Budgets des États membres 

Entre jeux d’influence et soif du compromis

d'Lëtzebuerger Land vom 21.11.2014

La guerre contre les États déficitaires n’aura pas lieu. Si les commentateurs se sont inquiétés du sort réservé par la Commission européenne à la France et à l’Italie dont les budgets sortent des clous de Maastricht, celle-ci reste le chantre du « Soft Power » et compte bien plus sur son pouvoir d’influence que sur sa capacité à proposer d’éventuelles sanctions. Les avis circonstanciés sur les budgets de chacun des États membres que l’exécutif européen s’apprête à rendre publics avant le 30 novembre pourraient donc être critiques vis-à-vis de certains d’entre eux, mais il semble peu probable qu’ils s’accompagnent de mesures répressives.

L’enchevêtrement des textes qui réglementent la question est complexe. « Il y a plusieurs procédures budgétaires qui vivent indépendamment les unes des autres », explique Frédérique Cerisier, économiste chez BNP Paribas. Les deux processus auxquels nous assistons depuis la rentrée sont, dans le jargon européen, le « two-pack » et les procédures pour déficit excessif. Né de la crise, le two-pack imposait aux États membres de communiquer leur projet de budget à la Commission pour le 15 octobre. Après un premier avis rendu dans la foulée par l’exécutif européen, celui-ci publiera avant la fin du mois un avis plus circonstancié. « L’objectif du two-pack est d’avoir un dialogue permanent entre État membre et Commission, estime Frédérique Cerisier, avant l’adoption de ces règles, les États membres communiquaient leurs intentions budgétaires en mai puis il ne se passait plus rien pendant un an », poursuit-elle. Une fois publics, les avis seront débattus à l’Eurogroupe.

Parallèlement, des procédures pour déficits excessifs sont en cours et suivent le même calendrier. Celles-ci concernent les États qui ne respectent pas le seuil de trois pour cent du PIB pour le déficit public et, dans un second temps, de 60 pour cent pour la dette. C’est dans ce cadre que se posent des questions sur les budgets français et italien. La Commission pourrait ici, en théorie, demander au Conseil de prononcer à la majorité qualifiée inversée des sanctions à l’égard des pays ne faisant pas d’efforts suffisants. « La Commission ne décide pas. Elle émet des opinions. C’est un pouvoir d’influence très important, mais la responsabilité politique des décisions revient aux États. Le mécanisme repose beaucoup sur une pression par les pairs », précise Frédérique Cerisier. L’économiste de BNP Paribas juge cependant l’hypothèse d’une demande de sanction « hautement improbable ».

« En principe, ce sont des obligations mais en pratique, les règles budgétaires européennes fonctionnent comme un jeu » analyse Zsolt Darvas, expert du think tank européen Bruegel. « Les États membres ne peuvent pas totalement ignorer les règles, mais il est toujours possible de trouver des raisons pour lesquelles les circonstances actuelles sont exceptionnelles et une exception doit être faite », ajoute-t-il. Dans ses avis circonstanciés, la Commission va donc probablement pointer le risque que certains États membres n’atteignent pas les objectifs budgétaires et leur demander un effort supplémentaire, mais il semble improbable qu’elle rejette entièrement le budget d’un État. « Un compromis sera atteint, comme toujours dans l’Union », résume Zsolt Darvas.

Dans ce processus, loin de la simple arithmétique budgétaire, l’influence politique d’un État est donc centrale. « C’est plus facile d’être un grand État pour influer, mais il ne faut pas surestimer ce point. Si la France et l’Italie ne font pas d’efforts aussi violents que la Grèce et le Portugal, c’est parce qu’ils n’ont jamais été dans une situation aussi grave », explique Frédérique Cerisier. La France reste cependant l’un des pays où l’ajustement budgétaire a été le plus lent et la volonté de faire le minimum d’efforts la plus manifeste. « Des ajustements budgétaires et des réformes structurelles sont cruciaux pour la France et la France semble réticente dans les deux domaines », remarque Zsolt Darvas, mais ce que risque le pays hexagonal, ce n’est pas tant une sanction financière qu’une perte de crédibilité politique. « L’apparence réticence de la France engendre déjà une méfiance des autres pays et pourrait freiner de nouveaux efforts d’intégration : d’autres pays pourraient dire que si la France ne suit pas les règles budgétaires elle pourrait également ne pas tenir d’autres engagements », redoute l’expert de Bruegel. Autre crédibilité en jeu : celle du Commissaire français Pierre Moscovici, en charge du portefeuille des Affaires économiques et financières, qui devra assurer un numéro d’équilibriste en étant suffisamment flexible avec Paris pour préserver ses intérêts nationaux et suffisamment ferme avec la France pour asseoir sa position à Bruxelles.

Barbara De Vos
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