Dernier étage gauche gauche

Rire de la tristesse du monde

d'Lëtzebuerger Land vom 02.12.2010

Dans Dernier étage gauche gauche, le premier long-métrage d’Angelo Cianci (co­produit par la société luxembourgeoise Iris), le réalisateur s’attaque à un sujet bien connu, à savoir celui de la vie dans les HLM implantés dans les banlieues françaises et par conséquent à l’immigration que ce pays connaît. Ce qui change avec l’approche de Cianci est l’audace d’en faire une satire de la peur généralisée face au terrorisme islamiste ambiant, pour entrevoir le drame en rigolant au lieu d’en pleurer.

Le film raconte l’histoire de François Echevarria (Hyppolyte Girardot), un huissier qui entame sa journée de travail par une intervention dans un des nombreux HLM de banlieue. Sacoche en cuir sous la main, vêtu d’un imperméable noir, les cheveux taillés, l’huissier se rend sur les lieux pour saisir les biens d’un locataire qui n’a pas payé son loyer à plusieurs reprises. Premier malentendu : Molhand Atelhadj (Fellag), le locataire, vient de poster son mandat quelques minutes avant pour régulariser sa situation. Se rajoute à ce duo adulte qui n’arrive pas à se comprendre, Salem (Aymen Saïdi), le fils de Molhand, qui, une fois que l’huissier entre dans l’appartement pour procéder avec l’aide de quelques policiers à l’expulsion, pète un câble puisqu’il a planqué un kilo de cocaïne dans sa chambre, en attendant que son pote dealer arrive. La saisie de l’appartement se transforme en prise d’otage, et vu que l’histoire se déroule le 11 septembre, les policiers, le maire et plus tard le GIGN, ne tardent pas à se rendre sur les lieux. Accompagné du cirque folklorique de la presse, le film alterne entre le trio inhabituel filmé dans un huis clos où des secrets de famille finissent par voir le jour, et l’opinion publique qui va faire en sorte que le mot « terrorisme » soit de nouveau dans la bouche de tout le monde.

L’image d’un huissier qui gît bâillonné au fond d’une baignoire a déclenché quelques réactions violentes de la part de ce corps de métier en France. Le film a le mérite de susciter ce type de réactions conservatrices et ridicules, alors que ses intentions comiques sont claires comme de l’eau de roche. II suffit de savourer l’image caricaturale de la fin, porteuse de sens par rapport à son sujet : le fils essaie de s’enfuir par la fenêtre et finit par tomber. Son père l’attrape par une jambe à la dernière secon-de (comme dans un film de D.W. Griffith) et se voit à son tour catapulté vers le rebord de fenêtre. Au moment où il risque de tomber, l’huissier attrape les deux jambes du père, et dans un cordon ombilical où le représentant de la France protège la première génération des immigrés et par conséquent aussi leurs enfants, tenus dans les mains de leurs parents, la comédie se termine sur une image plus réflexive.

Dans l’ensemble, le film est malheureusement dépourvu de ces images métaphoriques qui imprègnent la conscience du spectateur. La mise en scène est quasi absente, elle se targue simplement à rentrer dans l’intimité des personnages et à renforcer l’action sans jamais créer un point de vue sur ce qui est en train de se dérouler. Ce huis clos ressemble pour le coup plus à du théâtre filmé qu’à une œuvre cinématographique avec un univers visuel à part entier.

D’autant plus que sur un plan scénaristique, la relation père-fils est traitée en surface, alors que la présence de l’huissier européen insatisfait dans ces relations amoureuses qui n’arrive plus à construire une famille puisqu’il est trop concentré sur son ego est un point de départ très intéressant qui aurait pu pimenter la rencontre fortuite de ce trio. Le secret meurtrier du père raconté au milieu du film est une révélation sans produire un effet émotionnel sur le spectateur. Il est certes beaucoup plus difficile de créer dans une comédie de véritables attaches émotionnelles pour le spectateur mais elles sont nécessaires pour que ce dernier puisse rire avec empathie sans jamais se perdre dans des gags éphémères qui nuisent finalement à la progression narrative de l’histoire. Un exercice de style qui ne réussit pas au premier coup.

Thierry Besseling
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