CSSF

Bilan à l‘eau de Cologne

d'Lëtzebuerger Land vom 24.04.2008

Définitivement, ce n’est pas sous le règne de Jean-Nicolas Schaus, le patron de la surveillance bancaire pendant encore un an, que la Commission de surveillance du secteur financier livrera un portrait un peu fidèle de la place financière, avec ses forces, mais aussi les défaillances de ses acteurs. Le rapport annuel 2007 aurait presque pu être écrit par les rubricards du courrier du cœur : le bilan est sans aucune rugosité, lisse comme du papier de soie. Consensuel aussi, comme peut l’être la conduite de la CSSF à l’égard de ses administrés du secteur financier. Les questions qui fâchent ne se règlent pas en public, mais entre les quatre murs du bureau du directeur général de la CSSF – établissement public –  et les professionnels pris en défaut. Sans jamais que les problèmes ne transparaissent au grand jour. C’est la méthode Schaus que les professionnels eux-mêmes jugent précieuse, parce qu’elle a l’avan­­tage de la discrétion. Dans le droit d’inventaire que son successeur s’autorisera certainement après le départ du « patron » en juin 2009, il y a beaucoup de chance que cette tradition soit maintenue. Comme s’il fallait être un peu autiste pour diriger une maison qui n’a pas seulement dans ses attributions celle de jouer au gendarme de la place financière – même s’il dédaigne à sortir son arme – mais aussi la mission de promouvoir le secteur financier. Il n’y a probablement en Europe qu’au Luxem­bourg que ces deux missions passent pour conciliables.   

Les rapports de révision des banques y sont épurés pour ne laisser transpirer, dans leurs versions finales, que les mentions les plus formalistes. À quoi bon le rappeler encore ? 

Le rapport annuel 2007 évoque sur une demie-page à peine, alors qu’il en compte 222 au total, la question des sanctions prononcées à l’encontre des professionnels pour des violations de la réglementation bancaire et financière. La CSSF aurait d’ail­leurs très bien pu faire l’économie de ce volet de la surveillance, vu qu’elle n’en a pas prononcé l’année dernière. Aucune amende administrative n’a été infligée non plus contre des dirigeants – assurément irréprochables – des établissements de crédit, PSF ou gérants de produits d’épargne collective. Cette apparente probité, du coup, devient suspecte. Mais pour Jean-Nicolas Schaus, c’est un parcours sans faute dont il n’est sans doute pas peu fier.  

La huitième place financière mondiale pour la gestion d’actifs et la seconde pour l’industrie des fonds d’investissement avec ses quelque 40 000 employés n’a donc livré encore une fois cette année qu’une seule facette, la plus flatteuse. Elle aurait sans doute gagné, alors qu’elle est en quête de crédibilité internationale, à faire l’étalage de certaines de ses disgrâces. Elle n’en est certainement pas exempte.  La preuve la plus récente remontant à la semaine dernière où un avocat et un banquier ont été condamnés à respectivement un an et six mois de prison avec sursis pour faux et usage de faux dans une affaire de violation d’accords  de coopération fiscale entre le Luxembourg et les États-Unis. 

Les ponts seraient-ils coupés entre la justice et l’autorité administrative pour que les informations des uns ne parviennent pas à percer les murs des autres ? Le secret de l’instruction favorise évidemment le fonctionnement en vase clos des deux institutions. Ceci dit, les réviseurs d’entreprises (qui tomberont d’ailleurs bien­tôt sous la surveillance de la commission), sur lesquels s’appuie en partie le travail de surveillance de la CSSF, sont tenus à l’obligation de tout dire des établissements dont ils auscultent les comptes : résultats, évaluation des risques, accidents de parcours, mais aussi procédures judiciaires en cours dont ils peuvent faire l’objet. Les versions non édulcorées de leurs rapports remis à la CSSF sur une base régulière doivent au moins en mentionner l’existence.    Que fait le gardien du secteur financier ? Quelles ont été les suites que ses dirigeants ont données par exemple aux condamnations de professionnels du secteur financier pour violation de leurs obligations ? Aucun rapport ne le dit. De leur côté, les magistrats du Par­quet, qui ont le nez dans le guidon, débrodés qu’ils sont de travail, ne font pas d’inventaire ni de suivi de leur dossier, après que les condamnations aient pu tomber. La commu­nication des verdicts des juges à l’autorité de surveillance n’est d’ail­leurs pas systématique.   

