Chroniques de l’urgence

Le Covid-19 n’est peut-être « qu’un début »

d'Lëtzebuerger Land du 01.05.2020

Aveuglés par notre superbe destructrice, nous comptons les points entre ceux qui affirment que la responsabilité du nouveau coronavirus incombe à la chauve-souris, ceux qui misent plutôt sur le pangolin et d’autres qui croient pouvoir incriminer les deux à la fois. Un groupe de chercheurs affiliés à l’Ipbes, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, remet les pendules à l’heure : une seule espèce est fautive, et c’est la nôtre.

Dans un article publié cette semaine sur le site de l’Ipbes, qui est à la biodiversité ce que le Giec est au climat, Josef Settele, Sandra Díaz and Eduardo Brondizio expliquent que « comme pour les crises climatiques et de biodiversité, les récentes pandémies sont une conséquence directe de l’activité humaine, en particulier nos systèmes financiers et économiques mondiaux, basés sur un paradigme limité qui valorise la croissance économique à tout prix ».

Ces auteurs savent de quoi ils parlent : ils ont coordonné la publication du rapport 2019 de l’Ipbes sur les risques sévères que l’érosion de la biodiversité fait courir à l’humanité, avec un million d’espèces de plantes et d’animaux menacées d’extinction dans les décennies à venir. Le professeur Settele, de l’université de Halle, avait présenté les conclusions alarmantes de ce rapport à Luxembourg il y a quelques mois lors d’une conférence organisée par le Mouvement écologique, en se concentrant sur sa spécialité, les forêts. La « déforestation effrénée » est d’ailleurs le premier facteur que lui et ses coauteurs citent, aux côtés de « l’expansion incontrôlée de l’agriculture, de l’agriculture intensive, l’exploitation minière et le développement des infrastructures, ainsi que l’exploitation des espèces sauvages » comme ayant créé les « conditions parfaites » pour la propagation des maladies de la faune aux humains.

Depuis que le concept de zoonose a été créé au XIXe siècle pour décrire les maladies et infections dont les agents se transmettent naturellement entre animaux vertébrés et êtres humains, l’humanité a eu son lot de pandémies zoonotiques. Mais les trois scientifiques nous préviennent que « les futures pandémies sont susceptibles de se produire plus fréquemment, de se propager plus rapidement, avec des répercussions économiques plus graves et de tuer plus de personnes si nous ne sommes pas extrêmement prudents quant aux impacts possibles des choix que nous faisons aujourd’hui ». Ils préconisent le concept « Un monde, une santé », qui selon eux doit être adopté « à tous les niveaux de prise de décision, du mondial au plus local, en reconnaissant les interconnexions complexes entre la santé des personnes, des animaux, des plantes et l’environnement que nous partageons ».

Alors que le monde piaffe d’impatience de se déconfiner, ces scientifiques nous enjoignent à point nommé de tirer les enseignements de cette crise et de ne pas retourner tête baissée vers nos travers dévastateurs.

Jean Lasar
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