Avant les législatives

Troisième scrutin en neuf mois : J-3

d'Lëtzebuerger Land vom 18.09.2015

Un peuple déboussolé Les élections qui auront lieu le 20 septembre prochain en Grèce sont dues à l’échec du gouvernement sortant lors de ses négociations avec les créanciers du pays, ce qui amena la division du parti de Syriza. Ce carnet grec vise, quelques jours avant les élections, à transmettre l’état d’esprit de ceux qui ont voté pour Syriza en janvier.

Syriza malgré tout Stavroula, la cinquantaine, jeune « entrepreneuse de la crise » explique, non sans humour, avoir ouvert son épicerie-tabac en 2007, jour où Georges Papandreou a lancé le fameux slogan mensonger « Il y a de l’argent ! » ; et le café-boulangerie d’à côté, en janvier 2015, le jour où Tsipras a dit qu’il allait « déchirer les mémorandums de l’austérité ». Cela fait quelques années qu’elle soutient Syriza, sans être membre inscrite. Elle travaille avec ses deux enfants (qui ont la trentaine) tous les jours de six heures du matin à une heure du matin. Ses deux petites entreprises, face à l’un des grands hôpitaux publics de Thessalonique, sont des lieux de rencontre et de discussions toujours passionnées. À la question de savoir pourquoi elle va revoter pour Syriza elle répond : « Cela fait 25 ans que je suis mère célibataire avec deux enfants et que l’État ne m’a jamais aidée, cela fait 35 ans que je travaille dur et je n’ai jamais eu un contrat, une sécurité sociale, une allocation. L’ancienne classe politique a détruit ce pays, ils ne doivent à aucun prix reprendre les choses en main ! Si tu n’étais pas fils de député, si tu n’avais pas d’argent à passer sous la table, tu ne pouvais rien faire, ce n’était pas une vie ! »

Syriza en interne Et pourtant, l’issue de ces élections reste inconnue. Discussion avec Alkis, la soixantaine, fonctionnaire retraité et politiquement engagé depuis ses études : d’abord membre du parti communiste qui, suite à sa division, s’est inscrit à Synaspismos – le parti devenu Syriza – en 1991. « Syriza aujourd’hui a perdu sa grande majorité. Tsipras a déçu beaucoup de monde. La plupart d’entre nous, nous sommes blessés. Exemple ? Un meeting qui a eu lieu récemment : Il y avait 18 membres inscrits. Parmi ces personnes : trois vont rester dans Syriza et trois vont s’allier à LAE (le parti dissident de l’« Unité populaire ») ; et restent 12 qui vont rentrer chez eux » (silence).

Les 20-35 ans « La jeunesse de Syriza a quitté le parti presque dans sa totalité et d’un coup. Le pire est que maintenant ces jeunes ne vont nulle part : ils ne rejoignent pas LAE et ne restent pas chez Syriza. C’est le plus grand mal qui pouvait arriver : que le parti laisse ces jeunes dans une situation sans issue politique. Tsipras devait s’inspirer de cette génération qui l’a soutenu dans ces circonstances extrêmement dures. Ces jeunes, dans leur majorité diplômés et au chômage, se sont politisés pour la première fois de leur vie avec la crise, parce que Syriza signifiait quelque chose pour eux ».

Quitter Syriza « J’ai pris ma décision le 13 juillet avec le mémorandum. Mais moi je ne deviens pas LAE maintenant. J’ai toujours été à gauche de la gauche : je n’ai jamais cru aux plans d’austérité. J’ai commencé à avoir des soupçons avant les élections, puis quand Tsipras a collaboré avec le parti souverainiste des Grecs indépendants (ANEL) et quand il nomma pour Président de la République un ‘gros calibre’ de la Nouvelle Démocratie, Prokopis Pavlopoulos. Cette politique, permettez-moi l’expression, ‘bourgeoise’, n’était déjà pas Syriza. J’ai ensuite eu peur le 20 février quand Varoufakis est revenu de l’Eurogroupe avec cet accord ambigu. Le mémorandum a été ma ligne rouge indépassable. Parmi les anciens de Syriza, ceux qui vont voter pour Tsipras vont le faire le cœur lourd ».

