PM International inonde la planète de ses compléments alimentaires avec le soutien du gouvernement luxembourgeois. Une activité éminemment lucrative, mais dont la nature interroge

Poudre d’oribus

d'Lëtzebuerger Land du 13.01.2023

Messie La semaine passée, un don mirobolant émanant d’une entreprise privée luxembourgeoise peu connue du grand public a attiré l’attention. PM International, un fabricant de compléments alimentaires et de produits cosmétiques, annonce avoir versé 1,9 million d’euros à l’organisation caritative World Vision pour financer l’éducation et la santé de 5 200 enfants du monde entier. Il s’agit du montant « le plus élevé jamais donné » par ce groupe basé à Schengen, lit-on dans le communiqué envoyé aux rédactions. Cette société qui emploie 106 personnes et qui ressemble de ce point de vue à une PME lambda a fait don de presque huit millions d’euros sur les trois dernières années (notamment en Ukraine) via sa branche caritative « PM We Care », chapeautée par Vicki Sorg, 51 ans.

La bienfaitrice est l’épouse du fondateur de PM International : Rolf Sorg. Né à Ludwigshafen en 1963, il a fondé PM Cosmetics en 1993 avec ses économies de mécanicien et a vite fait de sa petite entreprise une machine à fric de l’industrie du bien-être. En passant par l’installation de la holding internationale au Luxembourg dès 1994. Le bilan 2021 publié au registre de commerce indique 882 millions d’euros de chiffre d’affaires consolidé pour cette entreprise qui vend des produits dits « haut de gamme et de pointe pour la santé, la remise en forme et la beauté, de l’intérieur comme de l’extérieur ». La firme communique sur 1,71 milliard de dollars. PM International pilote depuis la Moselle 46 filiales réparties sur l’ensemble des continents (Chili, Inde, Brésil, États-Unis, Russie, Japon, Chine, Émirats arabes unis etc.)

Les produits commercialisés sous la marque Fitline n’apparaissent cependant pas dans les rayons de supermarché ou ceux des pharmacies. « Cela tuerait le business model », nous résume un cadre. Poudres, gélules et crèmes sont vendues via un immense réseau de vendeurs. PM International ne communique pas leur nombre. Différents articles de presse l’évaluent entre 200 000 et 250 000. Cette communauté se réunit autour d’un produit et d’un gourou. Sur la page internet présentant de PM International, une vidéo introduit Rolf Sorg comme un leader messianique. Sur scène, il s’adresse à 13 000 personnes réunies dans une salle de Mannheim en 2018 pour le traditionnel World Management Congress, qui, cette année-là, marquait le 25e anniversaire de la boîte. Le grand patron livre un speech grandiloquent en allemand traduit en anglais. Des chœurs d’opéra chantent en fond. « This idea of prevention, to be able to help people to stay healthy, to live a happier life… I’ve found that fascinating. This fascination stayed with me and I had a clear vision for myself : the opportunity to take the most valuable products for maintaining and promoting health to market. » Rolf Sorg vante le modèle d’affaires de PM International, à même de créer « the next generation of financially independent people ». Les distributeurs y sont les heureux apôtres.

Petite ironie de l’histoire : Rolf Sorg a intenté un procès à Google en 2010 parce que, dans la fonction auto-complétion du moteur de recherche, les termes « fraude » et « scientologie » étaient automatiquement associés au prénom et au nom de l’entrepreneur alors que ce dernier affirme n’avoir aucun problème avec la justice et ne pas être lié au mouvement religieux en question. Après avoir bataillé trois ans durant devant les juridictions allemandes, Rolf Sorg a obtenu en 2013 du Bundesgerichtshof que Google supprime certaines combinaisons de mots sur demande, si celles-ci portent atteinte aux droits de la personne concernée.

Die Lorelei L’entreprise qui vend pour un milliard d’euros de ses produits présentés comme « Premium » (PM en serait l’abréviation) se présente comme « familiale » avec une volonté claire d’incarnation via le couple à sa tête. Dans la philosophie PM International, la famille est étroitement liée à la volonté de se maintenir en bonne santé. Sur la page web du groupe, le presque sexagénaire patron, presque sans ride et presque sans cheveux gris, pose assis – main posée sur le bureau avec l’alliance bien en évidence. Sur le cliché, son épouse quinqua, sourire immaculé, goldenes Haar et robe avec imprimé « Fantastic » se tient debout à ses côtés. Vicki s’appuie sur l’épaule de « Schnucki », sobriquet que l’Américaine révèle dans ses stories Insta. Devant un tableau représentant le globe, Rolf et Vicki Sorg incarnent un duo inébranlable à la conquête du monde. Sur Facebook, Vicki Sorg s’affiche avec es écoliers du Zimbabwe puis en bikini léopard sur un yacht. Sur les réseaux sociaux en général, le couple se montre alternativement en millionnaires philanthropes ou en commun des mortels (souvent avec une boisson Fitline à la main) : dans la salle de bain ou, comme dimanche dernier, en terrasse le long de la Moselle pour déguster un gebackene Fësch.

