Musée de la Forteresse

Repositionnements

d'Lëtzebuerger Land vom 24.03.2011

Les esprits se sont calmés, la tornade politique des dernières années a été dévastatrice. Un an après le nouveau départ (le premier avait eu lieu en 1997), après le vote de la nouvelle loi relative aux mesures d’achèvement du Musée de la forteresse de Luxembourg dans le réduit du Fort Thüngen et de la mise en valeur de certaines parties de la forteresse de Luxembourg, le projet est encore en chantier. Il ouvrira sans doute ses portes en automne 2012.

D’abord, il s’agit pour l’équipe du Musée national d’histoire et d’art (MNHA) qui a repris le flambeau de formuler un concept qui tienne la route – l’Université du Luxembourg est toujours de la partie –, ensuite, elle doit aussi effacer les erreurs récentes, commises dans l’enceinte de l’ancien fort des Trois Glands. Car l’équipement technique et les éclairages – pour coûteux qu’ils aient été – ne correspondent plus aux standards techniques internationaux. Ils sont bons pour la ferraille avant même d’avoir vraiment servi !

La gestion et la réalisation du projet ont été confiées au MNHA, les dépenses seront réglées par le Fonds pour les monuments historiques. La loi prévoit un seuil maximal de 8,72 millions d’euros, répartis sur l’achèvement du circuit Vauban, de l’aménagement du fort Thüngen et de la mise en place d’une muséographie pour le musée. Résultat des courses : un coût global de 43 millions d’euros, véritable dilapidation des deniers publics, comme l’ont rapporté la Cour des comptes et le Conseil d’État. (voir d’Land du 1er mai et du 9 octobre 2009). Fini le temps des cogitations interminables pour tenter de cerner la fameuse identité nationale luxembourgeoise, concept dont il était à craindre que la visualisation en aurait été réalisée prioritairement à l’aide de bornes interactives plantées dans le décor rustre du fort, ambiance appuyée par un éclairage théâtral et quasi fantomatique, où l’informatique aurait donc pris la place prépondérante, ne laissant aux objets historiques et originaux qu’un second rôle tout au plus.

L’approche est aujourd’hui différente, elle est classique et pragmatique : puisque les coffres du MNHA débordent d’objets inédits qui ont marqué l’époque où le Luxembourg se définissait surtout par sa forteresse, autant les montrer au public. Autant les sortir de leur profond sommeil. L’armurerie compte par exemple à elle seule un arsenal de milliers de pièces, plus de 500 armes longues et environ 300 pistolets. C’est du lourd qui pourrait fournir un musée à lui tout seul. Sans parler des uniformes, des protections et casques, des reproductions de scènes de guerre, des plans etc.

Le défi est donc d’éviter de faire trop dans le martial, ou de surcharger les locaux jusqu’à l’indigestion. C’est la raison pour laquelle l’équipe responsable compte ouvrir le sujet à l’économie et au domaine social et tente de répondre aux questions : comment se déroulait la vie de la population marquée par la forteresse, rythmée par des occupations successives, comment se développait la cohabitation avec les garnisons étrangères sur un territoire aussi réduit, confiné par des murs et des portails massifs  ? Comment ces contacts ont-ils été vécus de part et d’autre ? Quelles furent les interdépendances, sachant que la prospérité économique était exclusivement assurée par l’occupant ? À la fin du Moyen Âge, la population comptait 5 000 personnes qui vivaient quasiment enfermées sur ce territoire et étaient obligées de se procurer un laisser passer à chaque fois qu’elles voulaient passer quelques heures à l’extérieur de l’enceinte. À certaines époques, les contingents militaires dépassaient même le nombre d’habitants. La population n’avait pas la possibilité de voir par-dessus les murs, leur horizon se limitait à ça, certaines zones étaient interdites d’entrée.

En fait, la cohabitation était moins mouvementée qu’il n’y paraît – les habitants se sont vite accommodés aux garnisons de différentes nationalités. Les tentatives de révolte étaient rares. Des mariages mixtes ont même eu lieu, des conflits d’honneur et des duels. Les archives du musée regorgent d’informations qui attendent d’être exploitées – rien que la bibliothèque Jordan, acquise en 2009, compte quelque 8 000 livres sur le sujet. C’est une question de personnel, comme partout ailleurs et les responsables du musée espèrent que des étudiants s’intéresseront à ces trésors enfouis dans les réserves.

