Odette Wagener, ILT

"Au début, nous n'étions pas des plus populaires"

d'Lëtzebuerger Land vom 20.05.1999

d'Letzeburger Land: L'Institut luxembourgeois des télécommunication (ILT) fonctionne depuis deux années maintenant, le deuxième réseau GSM est en place, les premières licences du téléphone fixe attribuées. Quel bilan tireriez-vous de ces premières années de travail? 

Odette Wagener: Quand je suis entrée en fonction début juin 1997, l'ILT se limitait à un texte de loi: il n'y avait ni budget, ni personnel, ni bureaux. La loi n'était en plus qu'un cadre général qu'il fallait compléter par nombre de règlements auxquels l'ILT a contribué. Vu que la procédure législative au Luxembourg est par nature complexe, nous avons pris un certain retard. 

Aujourd'hui toutefois, tous les éléments nécessaires à notre fonctionnement sont en place, aussi bien en ce qui concerne les demandes de licences que les déclarations de services. Nous avons donc refait notre retard, même s'il s'agit d'un domaine avec une évolution telle, que nous ne viendrons probablement jamais vraiment à bout. 

Le premier test pour l'ILT était l'introduction de la concurrence dans la téléphonie mobile. Les prix ont baissé entre-temps, les réseaux 1800 Mhz mis en service, d'autres services se sont développés. Est-ce le scénario idéal d'une libéralisation dans l'intérêt du consommateur?

Nous sommes en fait surpris nous même du développement de la téléphonie mobile: cela c'est mieux passé que prévu. Le marché des GSM a carrément explosé. Les sceptiques avaient douté de l'utilité d'un deuxième réseau. La pratique n'a pas seulement montré que le nouvel opérateur a pu trouver une clientèle mais en plus que même l'ancien opérateur a pu profiter indirectement de la concurrence puisque la publicité autour des GSM lui a permis d'augmenter lui aussi son nombre de clients. Les prix ont aussi baissé, et même davantage et surtout plus rapidement que nous l'avions attendu. Je ne crois toutefois pas probable qu'il y aura un troisième réseau, au moins à moyen terme.

Si certains prix ont baissé dans la téléphonie mobile, ce n'est pas le cas pour tous les prix. Surtout les prix d'un appel du fixe vers le mobile restent chers. Y voyez-vous une nécessité d'intervenir? 

Les prix des communications ne sont pas directement de notre compétence. Les questions de concurrence et de tarification pour l'utilisateur final relèvent du ministère de l'Économie, avec lequel nous sommes d'ailleurs en contact régulier. 

Cette compétence ne devrait-elle pas vous revenir?

Je ne crois pas. Nos compétences sont dans la négociation de l'interconnexion des différents opérateurs, dans la répartition des fréquences hertziennes, dans la numérotation ainsi que dans la préparation des licences et le traitement des déclarations de services. Les prix sont du domaine du libre jeu du marché. Regardez par exemple la téléphonie mobile: à l'ILT on n'aurait jamais crû possible une baisse des prix aussi importante. Ce sont les forces du marché qui ont joué librement. 

Depuis le début de l'année le ministère des Communications a attribué, sur base de vos recommandations, les premières licences de téléphonie fixe. Est-ce que les demandes de par leur nombre, leur qualité et leur diversité correspondent à vos attentes?

Les attentes ont en fait été dépassées de loin. En tant que régulateur, on était peut-être moins surpris que le ministère ou certains acteurs du marché. Ce qui nous a surpris à l'ILT est surtout le grand nombre de demandes de licences de type A, c'est-à-dire des licences permettant d'offrir non seulement des services de téléphonie mais aussi de mettre en place une infrastructure. Je ne crois toutefois pas que tous les opérateurs prévoient en effet de mettre immédiatement leur propre réseau en place, mais plutôt qu'ils préfèrent disposer dès maintenant d'une telle licence afin de pouvoir peut-être plus tard réaliser des projets d'infrastructure sans devoir demander une nouvelle licence. 