Les distributeurs des produits sont de ceux-là, des mortels. Ils génèrent leur revenu de deux manières. Premièrement par la vente classique. Le team partner, premier grade de la hiérarchie de vendeurs (qui en compte douze) achète une combinaison de produits Fitline à PM International avec un rabais de vingt pour cent. Le produit phare (environ 75 pour cent des ventes), l’optimal set (trente doses de poudre à prendre matin et soir pour des apports journaliers), lui coûte ainsi 90,3 euros. Il le vend au prix du marché, 114 euros, et remporte 23,7 euros. S’il souhaite devenir manager, il doit acquérir six sets pour 513,5 euros. Il les vend 684 et prend une marge de trente pour cent environ, soit autour de 200 euros (varie selon la TVA). La firme voit ce type de revenus comme complémentaire à une activité professionnelle ou adapté pour un étudiant. Dans les locaux situés sur la route des vins à Schengen mercredi, le responsable des marchés France, Belgique, Luxembourg, Adrien Rincheval, présente la démarche comme une réponse à la perte de pouvoir d’achat. « On sait que deux ou trois cent euros manquent aux Français et aux Belges à la fin du mois. Comment je peux gagner cette somme facilement ? Depuis mon téléphone en recommandant des produits que je consomme et dont je suis satisfait », explique le vendeur habitué des plateaux télé français. Le groupe a même développé un système (PM Pay) pour rémunérer instantanément le distributeur qui en fait la demande.

Mais pour réellement faire son beurre, il convient de constituer un réseau de « franchisés ». C’est la deuxième méthode de revenu et potentiellement la plus lucrative pour les distributeurs impliqués. Elle consiste à parrainer d’autres vendeurs. Le manager prend alors un pourcentage des ventes de ces disciples de premier niveau, puis de deuxième niveau, etc. Selon le« plan marketing » de la firme (huit pages pour détailler la rémunération), le distributeur monte en grade en cumulant un certain nombre de points (cinquante centimes d’euros de vente pour une unité). Y sont associés des « royalties » en fonction de la performance des équipes… d’où l’intérêt de former, notamment via la business academy, les ouailles. Ceux-là sont notamment recrutés via les réseaux sociaux. Fleurissent ainsi des messages formatés sur les profils de la communauté de vendeurs Fitline. Ils commencent par « Pourquoi j’ai choisi de collaborer avec PM international il y a plus d’un an ? ». S’ensuit un éloge de la boîte, puis celui des produits « premium » et enfin des conditions de travail des partenaires. « Entre 15 et 45 pour cent de commissions sur leurs ventes. 3 à 21 pour cent de commissions sur les volumes d’équipes. Être payé sur tous les niveaux en profondeur comme en largeur dès la première position. Jusqu’à 9 250 euros de primes payées cash à aller chercher », publient les vendeurs, pour beaucoup de sexe féminin. Figurent encore parmi les avantages, des leasing BMW à prix compétitifs, des voyages (une vendeuse vante sur Facebook des produits Fitline pour perdre quelques kilos avant de se rendre aux Seychelles, un voyage offert par la boîte). Le cadeau ultime réservé aux « présidents », l’élite des partners : un week-end à Saint-Tropez avec cérémonie à la villa du couple Sorg à Sainte-Maxime, laquelle domine la Méditerranée. Le message formaté sur les réseaux sociaux se termine par une touche personnelle : « Je ne regrette pas », « Meilleur choix de ma vie ». Des mots sincères ? Les distributeurs ont tout intérêt à faire des émules pour graisser les épinards.

