Du Prix de l’architecture à l’exposition 100+1 de l’Administration des bâtiments publics en passant par le nouveau guide de l’OAI : on constate que d’autres facteurs priment désormais sur l’esthétique

Archinierie

d'Lëtzebuerger Land du 02.12.2011

« D’innombrables fenêtres, d’innombrables stores, oranges et rayés bleu et blanc, » décrit l’actrice Nicole Max dans le casque de l’audioguide distribué à l’entrée de l’exposition – et on sait immédiatement à quel bâtiment public elle se réfère. Nous sommes à la station numéro 17 de l’exposition 100+1 au 22e étage du bâtiment Alcide de Gasperi, d’Héichhaus, qui accueille désormais le ministère du Développement durable et des Infra-structures, une exposition un peu tardive dédiée au centenaire de l’Administration des bâtiments publics et qui fait suite à la publication, l’année dernière, d’un beau livre publié pour cet anniversaire1.

« Elle s’appelle cent plus un parce que nous voulions mettre en valeur les critères de construction contemporains, regarder vers l’avenir, » explique le directeur de l’ABP, Jean Leyder. Au centre de l’exposition circulaire de panneaux reprenant des bâtiments publics emblématiques – un par décennie, des Ateliers des écoles d’artisans de l’État dans les années 1910 aux infrastruc-tures culturelles (Mudam, Philharmonie) de la place de l’Europe au Kirch[-]berg dans les années 2000 –, un grand mobile garde en équilibre fragile une série de grandes feuilles avec les mots-clés qui comptent aujour-d’hui : biodiversité, enveloppe optimisée, courant vert et énergies renouvelables, matériaux écologiques, énergie positive, énergie grise, conception intégrée, confort...

Dans le casque, des bips, des bruits électriques, des sons de stores qu’on remonte, « un bruit qui va disparaître » explique encore Nicole Max, et l’ensemble de musique Liquid Penguin, qui a conçu cet Atlas audio d’anatomie du bâtiment pour animer un tant soit peu la visite de cette exposition assez statique, s’amuse à rendre la coulisse sonore si typique d’un lycée, avec le son de la cloche de fin de cours, le brouhaha des élèves qui sortent en courant de leurs salles de classes et tous les échos dans ces grands espaces de l’Athénée, « typiques des années 1960 » dit l’actrice, pour son appétit de place qu’il dévore goulûment avec ses grands couloirs et ses halls généreux. À l’époque, c’était en 1964 exactement, les 24 500 mètres carrés conçus par Laurent Schmit, Pierre Grach et Nicolas Schmit-Noesen avaient coûté 283 millions de francs luxembourgeois (soit l’équivalent de sept millions d’euros). Voulant signifier la modernité de cette école qui avait alors déjà presque quatre siècles sur le dos, les architectes misaient sur des lignes géométriques claires, la répétition sérielle des principaux éléments architecturaux (colonnes, fenêtres, stores), de grands volumes horizontaux dont l’aspect est allégé par les fines colonnes qui les portent... Même cinquante ans plus tard, les dessins et les plans restent incroyablement élégants et modernes.

Ceux qui pestent contre les durées excessivement longues des projets de construction au Luxembourg aujourd’hui verraient dans l’exposition 100+12 que ce n’est pas un fait nouveau : 26 ans avant l’achèvement des travaux du nouvel Athénée, il y avait déjà eu un concours d’architecture pour un nouveau bâtiment, à l’époque dans le parc de la Fondation Pescatore, concours auquel 52 projets avaient été soumis et un projet lauréat retenu ; un de ses auteurs, Hubert Schumacher, se vit même engagé par l’administration pour suivre le chantier. Or, c’était en 1938, la guerre viendra stopper net tous ces grands projets.

Et aujourd’hui, l’Athénée est à nouveau en chantier : un bâtiment provisoire (architectes : Bruck [&] Weckerle, coût : 32 millions d’euros) est en cours de construction à l’arrière du bâtiment, avec l’objectif d’accueillir les élèves dès la rentrée de septembre 2012 pour la durée que prendront les travaux de réhabilitation, de modernisation et de mise à niveau, notamment du point de vue de la consommation énergétique, dans le bâtiment historique. Ces travaux (par Marc Tanson et Team31) dévoreront à eux seuls quelque 85 millions d’euros selon les estimations, un projet de loi doit être déposé dans les prochains mois.

La construction et la rénovation d’infrastructures scolaires est une des grandes priorités du gouvernement, le ministre du Développement durable et des Infrastructures Claude Wiseler (CSV) n’a de cesse de le répéter ; d’ici 2015, l’État compte investir 676 millions d’euros dans ce domaine par le biais du Fonds d’investissements publics scolaires, lit-on dans le Programme pluriannuel d’investissements joint au projet de budget d’État 2012, un fonds qui sera, selon les projections, dans le rouge à partir de 2013, et même déficitaire de l’ordre de 156 millions d’euros en 2015. Alors que le budget de construction d’un nouveau lycée frise, voire dépasse quasiment toujours les cent millions d’euros au Luxembourg, ne faudrait-il pas un jour songer à essayer de construire moins cher ?