Il y a un grand nombre de licences déjà maintenant, avec des opérateurs de toute sorte, sans compter les services seulement soumis à déclaration. Dans les demandes de licence, il faut entre autres présenter un business plan. Pourront tous ces opérateurs faire des bénéfices au Luxembourg ou verra-t-on rapidement les premiers, rachats, fusions et retraits?

Tout d'abord il faut remarquer que toutes les données des demandes de licence sont confidentielles. Mais pour répondre de manière générale à votre question: c'est très difficile à dire. Il s'agit là encore d'une question que le marché devra trancher. Certes on voit que dans d'autres pays il y a une tendance à la concentration par fusions et rachats. Le développement que prendra le secteur au Luxembourg reste toutefois une inconnue. D'autant plus que les nouveaux opérateurs n'en sont pour l'instant qu'aux préparations et n'ont pas encore commencé l'exploitation de leurs services.

Après l'attribution des licences, la deuxième étape est la négociation de l'interconnexion entre les nouveaux opérateurs et l'Entreprise des postes et télécommunications (EPT). Des premières critiques précises ont été faites par les nouveaux acteurs quant aux conditions offertes par l'EPT. Ainsi, les prix au Luxembourg seraient les plus élevés d'Europe, hormis le Portugal. S'y ajoute qu'en ce qui concerne les appels nationaux, l'offre d'interconnexion de l'EPT ne permet pas aux opérateurs alternatifs d'offrir des prix compétitifs à leurs clients. Y voyez-vous un besoin d'intervention de votre part?

Les prix à payer par les opérateurs alternatifs à l'EPT pour l'utilisation de son réseau sont contenus dans l'Offre générale d'interconnexion (RIO) élaborée par l'EPT et approuvée par nos services. Vu l'évolution rapide du secteur, la RIO est revue tous les ans. Nous avons déjà commencé nos investigations et le dialogue avec l'EPT afin de disposer d'une nouvelle RIO à partir du 1er janvier 2000. Au cours de ce dialogue, nous nous pencherons aussi à nouveau sur les prix.

En ce qui concerne les appels nationaux, cette question sera aussi passée en revue dans le futur. De façon générale, laissez-moi constater quand même que ce qui est spécifique au Luxembourg est l'absence d'appels nationaux à longue distance, sur lesquels la concurrence joue dans d'autres pays. Chez nous tous les appels restent locaux. Nous devrons donc traiter ce sujet d'une autre façon que dans d'autres pays. Mais il est encore trop tôt pour vous en dire plus. 

Etes-vous satisfaits du déroulement des négociations d'interconnexion ou croyez-vous devoir intervenir?

Les négociations entre l'EPT et les nouveaux opérateurs sont en cours. Pour l'instant les échos qui nous en reviennent sont plutôt positifs. Il est exact qu'en cas de conflit lors des négociations entre l'EPT et les nouveaux opérateurs, la loi prévoit l'ILT comme conciliateur. C'est un élément positif puisque les dossiers sont d'une haute technicité et qu'un compromis est plus facilement à trouver avec un conciliateur disposant du savoir-faire nécessaire. Nos compétences se limitent toutefois à formuler une recommandation. Faute d'accord, il reviendra aux tribunaux de trancher. On n'y est pas encore toutefois. 

L'ILT a décidé que les clients des nouveaux opérateurs recevront des numéro de téléphone à huit chiffres. N'y voyez vous pas une discrimination vis-à-vis de l'EPT?

Les nombres de numéros de téléphone à six chiffres n'étaient plus suffisants avec l'arrivée de nouveaux opérateurs. On est parti avec trois scénarii différents. Après des consultations avec l'ensemble des acteurs concernés, nous avons retenu la solution qui nous semble la plus flexible. À partir du 1er mai 1999, chaque nouveau numéro de téléphone qui sera attribué sera composé de huit chiffres, aussi bien pour les clients de l'EPT que pour ceux des autres opérateurs. Les numéros existants resteront inchangés. La situation reste donc la même pour tous les opérateurs et on ne peut pas parler de discrimination surtout qu'à partir de juillet de l'an 2000 la portabilité des numéros entre opérateurs sera possible, c'est-à-dire qu'on garde son ancien numéro même si on change d'opérateur. 