Les parrains Des vendeurs stars émergent : le premier d’entre eux chez PM International est Joachim Hederlein. Cet Allemand gagnerait annuellement 6,34 millions d’euros, selon le classement 2022 des Top Earners du Network Marketing Business publié le weekend dernier. Joachim Heberlein n’est ici que le quinzième (le premier émarge à près de vingt millions d’euros par an), mais il est quasi systémique pour PM International. Le héros de la vente directe est glorifié sur le blog de la PM Family: « Die Herberleins: Drei Generationen arbeiten zusammen, um einen Familientraum zu verwirklichen ». Un départ de Joachim Hederlein vers un autre réseau de ventes coûterait toute un pan de revenus à PM International. Il faut chouchouter les perles, mais surtout maximiser la chance de les découvrir en multipliant les recrutements. Embaucher figure en tête des priorités du groupe. Sur son site internet, sous la rubrique « à propos de PM international » apparait immédiatement « opportunité pour plus de liberté et d’indépendance ». Suit un spot grandiose. Il met en scène des familles menant une vie morne et stressante. Du gris émerge la lumière et les produits Fitline. « La réussite n’arrive pas par hasard. Elle n’arrive que quand nous croyons en nous-mêmes. (…) Construisez votre futur avec nous pour réaliser vos rêves », commente la voix off. Pour postuler, il faut entrer le code fourni par son « sponsor ». On entre alors dans la matrice des ventes.

Adrien Rincheval envisage un tel emploi de distributeur comme une logique d’ubérisation (plutôt saine à ses yeux) du monde du travail avec un contingent croissant d’autoentrepreneurs indépendants. Ainsi, d’un point de vue comptable, PM International paie moins de cinquante millions d’euros de frais de personnel, soit à peine six pour cent du chiffre d’affaires. Le groupe emploie 843 personnes à travers le monde et une centaine, donc, au Luxembourg. Les conditions de travail et le management sont localement vivement critiqués sur les plateformes Glassdoor et Indeed. Des anciens salariés confirment : La direction est notamment très rigide sur les horaires et proscrit le télétravail. « Elle a fait enlever les machines à café pour limiter les pauses », confie une ancienne au Land. Mais c’est le manque de cohérence managériale qui est davantage critiqué, malgré l’abondance de moyens liée à la réussite de la société. Plus de 200 millions d’euros de bénéfices en 2021 ! Adrien Rincheval répond stoïquement que les gens qui quittent une entreprise sont souvent amers. D’ailleurs, PM International s’étoffe au Grand-Duché. Les bureaux installés en 2015 le long de la Moselle sont pleins. De même que ceux disséminés dans les investissements immobiliers de Rolf Sorg à proximité. Le groupe a racheté la parcelle de vigne en face du siège pour l’arracher et y loger, à flanc de coteau, un nouvel immeuble, aujourd’hui en construction. Dans le bilan 2021, les commissions versées aux vendeurs apparaissent à la rubrique « Raw materials, consumables and other external expenses ». Elle s’élèvent à 325 millions d’euros. Les dépenses en matières premières à 128 millions.

Penchant coréen Commercialement, les plus gros marchés de PM International sont la Corée (247 millions d’euros), l’Allemagne (183) et Hong Kong (175). Adrien Rincheval, détaille l’étonnante pénétration dans ces (relativement) petites économies asiatiques. Deux euros par habitant de l’ancienne colonie britannique sont mensuellement voués à l’achat d’un produit Fitline. Il cite des résultats prometteurs dans des petits marchés européens. « Très vite un euro par habitant de l’Islande après le lancement sur place », affirme-t-il. Au Luxembourg, le chiffre d’affaires s’établit autour de 200 000 euros par mois. Pas si mal pour un pays de 650 000 habitants, se félicite le cadre. L’esprit entrepreneurial du père fondateur est ici déjà reconnu. Rolf Sorg a été nominé en 2016 parmi les six finalistes du prestigieux concours de l’entrepreneur de l’année organisé par EY (coordonné par son partner Yves Even qui, accessoirement, signe aussi les comptes annuels de PM International).

