Évaluation du système judiciaire

En attente

d'Lëtzebuerger Land vom 16.10.2008

Le système judiciaire luxembourgeois est toujours à la traîne en matière d’évaluation de la qualité de son travail. Un nouveau rapport d’évaluation de 45 systèmes judiciaires européens, réalisé par la Commission du Conseil de l’Europe pour l’efficacité de la justice (Cepej) montre que le Luxembourg tarde toujours à s’ouvrir à ses citoyens. Même si les dépenses publiques consacrées ne cessent d’augmenter

La journée porte ouverte de la nouvelle Cité judiciaire dimanche dernier a attiré bon nombre de citoyens curieux de voir l’objet de toutes les polémiques depuis quelques mois. Il n’en reste pas moins que pour la plupart d’entre eux, l’institution en elle-même et son fonctionnement restent une énigme. Or, même si personne ne s’en émeut – pour autant qu’il n’ait pas été confronté à ses mécanismes impénétrables – ce n’est pas une fatalité comme le montre l’étude du Conseil de l’Europe1. Celle-ci permet de faire une comparaison entre les différents systèmes judiciaires. Ceux-ci se caractérisent par des budgets en hausse, la progression de l’aide judiciaire et la généralisation de l’e-justice. 

Les sommes allouées aux systèmes judiciaires ont augmenté. En 2006, le budget annuel des tribunaux, du ministère public et de l’aide judiciaire pointait à 57 millions d’euros – dont trois millions consacrés à l’aide judiciaire. Plus de 80 pour cent du budget total servaient à payer les salaires. L’année prochaine sera clôturé le deuxième programme pluriannuel de recrutement qui se traduira par l’embauche de 21 magistrats supplémentaires, de vingt agents administratifs et de sept travailleurs sociaux. En l’espace des dix dernières années, 110 personnes supplémentaires travaillent dans les services judiciaires2. Le gouvernement précise aussi que les crédits prévus pour l’assistance judiciaire et les frais de justice sont en constante progression. L’aide judiciaire est d’ailleurs considérée par le Conseil de l’Europe comme « une des clefs à l’accès à la justice ». Le Luxembourg consacre 735 euros en moyenne par affaire, mais il ne fait pas partie du groupe de pays les plus généreux, auxquels appartiennent la Lettonie avec 1 604 euros, la Russie, le Royaume Uni ou les Pays Bas.

Dans le projet de budget 2009, le gouvernement souligne que « le programme de recrutement sans précédent témoigne de la volonté du Gou­vernement de doter les services ju­diciaires du personnel nécessaire pour évacuer dans les délais raisonnables le contentieux juridique toujours plus complexe et toujours plus important. » Or, ceux-ci ne sont pas obligés de fournir aux parties des informations concernant la prévisibilité des délais de procédure comme la France, la Finlande ou la Norvège. Les délais de procédure sont d’ailleurs le talon d’Achille de beaucoup de systèmes judiciaires en Europe. C’est la raison pour laquelle un système de mesure de l’efficacité des tribunaux a été élaboré, prenant en compte deux indicateurs de productivité : le taux de variation du stock d’affaires pendantes et la durée estimée d’écoulement de ces dossiers. « Cette méthode permet de fournir des indi­cations pertinentes sur le fonctionnement global des tribunaux d’un pays, » écrivent les experts du Cepej, et permettra de suivre « le fonctionnement du système judiciaire quant à sa capacité à gérer les flux d’affaires. » Le Luxembourg ne dispose pas de telles données et n’a donc pas les moyens de savoir où il en est.

D’ailleurs, l’évaluation de la qualité du système judiciaire n’est pas son premier souci. Il n’appartient pas aux 28 pays qui mesurent la confiance et la satisfaction des usagers ou des professionnels de la justice, où « les enquêtes de satisfaction ne sont pas dirigées que vers les professionnels de la justice mais principalement vers les citoyens (visiteurs des tribunaux), la justice étant un service public. » Il n’y a pas non plus de système régulier d’évaluation des performances de chaque tribunal, ni d’indicateurs de performance pour mesurer l’activité des tribunaux – comme c’est pourtant le cas dans 36 pays sur 45 où les quatre indicateurs les plus utilisés sont : la durée de procédures, les affaires pendantes et les stocks d’affaires, les affaires terminées et les nouvelles affaires.