Sur le plan institutionnel, les passerelles entre les deux mondes ont été coupées après l’adoption de la loi de 2004 sur le blanchiment. Après le passage des experts internationaux de l’OCDE et du Fonds monétaire international, le Comité de pilotage anti-blanchiment, structure présidée par Jean-Nicolas Schaus qui comptait notamment des membres du Parquet et des représentants du secteur financier, a été dissout. S’y est substitué, toujours sous l’égide du directeur général de la CSSF, le comité consultatif anti-blanchiment. Les gens du Parquet n’y ont désormais plus leur place. Seul un représentant du ministère des Finances, qui est aussi le membre luxembourgeois du Groupe d’action financière anti-blanchiment (Gafi) y est admis. Personne ne s’en émeut, pas même au Parquet de Luxembourg, où l’on juge les rencontres informelles avec les dirigeants de la Commission de surveillance suffisantes pour « régler les problèmes ». Qu’en penseront les experts de la prochaine mission luxembourgeoise du Gafi ? Jean-Nicolas Schaus n’aura peut-être pas l’honneur de les accueillir, puisqu’il devra laisser les clefs de la maison le jour de ses 68 ans, le 11 juin 2009.  

Il faudra donc attendre plus d’un an – et encore un rapport annuel – et aussi sans doute les nouveaux statuts de la CSSF, avec un comité de direction élargi à cinq personnes (et non plus trois comme c’est encore le cas actuellement), des responsabilités étendues (avec notamment un pouvoir de réglementation qui lui fait actuellement défaut) et l’ouverture de la maison au contrôle de la Cour des comptes pour que ses dirigeants aient la délicatesse et le courage d’enfin s’abandonner au jeu de la transparence. Après tout, on attendrait d’un établissement public qui impose les règles de bonne gouvernance aux professionnels du secteur financier qu’il ne s’en dispense pas lui-même. 

À bientôt 67 ans, le directeur général actuel de la CSSF n’avait pas envie de raccrocher ses crampons. Ce qui arrange aussi tout le monde. Jean-Nicolas Schaus a demandé, et obtenu de son ministre de tutelle, de prolonger son mandat d’une année. La loi ne l’autorise pas à demander une quatrième prolongation. Cet intervalle d’une année dont il dispose désormais devrait toutefois lui suffire à mener à bout la réforme de l’institution qu’il a lui-même largement inspiré. La CSSF devrait ainsi disposer à l’avenir de plus de prérogatives dont celle notamment d’écrire la réglementation financière et de la faire appliquer.    

Interrogé sur la question de sa succession lors de la présentation mardi du bilan 2007, Jean Nicolas Schaus a habilement renvoyé la balle à son ministre de tutelle, Luc Frieden. Au ministère du Trésor et du Budget, la question du remplacement du directeur général d’une des institutions clefs dans l’économie luxembourgeoise est jugée prématurée. « Le gouvernement a le temps d’y réfléchir », assure Jean Guill, directeur du Trésor et président du conseil d’administration de la CSSF.

Aucune indication ne transparaît au stade actuel sur le profil du candidat qui reprendra les commandes de la Commission de surveillance. Sa nomination interviendra en pleine campagne des législatives de juin 2009.

La question est de savoir si Luc Frieden, CSV, puisera dans le vivier interne de la CSSF – il aurait pu d’ailleurs le faire il y a deux ans en promouvant l’un des membres actuels du comité de direction – ou s’il sera tenté de parachuter l’un des hauts fonctionnaires du ministère des Finances pour pourvoir le poste de directeur général.La nomination du successeur de Jean-Nicolas Schaus, qui lui-même ne peut pas être suspecté d’être un homme de gauche, pourrait donc devenir politique avec une forte coloration orange et noir. Car, si les sondages sont mauvais pour les chré­tiens-sociaux au pouvoir sans discontinuer depuis 1979, la tentation risque d’être grande pour le gouvernement de mettre un homme ou une femme du sérail à la tête d’une institution qui régimente une activité dont dépend plus de la moitié de la richesse nationale. 

Véronique Poujol
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