Marché de télécommunications

Les P&T toujours l'acteur dominant

d'Lëtzebuerger Land vom 19.06.2003

La vague d’euphorie est venue et repartie, et l’Entreprise de postes et télécommunications (EPT) va toujours bien. Lundi, l’opérateur historique a présenté son bilan avec un bénéfice net de 58,6 millions d’euros. C’est certes la quatrième baisse consécutive du résultat net (4,6 pour cent en 2002), mais avec une marge de douze pour cent sur des revenus totaux de 484 millions d’euros, cela reste appréciable, surtout quand on considère que les services postaux ne sont pas nécessairement l’activité la plus rentable qui soit.
Les frais de personnel de l’EPT ont augmenté de cinq pour cent alors que le chiffre d’affaires n’a progressé que de 3,6 pour cent. Et encore faut-il en remercier les services de télécommunication, d’une part la partie la plus importante du chiffre d’affaires (71 pour cent du total) et, d’autre part, celle avec la plus forte progression (une hausse de cinq pour cent). L’EPT ne publie pas d’autres chiffres répartis selon les trois métiers – outre la poste et les télécommunications le service CCP – ce qui rend impossible de connaître la rentabilité exacte des services liés au téléphone.
Ce qu’on sait par contre, c’est que l’EPT a accompli son objectif principal dans le marché libéralisé depuis 1998 : sauvegarder ses marges. Comme ce n’est pas par une réduction des coûts (en hausse continue), c’est par évidence en imposant des prix élevés. Henri Grethen, ministre de tutelle de l’EPT, peut être fier : fidèle à son souhait, l’entreprise publique se défend bec et ongle. Ce qui permet à l’État d’encaisser un dividende de 24 millions d’euros pour l’exercice 2002. Les consommateurs sont moins contents : ils paient pour les services qui, ailleurs, sont souvent meilleurs marchés.
Ils n’ont qu’à jouer la concurrence, serait-on tenté de dire. Il y a, selon les derniers chiffres de la Commission européenne publiés en décembre 2002, quatre opérateurs de télécommunication s’adressant à la clientèle résidentielle au Luxembourg. Il s’agit des inévitables P[&]T, de Tele2, de Cegecom (filiale de Cegedel) et du petit indépendant Crosscomm. Grâce aux règles de la libéralisation européenne du secteur, ils ont le droit de recourir aux infrastructures des P[&]T pour offrir leurs services, mais ils doivent les payer, en principe au seul prix coûtant.
L’ensemble des services de télécommunication au Luxembourg dans le réseau fixe dépendent donc, d’une manière ou d’une autre, des tarifs des P[&]T : des appels internationaux de Tele2 jusqu’au ADSL de Cegecom. Tous ? Non, il y en a deux qui y échappent. Le câblo-opérateur Coditel offre un service Internet en collaboration avec sa société-sœur Codenet et l’asbl de l’antenne collective de Walferdange en fait de même avec Cegecom. Pur hasard : leurs prix sont bien plus intéressants que des offres comparables de l’EPT. Mais ces services sont limitées à certains réseaux locaux.
Les directives européennes ne fixent pas de prix qu’il faudrait atteindre grâce à la libéralisation. Elles exigent par contre que l’« opérateur dominant » met ses infrastructures à disposition de ses concurrents au prix coûtant. Quand il s’agit d’une simple connexion du « switch » de l’autre opérateur au réseau des P[&]T, on parle d’« interconnexion ». Les prix de gros sont dès lors fixés dans la « Reference interconnect offer » (RIO). Quand le concurrent paie pour un accès physique au cuivre du réseau P[&]T, on parle de « dégroupage de la boucle locale » (nécessaire, par exemple, pour offrir du DSL). Les prix sont alors fixés dans la « Reference unbundling offer » (RUO).
La question est dès lors : est-ce que les prix des P[&]T sont artificiellement élevés ou correspondent-ils tout simplement à des coûts importants liés à un réseau qui ne dispose pas de la même masse critique que ceux des pays voisins ? Force est en tout cas de constater qu’en 2002 encore, les tarifs des P[&]T étaient supérieurs à la moyenne européenne, aussi bien dans la RUO que dans la RIO.
Le chien de garde qui est supposé veiller à ce que l’EPT respecte les règles du jeu s’appelle Institut luxembourgeois de régulation (ILR). Les premières années de la libéralisation, le régulateur a accepté les prix proposés par l’EPT, sans pour autant en être convaincus. L’éclat est venu l’année dernière : l’ILR a refusé la RIO. Les prix n’ont été accepté que de manière provisoire et sont susceptibles d’être corrigés rétroactivement vers le bas.
Ce n’est pas tout : en automne dernier, sur plainte de Tele2, l’ILR a même réduit d’autorité  de plus de vingt pour cent les tarifs pratiqués par les P[&]T dans la RIO. Et ce n’est toujours pas le dernier mot du régulateur. Épaulé par un consultant externe, l’ILR exige davantage d’informations des P[&]T pour vérifier si l’obligation de l’« orientation aux coûts » est respectée. Dix-huit mois après le début de la procédure, elle n’est toujours pas clôturée. À l’EPT on se veut optimiste : un accord devrait être trouvé d’ici les vacances d’été. Même si cela se confirme, ce n’est ni un signe de grande compétence du côté de l’ancien monopoliste ni de grande autorité du côté du régulateur.
Il reste à voir quel sera le résultat de l’exercice : si les P[&]T abusent de leur position dominante, ou si l’entreprise n’est tout simplement que très moyennement gérée.
Pour la clientèle résidentielle, les principales innovations depuis 1998 se trouvent dans la téléphonie mobile. Or, après une baisse très rapide des prix des télécommunications mobiles dans une première phase, on assiste depuis à une sorte d’armistice entre les deux opérateurs, Tango et LuxGSM.
Elle devrait rapidement être brisée : l’année 2003 marque l’avènement de la téléphonie mobile de troisième génération (3G), l’UMTS. Tango (groupe Tele2) y voit le pas décisif de la substitution du réseau fixe par les portables. Apportant de nouvelles capacités, l’UMTS élimine un important désavantage des portables : ils ne sont guère adaptés pour relier un ordinateur à Internet. Le premier producteur de portables du monde, Nokia, ne s’attend toutefois pas à un décollage des ventes d’appareils compatibles UMTS avant le second semestre 2004.
À première vue, ils sont encore optimiste quand on compare leurs prévisions à l’enthousiasme des P[&]T. Les portables « 3G » ne valaient même pas d’être mentionnés au cours de la conférence de presse de l’EPT, lundi dernier. Pourquoi en auraient-ils parlés ? Le lancement de leur réseau UMTS n’est de toute façon prévue que... pour la fin du mois ! Dans son dossier de candidature pour la licence UMTS, l’EPT s’est engagée de couvrir fin juin 2003 trente pour cent de la population luxembourgeoise. Rendez-vous qu’elle tiendra.
Les douze mois à venir seront donc des plus intéressants : d’une part, il y a avec Tango un apôtre du téléphone mobile pour tous et pour tous les services, de l’autre avec les P[&]T les athées de l’UMTS. Pour l’instant, ce sont les seconds qui s’en sortent le mieux : Tango n’a, plus d’un mois après l’annonce officielle, toujours pas lancé sa phase « friendly user » alors que les téléphones compatibles GSM et UMTS sont toujours loin d’être des biens de consommation de masse.

Jean-Lou Siweck
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