui a un emploi doit le garder. Le patron doit rester le patron de son entreprise, également après la crise. »

Le ministre des Finances, Pierre Gramegna (DP), a indiqué que le gouvernement allait demander au Parlement l’autorisation d’emprunter « éventuellement » trois milliards. Il ne devrait pas avoir de difficultés à trouver des intéressés sur les marchés internationaux. Il pourrait également être tenté par un coup de com’ politique et lancer un emprunt grand public comme l’avait fait son prédécesseur. En novembre 2008, le Trésor avait proposé aux petits épargnants d’acheter des obligations d’État (d’un montant total de deux milliards d’euros) pour financer le sauvetage bancaire. Les Luxembourgeois se précipitèrent sur cette « valeur-refuge » qui allait leur garantir un coupon annuel à 3,75 pour cent.

Ce mercredi, Pierre Gramegna a plusieurs fois souligné les « bonnes et constructives » discussions avec les organisations patronales, expression d’une « collaboration privée-publique », « wéi mir dat gewinnt sinn ». Les syndicats, informés la veille lors d’une vidéoconférence avec le ministre du Travail, Dan Kersch (LSAP), se retrouvaient relégués au rôle de spectateurs. Mais la question de qui finira par payer le prix, commence à tarauder les esprits. La CGFP, actuellement en campagne électorale, commence déjà à se positionner. Au jour six du grand confinement, son président Romain Wolff publiait un article d’une pleine page dans le Wort. Il y dissertait sur le « Mëttelstandsbockel » et réclamait des « allégements pour les personnes physiques ». Or, imposer d’avantage des entreprises qui sont exsangues et viennent d’être renflouées, cela paraît peu probant. Restera l’imposition du foncier et de l’immobilier, grand tabou fiscal au Luxembourg. Ce mercredi, le ministre des Finances prétendait que, rue de la Congrégation, on continuait à travailler à la réforme fiscale. Mais pour les allégements promis, il faudrait « voir ce qu’on pourra faire ».

ephemera d’Armand Quetsch a été réalisé grâce à la Bourse CNA- Aide à la création et à la diffusion photographique, il est publié chez www.peperoni-books.de. L’exposition Extraits sans titres sera ouverte jusqu’au 31 octobre au centre d’art Nei Liicht à Dudelange ; www.centredart-dudelange.lu.

Bernard Thomas
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