Libéralisation des télécommunications

Un marché en devenir

d'Lëtzebuerger Land du 29.06.2000

Ils sont là. Le 1er juin 1998, date officielle de la libéralisation des télécommunications au Luxembourg, on ne pouvait que spéculer sur les conséquences de la levée du monopole de l'Entreprise des postes et télécommunications (EPT). Il y a un an, les premières licences étaient certes attribuées, mais aucun des nouvels entrants, n'était encore opérationnel - du moins selon les nouvelles règles. Depuis quelques mois maintenant, les activités des opérateurs alternatifs se rodent peu à peu, leurs stratégies et ambitions se précisent alors que les P[&]T se positionnent. 

Au niveau politique, on parle moins des télécommunications - et c'est une bonne nouvelle. En mettant l'accent sur les développements des nouvelles technologies, de la « nouvelle économie », le gouvernement semble enfin, au moins dans les discours, avoir pris la mesure de l'enjeu que pose le secteur des télécommunications. Après avoir confondu pendant une décennie les bénéfices de l'EPT - dans lesquels l'État actionnaire s'est servi par moment à hauteur de 90 pour cent ! - avec une politique des télécommunicatons, un changement de direction semble enfin perceptible. 

Un autre élément marquant est le changement de référence. L'ensemble du cadre légal européen de la libéralisation des télécommunications est construit autour de la téléphonie vocale. Or, elle est en train de se faire, en terme de trafic, complètement dépasser par la transmission de données informatiques, le data. À cause d'Internet bien sûr - même les ménages commencent à penser en kilobits et megabits plutôt qu'en lignes téléphoniques - mais aussi à cause de réseaux internes des entreprises internationales.

L'EPT reste l'acteur dominant sur le marché. Ses parts de marché vont certes se réduire. Mais elle bénéficie d'une demande en pleine croissance et il reviendra à l'EPT, comme à toute autre entreprise, d'en faire le mieux face à une concurrence qui semble par moments insurmontable et par d'autres guère équipée pour s'imposer sur le marché local. L'importance de leurs présence locale, aussi bien en terme d'effectifs que d'équipements, varie en effet fortement.

Les véritables défis d'une politique des télécommunications sont ailleurs. Il y a d'un côté la connexion du Luxembourg aux autoroutes de l'information pan-européennes en voie de constitution, et de l'autre celle de tous les habitants du pays à ces réseaux.

« Après les inévitables consolidations à venir au niveau international, estime Roland Streber du bureau d'ingénieurs-conseils Luxconsult, il restera cinq ou six réseaux de télécommunication pan-européens. Aujourd'hui, un seul de ceux qui en feront partie passe en boucle par le Grand-Duché. » En cause sont les lenteurs dans les autorisations d'ouvrir les routes pour poser des fibres. La situation s'est pourtant bien améliorée depuis quelques mois. Poser ses fibres optiques lors de chantiers sur les routes nationales n'est ainsi plus un problème. Le long des autoroutes ou du rail, cela reste, de facto, impossible. « Ceux qui ont bloqué dans les années 70 les autoroutes, juge Roland Streber, font aujourd'hui de même pour celles de l'information. » Face à l'insécurité juridique qui persiste, des bugets importants prévus par certains opérateurs internationaux pour le Luxembourg ont ainsi été mis en attente. Le Grand-Duché paie d'ailleurs déjà le prix. Betzdorf pourrait ainsi être aujourd'hui un de ces centres « nouvelle économie » dont les gouvernements aiment tellement fabuler. Or, on a, et ça perdure, par peur de froisser l'EPT oublié de connecter le siège de la SES au monde à l'aide de quelques fibres optiques en concurrence.

En ce qui concerne l'accès des ménages aux réseaux de télécommunication, le Luxembourg n'a pas à se plaindre. L'EPT a quitté le havre du monopole avec un réseau de téléphonie de première qualité. Chaque abonné peut ainsi être connecté par une ligne digitale, aujourd'hui par ISDN (64 Kb/s), demain par DSL (jusqu'à 1 Mb/s). La fibre optique est de même déjà très présente dans le réseau. Les prix et, surtout, les formules d'abonnement, laissent certes encore à désirer, mais le Luxembourg compte d'autres atouts. Du mouvement s'annonce ainsi, enfin, du côté des câblo-distributeurs - même s'il reste peu probable que leurs nouveaux services atteignent rapidement l'ensemble des ménages connectés aujourd'hui au câble. 

Le Luxembourg a été de même le premier pays européen à accorder une autorisation pour l'exploitation d'un réseau de wireless local loop (réseau fixe sans fil). Bien qu'en retard avec l'attribution des licences UMTS, le téléphone mobile de la troisième génération, le Grand-Duché pourrait servir de projet pilote pour l'un ou l'autre grand opérateur dès l'accord des autorisations.

En dépit des lenteurs - pas un seul nouvel entrant n'accuse pas d'importants retards sur ses plans initiaux au Luxembourg - la concurrence s'est bel et bien établie au Grand-Duché. L'exemple le plus visible est bien sûr Tele2 qui seul s'adresse au marché résidentiel. La société soeur de Tango attaque par les prix sur les appels internationaux, les P[&]T rétorquent par la qualité : au client de faire son choix. Une des conditions était la baisse des prix d'interconnexion avec le réseau de l'EPT. Mission accomplie par l'ILT : les tarifs ont diminué de 25 pour cent de 1999 à 2000. Dans le maché de la voix, les marges se sont néanmoins entre-temps effondrées, surtout chez les grands clients. À partir du 1er juillet, la portabilité du numéro, au changement d'opérateur, et la préselection de l'opérateur pour les appels internationaux devrait relancer encore une fois les efforts des nouveaux entrants.  

Ces derniers reprochent d'ailleurs à l'EPT d'abuser sa position dominante. Les tarifs pour les lignes louées restent ainsi extrêment élevés. La direction de l'EPT les défend comme étant des prix coûtants, ce qui n'empêche pas son service commercial de passer, pour des clients très courtisés, allègrement en dessous. Une pratique qui interpelle bien sûr le régulateur du marché. 

Or, l'ILT est largement absent du débat. Dans le secteur, son travail est pourtant apprécié. Sa principale faiblesse reste cependant qu'en cas de conflit entre opérateurs il peut certes essayer de concilier, mais pas trancher. Il ne faut dès lors pas nécessairement s'attendre à ce que l'ILT crée une dynamique sur le marché. Il n'en a pas le pouvoir, et tout porte à croire que côté volonté, sa direction n'est pas mieux lotie. 

Avec la concurrence, les parts de marché de l'EPT sont en baisse, les prix aussi, mais le chiffre d'affaires a continué à augmenter (un peu) en 1999. Une preuve de la santé du marché. En nombre d'abonnés, LuxGSM est descendu à soixante pour cent. Dans les appels internationaux, l'EPT estime sa part de marché à 85 pour cent. D'autres calculent que, tous les métiers confondus - voix, portable, Internet, data et autres lignes louées - l'opérateur historique pourrait ne représenter plus que 75 pour cent du total. Ce qui ferait du Luxembourg un marché pesant 17 milliards de francs par année.

 

Jean-Lou Siweck
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