LAE Pourquoi est-ce que les sondages ne lui donnent que quatre pour cent ? « Parce que leur proposition est incomplète. C’est un début de réponse, par élimination. Ils n’ont pas eu le temps de s’organiser en 20 jours. Personnellement, je leur donne un ‘carton jaune’ car ils sont contre le cercle vicieux dans lequel nous enferme la monnaie unique (et plaident donc pour une monnaie nationale). Mais leur proposition reste inachevée. Je trouve surtout intéressante l’initiative de Varoufakis au niveau européen. Vraisemblablement, pour jouer à niveau européen, il faut se coordonner. Mais tout cela est encore en formation. Car quand on voit que Chypre et la Grèce deviennent des sujets d’une telle envergure, on imagine qu’au moment où le problème analogue fera surface en Espagne, en Italie, en France et plus tard en Allemagne, l’Europe sera incapable de se gérer. Nous sommes à une époque où il n’est plus possible qu’un pays mange à sa faim et que de l’autre côte de la méditerranée les gens meurent de faim. Nous sommes en plein sur le chemin terrible du néo-libéralisme. Ce chemin revêt une caractéristique de fond : il est contre les collectivités. Il est individualiste. Ce qui est contraire à la nature humaine ».

Que ce soit politiquement conscient ou pas, ce qui, encore pour le moment, différencie la vie en Grèce des autres pays européens, c’est précisément ce vivre-ensemble collectif. « Oui mais cela est entrain de disparaître. Dans les années 1970 et 1980, nous étions pauvres, mais heureux. À cette époque-là, le mot camarade voulait dire quelque chose. Aujourd’hui on se dispute par internet. Et la seule politisation importante de la jeune génération vient d’être frappée en son cœur. C’est ce que veut le néolibéralisme ».

Vote sanction et abstention À quelques jours du scrutin, les sondages donnent aux indécis et aux abstentionnistes entre onze et 17 pour cent. Comme Alkis le remarque, ce qui n’est publié nulle part c’est que, parmi eux, il y a une grande majorité – 44 pour cent – qui en janvier ont voté Syriza. « Ce sont ces chiffres qui donneront forme au résultat. Estimation ? Tsipras va gagner ‘ses’ élections. Il y a également la dite ‘prévision du vainqueur’ : tous les partis et tout le monde donne Tsipras. La surprise est évidemment toujours possible. Le vote sanction, le vote cynique ou ironique, peut tout changer. Je ne sais pas ce que vont faire les 62,5 pour cent qui ont voté ‘non’ au référendum. J’espère que nous allons éviter le pire et ne pas avoir une opposition Aube Dorée, cela serait catastrophique. C’est la raison pour laquelle les petits partis vont jouer un rôle. Comme par exemple Potami, cette formation ‘occasionnelle’ de la crise, faite de technocrates. Ils se présentent comme un parti de capables et honnêtes. Je ne comprends pas ce que cela veut dire politiquement. Quoi qu’il en soit, les petits partis vont jouer un rôle dans la constellation du prochain Parlement ».

Questions de survie « Je n’ai jamais attendu de Syriza qu’il fasse tout ce qu’il a promis, explique Stavroula. Les choses sont peut-être encore dures, mais nous avons l’espoir que quelque chose va changer – économiquement et socialement, dans les mentalités. Mais aussi dans la manière dont l’Europe perçoit la Grèce. La Nouvelle Démocratie et le Pasok étaient des ‘oui-oui’. Je ne sais pas ce que Tsipras va nous apporter, ce que je sais c’est qu’il va revendiquer nos droits. L’essentiel est qu’il croit en sa cause. Et elle n’est autre que de sortir le pays de la crise ».

Mais Tsipras a signé un mémorandum… « Tsipras est le premier a avoir osé se battre, il ne pouvait pas faire couler le pays pour autant. L’as-tu entendu au Parlement européen ? Comment est-ce que les Grecs se sont sentis quand la vérité de leur souffrance a été dite pour la première fois en Europe – et applaudie par tous les Européens, sauf le parti de Merkel et la Nouvelle Démocratie ? Il ne pouvait pas changer le monde en six mois, ni tout arrêter. Est-ce que tu connais l’histoire de Nasreddin Hodja et de son cheval ? Hodja n’a plus d’argent, il décide alors de ne pas nourrir son cheval, déjà assez fort, et d’observer. Le cheval ne meurt pas le premier jour, ni le second, le troisième jour il s’affaiblit… et quelques jours plus tard, il meurt. Hodja dit alors ‘Oh ! Dommage, et il commençait justement à s’habituer à ne rien manger !’ Tu comprends ? ».

Sofia Eliza Bouratsis
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