La Slovénie est ici le meilleur élève de la classe. Le conseil supérieur de la magistrature y suit et analyse l’efficacité de chaque juge, ce qui est noté dans les rapports annuels – une méthode de travail à la limite du harcèlement, aurait-on tendance à croire. D’autre part, le conseil y est « compétent pour adopter les objectifs minimum de quantité de travail des juges, les critères de qualité et de performance de l’activité des juges selon les catégories et la complexité des affaires, la méthode de résolution des affaires, la coopération avec les conseillers juridiques, assistants et autres personnels judiciaires. » Tout un programme qui vaut sans doute la peine d’aller vérifier sur place. Le Luxembourg a toutefois coché la case concernant le contrôle du ministère public, estimant que l’« organisation hiérarchique aboutit inévitablement à un suivi et à une évaluation » de son activité. En outre, les juridictions et le ministère de la Justice exerceraient aussi une mission de surveillance par le biais de rapports d’activités et d’informations spontanées livrées au Parquet général, tout comme les organes de presse, qui reçoivent les feuilles d’audiences chaque semaine sans plus de données que le nom des prévenus et l’objet de l’affaire. Et d’ajouter sans rire que « cela permet également une évaluation du travail des parquets par le public et ceci à travers les médias. » La nouveauté : cette année-ci, le Parquet et les « ser­vices particuliers de la Justice » participent « de manière volontaire » à un projet d’auto-évaluation de la qua­lité des services. Ce projet est mené au sein de l’État. 

Le Luxembourg a toutefois entrepris des efforts en ce qui concerne la mesure des temps morts dans les procédures judiciaires, avec le développement de systèmes informatiques permettant de mieux gérer les affaires. Mais son niveau d’informatisation est moyen – quatorze pays ont un très bon niveau (dont l’Espagne et la Turquie), douze un bon niveau (la France, l’Allemagne et les Pays Bas), dix un niveau moyen (Belgique, Luxembourg, Italie) et dix un faible niveau (Russie, Monaco, Serbie). Le Cepej souligne que l’utilisation de moyens informatiques sert à réduire la « distance » entre usagers et tribunaux, comme par exemple des pages internet interactives, des formulaires en ligne ou l’utilisation de vidéo-conférences. L’e-justice deviendrait, selon les experts, un atout pour obtenir une meilleure efficacité de certaines procédures. Le grand-duché peine à mettre en route des sites officiels auxquels le public a accès. Les juridictions administratives sont toujours les seules à avoir un site avec les jugements et l’ordre du jour des audiences. Le minimum nécessaire. La médiation, l’arbitrage et la conciliation peuvent contribuer à obtenir plus d’efficacité de la justice en tant que modèles de solution alternative de certains litiges. Or, au Luxem­bourg et en Turquie, seule la médiation pénale peut être qualifiée de médiation judiciaire, même si les au­tres formes existent.

Les experts du Cepej notent aussi que le Luxembourg compte parmi les pays où le nombre moyen d’affaires reçues par le procureur est le plus élevé. Il en est de même pour le nombre de dossiers portés devant les tribunaux et le montant des affaires terminées par une sanction ou une mesure imposée ou négociée par le procureur. C’est sans doute la réalisation de l’objectif de « tolérance zéro » souhaitée par le ministre CSV de la Justice, Luc Frieden.

À part la création de deux chambres criminelles supplémentaires et l’augmentation du personnel, il n’y a pas eu de réformes judiciaires au grand-duché depuis la première analyse du Cepej (d’Land, 20 mai 2005). Or, le pays est en attente de la mise en place du Conseil de la magistrature (d’Land, 21 mai 2008) dont le ministre a esquissé une ébauche dans une interview accordée au Wort, le 15 septembre 2008. Il en ressort que ce Conseil devra pallier toutes les lacunes mises à nu au fil des rapports de la Cepej : la désignation et les critères de recrutement et de promotion des juges, la mise en place de la formation continue (qui n’est pas obligatoire pour l’instant), le contrôle de l’efficacité de la justice, de la qualité des jugements et des procédures. C’est au Conseil que les justiciables pourront s’adresser pour obtenir des informations. En réponse aux craintes des magistrats de perdre leur indépendance face au pouvoir politique, le ministre Frieden affirme que le Conseil sera composé majoritairement de juges de la magistrature debout et assise : le procureur général d’État, les présidents de la Cour administrative et de la Cour supérieure de justice. Les quatre autres juges devront être élus par leurs pairs. Ensuite, le ministre y verrait bien siéger le président de l’ordre des avocats, le doyen de la faculté de droit de l’Université du Luxembourg et le président du Conseil économique et social qui représenteraient les forces vives de la nation. Le ministre compte maintenant informer les groupes parlementaires de ses intentions. Au prochain gouvernement de les mettre en musique.

2 Projet de loi concernant le budget de l’État 2009

anne heniqui
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