N'aurait-il pas été possible de garantir la portabilité dès maintenant?

C'est surtout une question technique qui n'est pas réalisable aussi rapidement. C'est d'ailleurs pour cela que nous profitons, comme pour la libéralisation elle-même, d'une dérogation de six mois.

La dérogation a été négociée par le gouvernement. La jugiez vous nécessaire en tant que régulateur?

Absolument. Même avec la dérogation on avait d'ailleurs du mal à respecter les délais. La requête initiale portait en fait sur deux ans et non pas seulement six mois. Cette demande n'a pas été comprise à Bruxelles. Le Luxembourg apparaît toujours comme un pays très riche qui peut facilement mettre en œuvre les changements nécessaires. Mais pour un petit pays, les charges d'une telle opération pèsent plus lourd que pour un grand pays. En effet, les tâches restent plus ou moins les mêmes, mais elles doivent être remplies avec un nombre plus réduit de ressources. 

Comment décririez-vous vos relations avec les différents acteurs du secteur: ministère, EPT et nouveaux opérateurs ?

Il est clair qu'au début nous n'étions pas des plus populaires. On s'imagine bien que l'EPT n'était pas demandeur d'une libéralisation. Le grand public d'ailleurs non plus. Tout le monde était plutôt satisfait du statut quo. Il était donc clair qu'on allait se retrouver dans une situation de combattant. Au début, il fallait donc d'abord se positionner.

Aujourd'hui toutefois, il n'y a plus de problèmes. Notre collaboration avec l'EPT de même qu'avec les différents ministères et autres acteurs est bonne. Quant au grand public, nous ne sommes pas encore tellement connus. De par sa nature le régulateur est en premier lieu en contact avec les milieux professionnels. 

L'ILT est une institution indépendante. Comment est-il financé?

Nous sommes une institution indépendante du point de vue administratif et financier. C'est une condition de base des directives européennes. Le ministère des Communications détient le rôle du législateur, l'ILT celui de l'exécutif, même si nous participons aussi aux travaux préparatifs des avant-projets de loi ou de règlement. L'indépendance financière est un élément crucial. Nous sommes financés par le marché, c'est-à-dire que nous vivons des redevances payables par les détenteurs de licences de télécommunication. Notre budget est approuvé par notre conseil d'administration et soumis au contrôle d'un audit externe. Nous sommes donc indépendant du budget de l'État.

Est-ce la raison pour les tarifs assez élevés des licences de télécommunications comparés à la Belgique, par exemple?

C'est à nouveau une spécificité d'un petit pays. Les revenus des licences sont supposés couvrir nos frais de fonctionnement, sans faire de bénéfice. Un versement au budget de l'État n'est donc pas prévu. Mais nous avons les mêmes obligations que tous les autres régulateurs nationaux, même si notre marché est plus étroit. Pour la première année, nos recettes étaient impossibles à prévoir de manière précise. À moyen terme nous avons cependant prévu de revoir les tarifs des licences afin de garantir leur relation avec le prix coûtant. 

La Commission européenne a formulé certains reproches à votre égard en automne dernier, notamment un manque d'effectifs et le fait que votre indépendance serait limitée parce que vous dépendez du même ministère de tutelle que l'EPT. Comment réagissez-vous à ces reproches? 

En ce qui concerne l'effectif, il était clair dès le début que celui-ci serait augmenté en même temps que le volume de travail. Pour la majorité des autres points de ce rapport, nous sommes aujourd'hui en règle et nos relations avec la Commission européenne sont excellentes. 

Concernant l'indépendance, la question est réglée par la loi sur les télécommunications qui stipule clairement que l'Institut est administrativement et financièrement indépendant, comme déjà mentionné avant. Cette indépendance est d'ailleurs illustrée par le fait que toutes nos recommandations relatives à l'accord de licences ont été acceptées sans commentaires par le ministère.

 

Jean-Lou Siweck
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