Mappamundi

Décoder la cartographie

Planisphère de Waldseemüller
d'Lëtzebuerger Land du 10.03.2017

Il a quelque chose d’anachronique, le personnage central du nouveau film de Bady Minck, Mappamundi (Amour Fou, 2017), qu’elle vient de présenter au Luxembourg City Film Festival ce mercredi. Anachronique ou atemporel, avec son costume moulant bleu, sa chevelure en tissu fait main et cet œuf qui lui sert de vaisseau spatial. Ce rétro-futurisme est une des marques de fabrique de l’artiste et cinéaste originaire d’Ettelbruck, un aspect encore amplifié par la technique de tournage en stop-motion, image par image. Les mouvements en deviennent saccadés, les personnages aliénés. Ces figures, une ou plusieurs, selon le moment du film, sont des « cartographes cosmiques » extraterrestres, qui ont pour mission d’explorer l’univers et les mondes qui le peuplent. Leur technologie leur permet de scanner les planètes qu’ils/elles découvrent (ils/elles sont asexués) lors de leur voyage. Le résultat est à chaque fois décevant, les planètes sans vie. Jusqu’à ce qu’ils entendent un battement régulier : c’est la planète terre, si bleue. Ils s’approchent pour ausculter cette nouvelle découverte, et pour mieux la comprendre, rembobinent des millions d’années de son histoire,
950 pour être précis, afin de comprendre ce drôle d’astre.
C’est alors qu’on plonge vraiment dans l’univers de Bady Minck. Celle qui explora l’Œsling avec son « Jitzert » en 1996 et l’Autriche à travers les clichés bucoliques de milliers de cartes postales dénichées sur les marchés aux puces en 2003, élargit ici son regard sur tout l’univers – mais en ayant recours aux mêmes techniques d’animation qui ont contribué à créer son propre langage visuel. La formation de la terre et de ses continents, avec le mouvement des plaques tectoniques, la période glaciaire ou les migrations humaines – qui ressemblent à des colonies de fourmis lorsqu’elles se frayent un chemin vers d’autres continents –, est reconstituée en pâte à modeler puis filmé image par image.
Se basant sur des recherches dans les archives qui ont duré presque dix ans – le tournage avait commencé en 2010 – et pour lesquelles elle a analysé 15 000 années de cartographies, elle ouvre les mystères de la planète aux observateurs extraterrestres. Et à travers leur regard, au public. « Cette planète est tellement vaste, comment l’homo sapiens s’y est-il retrouvé ? » demande un des cartographes cosmiques. La réponse est justement dans ce métier de la cartographie, qui a toujours été une vue politique avant d’être purement scientifique. Avant Google Earth et le réseau mondial de données GPS, l’homme devait se faire une raison, explorer d’abord le village, puis le pays, puis le continent voisins. Le tout biaisé par des idéologies politiques ou religieuses.
Le voyage à travers le monde et son histoire, Bady Minck le fait au galop. Et toujours avec une certaine poésie : les premiers dessins sur pierre sortent de terre comme jadis les plantes dans l’Œsling ou le pain des livres dans Im Anfang… Les transitions entre les différentes cartes, toujours ethnocentrées – sur les premières cartes catholiques, les pays ont d’autres dimensions que sur les cartes islamiques – , se fait par morphing ou par animation en deux ou trois dimensions. La plus belle scène est probablement celle du passage de Colomb vers les Amériques : la tempête en mer et les figures mythologiques qui sortent des vagues sont une œuvre d’art en soi. Mais le voyage est haletant, et, on s’en doutait, la planète court à sa perte. Elle finira dans une sorte de tube gastro-intésinal géant et moche, le point faible de cette excursion de 45 minutes, qui entame sa tournée de festivals européens après Luxembourg.

josée hansen
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