Sur la petite table du hall d’entrée où attendent les visiteurs de la firme à Schengen sont déposés deux ouvrages. L’un d’eux a été publié par la société en marge de son 25e anniversaire. Sur sa couverture, Rolf Sorg mime un « L » en tendant le pouce et l’index, signe de ralliement de la communauté Fitline (les réseaux sociaux recèlent de photos des distributeurs effectuant le geste). Vêtu d’un costume trois pièces noir avec une cravate rayée, il se déhanche comme pour éviter le titre imprimé dans le quart supérieur gauche : « If I can do it, you can do it ! ». Le surtitre de ce livre : « The unstoppable creator of PM-International success ». L’autre publication a été monnayée auprès de Forbes Middle East. Le visage de l’entrepreneur de la vente directe apparaît en couverture à côté d’autres éminences du Luxembourg politico-économique de ce Promotional Country Report publié en janvier 2022 en marge de l’Exposition universelle à Dubaï et d’une mission économique sur place. Le patron de PM international promeut le succès de son entreprise à l’international, notamment en Corée où le groupe a conclu un partenariat avec le Comité paralympique. « The athletes who use our products won four gold medals, as well as 15 silver and 12 bronze at the 2020 Para Games in Tokyo », fait valoir Rolf Sorg. Il se félicite aussi de l’intégration de sa société au Luxembourg, dont il a d’ailleurs lui-même acquis la nationalité. « We have joint labs with the government », explique Rolf Sorg dans le livret.

PM International travaille en effet avec le List (Luxembourg Institute of Science and Technology) depuis 2016. Le producteur de compléments alimentaires et de produits cosmétiques coopère avec le centre de recherche public basé à Belvaux pour valoriser le marc de raisin de la Moselle. Les résidus secs provenant du pressurage des graines contiennent des molécules organiques bioactives comme les polyphénols. Ces dernières ont (entre autres) des vertus antioxydantes qui peuvent être valorisées dans des compléments alimentaires. « Avec derrière, l’idée de développer une bioéconomie circulaire », relate Lucien Hoffmann, directeur du département Environnement au List. Dans un accord quinquennal signé en 2017 et renouvelé l’an passé, les chercheurs du List travaillent avec ceux de PM International sur l’encapsulation d’ingrédients bioactifs, « pour rendre ces produits bioactifs plus disponibles », explique le professeur Hoffmann. Ces projets bénéficient de fonds publics dans le cadre de la loi RDI sur la recherche et l’innovation ou de co-financements par le Fonds national de la recherche, mais PM International paie aussi pour différentes prestations réalisées par le List. Comme AirLiquide, Blue Horizon (spatial), Gradel (matériaux) ou Circuit Foil (bâtiment), PM International loue en plus des bureaux et des laboratoires dans l’institut de Belvaux. L’entreprise finance en outre le List Bio-innovation Award, un prix récompensant un article académique qui présente un intérêt pour PM International. Le centre de recherche organise l’appel à candidatures et la sélection des candidats. Le dernier récipiendaire est un professeur de l’Université de Nebraska-Lincoln qui a travaillé sur la bioaccessibilité du curcumin.

Le groupe basé à Schengen emploie seize chercheurs au Luxembourg, selon son site internet. Il exploiterait également plus de 70 brevets et pourrait bénéficier à ce titre de la loi de 2018 sur la propriété intellectuelle qui permet d’exonérer jusqu’à 80 pour cent des revenus générés par la vente des produits liés à ladite recherche. En profite-t-il ? Interrogé, le service communication de PM International n’a pas trouvé la réponse. Pas plus qu’il n’informe sur le lieu de production... ce serait en Allemagne, nous dit-on mercredi, « à proximité de Speyer » où l’entreprise à son siège originel. Qu’importe. Le List ne contrôle pas les produits conçus et vendus par PM International, pas même si le résultat de la coopération en amont s’y retrouve. En 2017, un média norvégien (TV2 dans son émission Health Check) a semé le doute sur la composition et l’efficacité des poudres en sollicitant des experts. La firme a contesté les allégations avec insistance devant les tribunaux norvégiens sans jamais obtenir satisfaction. En décembre 2019, le site norvégien DN citait un avocat de PM indiquant la volonté du groupe de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg.

PM International se développe à l’international depuis le Grand-Duché avec le soutien du gouvernement. La société a notamment été accompagnée par Luxinnovation. Elle mène même localement une activité commerciale. La nature du modèle d’affaires interroge néanmoins face à la loi du 30 juillet 2002 sur certaines pratiques commerciales. Celle-ci proscrit la vente en chaîne, définie comme « tout procédé consistant à établir un réseau de vendeurs, professionnels ou non, dont chacun espère tirer un avantage quelconque résultant plus de l’élargissement de ce réseau que de la vente de biens ou de services au consommateur ». Invité à commenter le soutien gouvernemental, notamment via Luxinnovation, le ministère de l’Économie (en charge des autorisation d’établissement) répond à côté de la plaque. Il n’appartiendrait pas au ministère « de se positionner par rapport à un investisseur ou )à une entreprise qui a fait le choix de s’implanter au Luxembourg ».

Pierre Sorlut
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