Dabce013

Bach dansé

d'Lëtzebuerger Land du 25.10.2013

Un pari, à priori gagnant-gagnant que ce septième Dance, pour rappel, un projet initié par Traffo / Carré Rotondes, inscrit dans le temps. Cette année, pour Dance 013, Katarina Svoboda, il s’agissait de faire travailler la chorégraphe, Nathalie Moyen et l’actrice, metteure en scène, Betsy Dentzer avec des lycéens. Certains d’entre eux, comme Joël Rodrigues Lavinas ou Jacinto Mota Perreira (gagnants 2013 du Scènes à deux, concours organisé par le même Traffo pour les jeunes passionnés de théâtre) participaient pour la troisième fois consécutive.

Nathalie Moyen a choisi de faire balancer son travail de chorégraphie davantage du côté de la mise en scène théâtrale, repris par Betsy Dentzer et développé en y incluant des éléments d’expression corporelle efficaces, facilement exécutés par les jeunes, tels des réflexes. Le point de départ de l’histoire est simple aussi : un scientifique, le professeur Crank, perd sa femme qu’il a aimée passionnément. Pour pouvoir survivre à cette disparition et prolonger les travaux de recherches que lui et sa femme, Katarina Svoboda (en traduction, la pure emprise de liberté), il a l’ambition de mettre au point des créatures, en reprogrammant les cerveaux de clones à l’image de la défunte, elle donc aussi scientifique. Assisté de deux laborantins robotiques (déjà configurés), l’expérience réussit assez bien au début, pour dégénérer et libérer finalement aussi bien les clones que les jeunes assistants-laborantins et laissant le savant à l’écart, enfermé-puni dans sa cabine de reprogrammation.

Le travail qui se greffe à l’histoire, c’est-à-dire le thème de Dance 013 est celui de l’héritage. Le défi majeur pour Nathalie Moyen et Betsy Dentzer a été de susciter auprès de toute l’équipe, la réflexion universelle du « qui suis-je ? » et de ce que tout un chacun porte en soi, en termes d’héritage génétique, familial, mais aussi sociétal. L’équipe était composée de douze lycéens et lycéennes, autant de musiciens de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg, ainsi que le beatboxer Sascha Di Giambattista, qui jouait le professeur fou ainsi que tous les techniciens et créateurs scéniques qui ont créé décors, costumes et lumières.

Ainsi le thème vaste de l’héritage fut exploité dans de nombreuses dimensions. Tout d’abord physiquement, par le biais d’une chorégraphie de mouvements simples et répétitifs, s’inscrivant dans la trame d’un apprentissage ou s’apparentant aux réactions connues de cobayes de laboratoires. Ensuite, musicalement, avec l’intervention de l’OPL (un peu dissociée du contexte), les musiciens ont interprété les œuvres orchestrales et instrumentales (des sonates en trio et gageure aux extraits de pièces pour clavecin préludes et fugues) de Jean-Sébastien Bach, l’un des héritages, les plus marquants de la musique classique du XVIIe siècle. De plus, des chansons des ancêtres du grand Bach (la Die Furcht des Herren : 1. Sinfonia de Johann Christoph Bach d.Ä et Ach wie sehnlich wart’ ich der Zeit de Johann Michael Bach d.Ä) ont été finement interprétées par la jeune Léini Fischer, qui incarne également l’une des deux assistants de l’expérience. Ainsi, plusieurs talents ont été regroupés dans un cadre, sombre, clinique, évoquant le laboratoire poussiéreux du docteur Victor Frankenstein. Le lien entre toutes les entités a été maintenu par le fil de la danse et l’esthétique des costumes : d’une part, les blouses blanches de laborantins (portées également par les musiciens) et d’autre part les uniformes d’écolières. À un seul moment, d’étrange grâce, un autre lien s’est tissé, celui entre les prouesses des musiciens et celle du beatboxer hurlant. D’un point de vue artistique, on aurait peut-être aimé davantage d’interactions, notamment entre les danseurs-acteurs et les musiciens, les deux univers étaient comme séparés par les différentes hauteurs scéniques : l’orchestre en haut, les autres occupant le reste de l’espace du plateau.

Cependant, malgré les idées, qui ne furent peut-être pas entièrement menées à bout, le résultat de la pièce embarque les jeunes spectateurs pleinement – ce sont d’autres lycéens, bien nombreux (pendant l’une des deux séances scolaires) qui ont été propulsés dans un univers qui leur a permis, à eux aussi, de sonder leurs identités « d’adulescents » (entre adolescents et adultes) et de se confronter aux limites et aux codes du théâtre. D’abord naïvement étonnés et émus par le fait de voir évoluer toutes ces jeunes femmes, dont les gestes et les corps évoquent autant la liberté que l’aliénation ; ensuite, légèrement amusés, en reconnaissant dans le groupe de clones, deux garçons portant le même uniforme d’écolière (Aymeric Kabore et Joël Rodriges Lavinas), et puis l’intervention de masques de chimpanzés que les clones se doivent d’apposer sur leurs visages. Autant d’éléments marquants, baignés dans une sorte de bande sonore d’un autre temps, interrompue çà et là, par les vrombissements de la beatbox, que les élèves de part et d’autres (lycées classiques et techniques) ont peut être saisi, consciemment ou pas : la complexité de l’individu dans un groupe, sa volonté brimée ou au contraire développée, libérée. De ce fait-là, ce Dance 013, Katarina Svoboda fut l’un des projets, qui d’un point de vue pédagogique aura sans doute le plus influencé aussi bien l’apprentissage des jeunes sur scène que ceux installés devant.

Karolina Markiewicz
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