Changement de décor. Nous sommes à Hollerich, au premier étage d’un ancien bâtiment d’ingénieur de la société Paul Wurth, rue de l’Aciérie, qui abrite désormais le siège de la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie, association militant pour la qualité architecturale. Y sont exposés, un peu trop sobrement, les panneaux des projets lauréats de l’édition 2011 du Prix luxembourgeois de l’architecture3. Remises le 10 novembre, ces récompenses attribuées par un jury constitué exclusivement de pairs, consacraient largement des constructions techniques, comme le château d’eau de Leudelange par Schemel [&] Wirtz (qui se partage le premier prix avec la Villa Vauban de Diane Heirend [&] Philippe Schmit, bâtiment autrement plus prestigieux de par sa fonction), la gare de Belval-Usine de Jim Clemes (premier prix dans la catégorie « ouvrages d’art et structures » et prix du public), la centrale frigorifique de G+P Muller Architectes au Kirchberg, la centrale de chaleur et de froid de l’aéroport par les mêmes G+P Muller ou encore la station de pompage Sudcal par WW+ Architektur (tous les trois nominés).

Le jury aurait été « impressionné par la très haute qualité architecturale » de ces constructions techniques, et cette « attention donnée au moindre détail » note le président du jury, l’architecte danois Kai-Uwe Bergmann, dans son avant-propos au catalogue. Avant de déplorer en même temps « la faible prise en compte sur le long terme, des aspects liés à l’écologie et au développement durable » en général au Luxembourg. Ce n’est donc pas étonnant qu’un jury aussi sensible sur cette question ait largement récompensé quelques projets d’aménagement écologiques, notamment celui du Parc Dräi Eechelen par Michel Desvignes. Si cette édition du Prix de l’architecture déçoit, c’est peut-être parce qu’on n’y est pas surpris : les lauréats sont évidents, le fait de vouloir récompenser la noblesse d’une architecture brute, avec une fonction industrielle, n’est pas nouveau, c’était le cas dès la première édition, en 2001, avec la centrale de cogénération de Paul Bretz au Kirchberg. Par contre, aucune des nombreuses maisons unifamiliales, nouvelles constructions, extensions ou rénovations, n’a été retenue, même pas nominée – c’est aussi un geste fort, comme si la profession dédaignait la majorité des maîtres d’ouvrages qui font vivre les plus de 840 architectes et 430 ingénieurs qui exercent désormais leur métier au Luxembourg.

Leur organisation professionnelle, l’OAI (Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils), qui vient d’emménager dans un bâtiment flambant neuf, le Forum Da Vinci, 6 boulevard grande-duchesse Charlotte à Luxembourg, fait exactement le contraire : sans sélection aucune, elle publie 715 projets en cours ou réalisés de ses membres dans son guide Références, dont la neuvième édition vient de paraître4. Et on y voit tout autant le rêve construit des Luxembourgeois qu’à Hollerich : des maisons à quatre façades de préférence, du béton souvent, des façades sombres qui signifient la maison passive ou pour le moins bien isolée et soucieuse de l’environnement, ou la façade blanche sur des volumes énormes pour afficher la richesse du maître d’ouvrage qui a pu se payer une maison à un prix déraisonnable de bien plus qu’un million d’euros (mais pas beaucoup plus de terrain que l’emprise de la maison plus le retrait obligatoire, adieu vergers et jardins potagers...).

Puis il y a ceux qui aiment leur compas et ne peuvent s’empêcher d’orner leurs constructions de toits et fenêtres ronds, ceux qui collent des volumes disproportionnés et perversement prétentieux contre de belles maisons de maître protégées, ou encore ceux qui semblent avoir eu recours à un programme aléatoire pour associer des couleurs et des excroissances improbables à une construction banale à en pleurer. Les grands bâtiments plus denses, bureaux ou logements, sont souvent massifs et compacts – ce qui s’explique par les prix des terrains et l’ambition des entrepreneurs maîtres d’ouvrage de maximiser la rentabilité –, soit en béton et verre, soit dans des tons sombres voulant faire sérieux. Quelques architectes seulement ont une patte, une signature : François Valentiny et ses bâtiments fiers et monochromes (la Maison du livre à Belval, le Pavillon à Shanghai), Christian Bauer, Beng et Jim Clemes. Même eux participent au guide, ce qui peut aussi indiquer que les carnets de commandes ne sont plus si pleins que ça.

Conscients des nouveaux enjeux de l’architecture, qui sont davantage liés aux qualités intrinsèques de la construction – développement durable, consommation énergétique... – qu’à son aspect esthétique ou symbolique, les architectes et ingénieurs de la Fondation ont récompensé l’œuvre de l’ingénieur Florent Schroeder, qui a fondé Schroeder et associés, et qui, en cinquante ans de carrière, a collaboré à des constructions comme le Grand Théâtre d’Alain Bourbon-nais en 1961, la première aérogare de Raymond Aspesberro en 1973 ou encore le Mudam d’IM Pei en 2002. D’ailleurs, pour la petite histoire, il avait également collaboré à l’ingénierie de l’Athenée en 1961.

1 Centenaire : Administration des bâtiments publics, publié par l’ABP elle-même ; décembre 2010 ; 208 pages ; ISBN 978-99959-680-0-7.
josée hansen
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