Sur ces questions-là, les objets témoins de la vie de tous les jours se font plus rares. Le problème est inhérent à toutes les époques : on ne garde que ce qui est exceptionnel, tandis que les objets de tous les jours ne valent pas la peine d’être préservés pour les générations futures et sont vite détruits. Les livres d’histoire ne s’occupent pas non plus outre mesure des contextes sociaux dans lesquels les populations ont vécu, s’intéressant plutôt aux effets saillants des politiques et campagnes menées par les conquérants. Au grand dam des historiens qui tenteront de reconstituer une époque sur base de quelques indices ou récits d’époque. Pour un musée, ces lacunes peuvent être palliées par des bornes informatiques. « Il est prévu de s’en servir, mais uniquement là où les objets originaux font défaut, précise François Reinert du MNHA, en charge du projet depuis automne 2009. Aucune copie, ni reconstruction n’y seront tolérées. » Pour le reste, la priorité sera donnée à l’objet original. Mais avant, il faudra reconstituer et restaurer des documents, les tableaux, les photos. Le musée dispose par exemple d’un exemplaire de la London Gazette et du Journal du Siège, reprenant des nouvelles de l’offensive de 1684 par Vauban et Louis XIV. Un tableau de l’époque avec vue idyllique de la forteresse assiégée et restée quasi intacte, montre d’ailleurs que la propagande n’est pas du tout une invention récente. Somme toute, la période Vauban ne durera que quinze ans, le gros de la forteresse a été conçu et construit durant la période autrichienne au XVIIIe siècle.

L’entrée du rez-de-chaussée abritera l’espace accueil des visiteurs, ainsi que la cafétéria et le musée-shop. La partie voûtée, les casemates, serviront à l’exposition permanente montée chronologiquement : une pièce par siècle. Chaque détail historique du bâtiment sera maintenu : des charnières de portes, du crépi d’époque, des cheminées, etc. Même les tentatives maladroites de rénovation des années 1980 ne seront pas corrigées, car elles appartiennent aussi au patrimoine historique du grand-duché. À l’époque, des équipes de la DAC, de la division anti-crise du secteur sidérurgique, furent occupées sur ce site, coulant des murs en béton, faisant plus de mal que de bien. Maintenant, un des grands défis du chantier est la régulation de la température et de l’humidité – due à la porosité des matériaux –, ainsi que le manque de lumière.

Un espace multimédia de récréation sera aménagé au fond du rez-de-chaussée, dans la pointe de la flèche. Les éléments formels d’architecture se répercuteront dans le style du mobilier avec des pointes, ses coins et recoins. Chronologiquement, l’exposition historique s’arrête en 1903, avec la construction du pont Adolphe qui marque une nouvelle époque et la fin de l’existence de la forteresse en elle-même. À cette époque fut réalisée une imposante maquette en bronze d’une tonne et demie qui sera mise en scène par un jeu de lumières. Ce joyau permettra au public de réaliser la véritable dimension de la forteresse historique et d’en suivre l’évolution.

Les voûtes originales du fort seront surmontées d’un étage (qui n’a en fait jamais existé) pour accueillir des expositions temporaires. Il y aura aussi un auditorium avec la projection de films d’introduction aux différents sujets.

Il est intéressant de savoir aussi que lorsque la forteresse fut définitivement démantelée, les terrains furent quasiment tous récupérés par l’État, la Ville de Luxembourg restant bredouille. C’est sans doute une des raisons qui expliquent les conflits opposant les deux camps aujourd’hui encore. Le fait que beaucoup de terrains furent aménagés en parcs publics ne tient pas non plus du hasard. Car déjà à l’époque, le souci était moins de vouloir augmenter la qualité de vie des habitants de la Ville que d’éviter que la mise à disposition de trop de parcelles conduise à une chute des prix des terrains. Les temps n’ont tellement pas changé.

anne heniqui
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