La révolution blockchain (2)

Bitcoin, ombres et lumières

d'Lëtzebuerger Land du 04.01.2019

Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? C’est la question que l’on peut se poser à propos du bitcoin. Maudite par les uns au point d’en faire l’ennemi public numéro un, adorée par les autres au point d’en faire la nouvelle religion qui va sauver le monde, cette monnaie digitale ne cesse de déchaîner les passions. Sa naissance est entourée de mystère. En 2008 un certain Satoshi Nakamoto publiait un livre blanc sur la nouvelle monnaie numérique. En février 2009, Nakamoto diffuse la première version de son logiciel sur le site P2P Foundation et crée les premiers bitcoins sur son ordinateur. En 2010, il supprime tout contact avec la communauté virtuelle née autour de la nouvelle monnaie et disparaît du paysage. Qui est Satoshi Nakamoto ? Personne ne le connaissait, ce peut être un individu ou un groupe d’individus. La CIA, le FSB, le Mossad et une panoplie de services de renseignements de par le monde ont cherché à mettre la main dessus, mais pour l’instant Satoshi Nakamoto reste aussi virtuel que la monnaie qu’il a créée.

Le bitcoin a sa part d’ombres et de lumières. La technologie de la blockchain qui a généré cette crypto-monnaie est aujourd’hui à la base de centaines d’applications qui pourraient répondre aux nouveaux besoins du monde digital. La blockchain est la part lumineuse du bitcoin. Il s’agit d’un protocole informatique qui inscrit les transactions dans un registre virtuel appelé blockchain, c’est-à-dire une chaîne de blocs. Cette technologie basée sur la décentralisation et la connexion en réseau a attiré une pléthore de programmeurs qui sont en train d’écrire des milliers d’applications censées changer notre vie quotidienne. Ce métier est actuellement le plus recherché au monde et, selon la plateforme américaine Computerworld, le mieux payé avec un salaire moyen d’environ 12 500 dollars par mois. De plus en plus de jeunes s’orientent vers ce métier d’avenir.

Mais le bitcoin n’est pas seulement synonyme de technologie et d’innovation. Il a sa part d’ombre, et sa faiblesse est son caractère spéculatif. Si cette monnaie digitale n’a attiré à ses débuts qu’une poignée de rebelles, elle a fini par séduire de plus en plus d’aventuriers à la recherche de gains rapides. Le 22 mai 2008, Laszlo Hanyecz, basé en Floride, passait cette petite annonce sur le forum Bitcointalk : « Je paie 10 000 bitcoins pour deux grandes pizzas. » Un Britannique a aussitôt saisi l’opportunité, commandé les deux pizzas pour l’Américain extravagant et empoché le montant de bitcoins évalué à l’époque à 41 dollars. Ce n’était pas une mauvaise affaire : aujourd’hui ces deux pizzas lui ont rapporté une fortune évaluée à 30 millions de dollars.

Tout au long de son histoire le bitcoin a attiré ceux qui cherchent des gains rapides. Mais souvent l’argent court plus vite que ceux qui lui courent après. Depuis sa création le bitcoin a connu quatre bulles spéculatives qui ont fait beaucoup de dégâts. En juin 2011 il a perdu 93 pour cent de sa valeur, mais il a rebondi à 11 120 pour cent en avril 2013, puis il s’est effondré à nouveau jusqu’à trente pour cent de sa valeur. Un problème ? Pas vraiment, parce qu’en l’espace de neuf mois il a refait un saut de 16 150 pour cent avant de chuter de 84 pour cent en décembre 2013. La quatrième bulle est en place depuis décembre 2017 lorsque le bitcoin s’échangeait à 20 000 dollars, pour replonger à 3 200 dollars en décembre 2018.

Ces chiffres donnent le vertige. C’est comme si on montait sur l’Himalaya en deux temps trois mouvements pour retomber aussi vite. Le bitcoin est un sport extrême. En outre, le caractère anonyme des transactions lui a valu d’autres critiques. Il est accusé d’être utilisé par les mafieux, les terroristes et tous ceux qui veulent échapper aux taxes et aux impôts, car, pour l’instant, les gains obtenus par la spéculation ne sont pas réglementés. Le gendarme de la bourse américaine, la Securities and Exchange Commission (SEC), s’apprête à réglementer le bitcoin et les monnaies digitales qui l’ont suivi. Le dilemme du SEC est le suivant : d’une part les autorités américaines veulent diminuer le côté spéculatif et manipulateur du bitcoin, d’autre part elles veulent encourager l’avance technologique engendrée par la blockchain.

En janvier 2018, le président Donald Trump a nommé au sein du SEC une certaine Madame Hester Peirce qui a aussitôt fait preuve d’ouverture pour la nouvelle technologie. « Je ne sais pas si le bitcoin sera un succès ou un échec, a-t-elle affirmé après sa nomination. Mais je suis contente de voir qu’il y a des gens qui, grâce à la blockchain, pensent à une autre manière de faire les choses. » En janvier 2018, la Commission européenne s’est ouverte, elle aussi, à la technologie de la blockchain. « Cette technologie pourraient avoir un impact sur les services numériques et transformer les modèles économiques dans quantité de domaines tels la santé, l’assurance, les finances, l’énergie, la logistique, la gestion des droits de propriété intellectuelle ou les services administratifs », affirme le communiqué de la Commission. Quant à la Chine, elle a fait de la blockchain une politique d’État qui lui donne une bonne longueur d’avance sur les États-Unis et l’UE.

Mirel Bran
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