Post-City

Occuper l’espace

d'Lëtzebuerger Land vom 16.08.2013

« I propose that work starts right away in Luxembourg, this shall give us time to think on what to do next, » aurait dit le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois de l’époque, Joseph Bech (CSV), après une longue nuit de discussions à Paris, le 23 juillet 1952. C’est ainsi que le siège de la Ceca (Communauté du charbon et de l’acier, qui deviendra plus tard les Communautés, puis l’Union européenne), fut établi, presque par hasard, au Luxembourg. Ce qui jeta les bases de l’influence politico-stratégique disproportionnée du petit État au sein de l’Europe. Si l’équipe ayant conçu Post-City, le pavillon luxembourgeois à la dernière biennale d’architecture à Venise, en 2012 (Philippe Nathan, Yi-der Chou et Radim Louda) cite cette phrase en exergue de son invitation vénitienne, c’est parce qu’elle symbolise bien ce pragmatisme luxembourgeois qui lui a valu sa position en Europe. Et parce que cette décision allait aussi avoir des conséquences sur l’aménagement du territoire. Si nous en parlons ici aujourd’hui, c’est parce que les organisateurs de la présence luxembourgeoise à la Ca’ del Duca, la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie, a eu la bonne idée de rapatrier tout le pavillon et de l’installer un an plus tard, durant tout cet été, dans son bel espace d’exposition au premier étage de son siège à Hollerich.

Avec Post-City, on entre dans une analyse au scalpel du Luxembourg géo-politique, qui se déclinerait en formes architecturales stylisées et sérielles. Une maquette en forme triangulaire, avec une petite enclave en son centre, installée en hauteur sur pilotis d’un bon mètre, porte des centaines de bâtisses en plâtre blanc : églises, maisons unifamiliales, tours de bureaux, bâtiments mixtes, usines, infrastructures culturelles, centrales d’énergie... Comme une ville miniature, de jeu, type Lego ou Playmobil, on y reconnaît certaines parties du Luxembourg, qui sont en même temps aliénées par cette uniformisation esthétisante. Cet oxymore de « proximité éloignée », ce « far away so close » est extrêmement intrigant.

L’équipe de Post-City parle d’un effet de zoom arrière. Fraîchement diplômés de la Cambre à Bruxelles, ces trentenaires engagés ont longtemps sillonné le Luxembourg afin de le comprendre son fonctionnement et, surtout, son urbanisme parfois chaotique. Qui est toujours l’écho de décisions politiques, de hasards géo-stratégiques qui nous dépassent ou de développements socio-économiques. Ainsi, non dénués d’humour acerbe, ils ont retenus cinq « centres névralgiques » qui incarneraient ces différents développements récents du pays.

Il y a d’abord le Kirchberg symbolisant le Luxembourg moderne, ses sièges d’institutions européennes, ses infrastructures culturelles, sa ville nouvelle créée de toutes pièces en l’espace de cinquante ans. Puis l’aire de Berchem, point central du trafic autoroutier traversant l’Europe du Nord au Sud, avec cette station service surdimensionnée qui n’est qu’un alignement de pompes à essence pour les touristes et de pompes à TVA pour les caisses de l’État. Ensuite, le Luxembourg « symbolique » se trouverait à Schengen, petite bourgade mosellane endormie où accosta, par pur hasard, ce bateau de plaisance, le Marie-Astrid, sur lequel fut signé, en 1985, l’accord ouvrant la voie à la libre-circulation des citoyens en Europe, et qui vaut au village une notoriété qui dépasse même les frontières de l’Europe.

Au Nord, Ingeldorf serait le rêve du Luxembourgeois « typique » : une cité pavillonnaire au vert, où les maisons unifamiliales s’organisent autour des centres commerciaux. Et Belval est ce quartier « néo-historique » où la Cité des sciences, créée de toutes pièces par la seule volonté du gouvernement, grâce à un investissement public d’un milliard d’euros, remplace la friche délaissée par l’« industrie crépusculaire », et où le patrimoine industriel des hauts-fourneaux sauvegardés est flanqué d’une architecture d’entrepreneurs à rabais, où la rentabilité prime sur la qualité.

Cette analyse pointue se veut un constat, un état des lieux, mais seulement un point de départ. « Et maintenant ? » demandent les architectes. Afin de montrer le processus, ils ne cachent rien des coulisses, exposent en même temps les caisses dans lesquelles les modèles furent transportés à Venise et les dessins d’Eva de Roi proposant le réagencement des différents pôles ou une concentration des fonctions et de leurs bâtiments.

Le Festival d’architecture, qui s’est tenu de fin juin à début juillet, sur le thème Futura Bold ?, avec notamment un colloque et un co-design workshop impliquant un maximum d’autres idées, des urbanistes, architectes, ingénieurs, mais aussi des décideurs et des administratifs, des intellectuels et des artistes, essaya de pousser la réflexion plus loin, en imaginant des scénarios pour la suite de l’urbanisation du Luxembourg. Les résultats de ses discussions doivent être publiés sous forme de livre et de film.

L’exposition Post-City rouvrira ses portes, après la fermeture estivale de la Fondation del’architecture, mardi prochain, 20 août ; puis elle restera visible jus-qu’au 7 septembre ; 1, rue de l‘Aciérie à Luxembourg-Hollerich ; ouvert du mardi au vendredi de 9 à 13 et de 14 à 18 heures et les samedis de 11 à 15 heures ou sur rendez-vous ; téléphone : 42 75 55 ; plus d’informations : www.fondarch.lu et www.post-city.lu. Publication d’un catalogue, en vente pour 20 euros.
josée hansen
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