Coalition DP-LSAP-Verts

Renouveau démocratique

d'Lëtzebuerger Land vom 31.01.2014

La coalition DP-LSAP-Verts a fait du renouveau démocratique une première priorité de son programme. La démocratie serait fatiguée au point qu’il faille la requinquer ?

Ces formulations expriment la détermination de nos gouvernants : « renforcer la démocratie », « réforme du fonctionnement de l’État et de ses institutions », « participation au processus politique », « initiatives citoyennes », « écoute des citoyens ».

Dans le détail, le programme contient des propositions intéressantes, même si les formulations sont parfois un peu alambiquées, voire générales. Ainsi, l’interdiction du cumul de la fonction de député et de bourgmestre ou d’échevin n’est pas clairement affirmée ; on en déterminera seulement les conditions. La Chambre aura les moyens de « se faire assister par des experts en toute matière scientifique » afin de mieux contrôler le gouvernement. Elle continuera à intervenir dans la transposition des directives, ce n’est pas vraiment nouveau, mais c’est un trait sous des tentatives passées de l’en déloger. Rien du tout par contre pour permettre à la Chambre de partager l’expertise de l’exécutif en matière de législation européenne. Les ministres sont co-législateurs au niveau européen, mais ils n’aiment pas tellement que le Parlement s’en mêle au nom de la veille démocratique !

On affirme d’abord qu’il faut de « larges » débats. Ainsi, la « nouvelle » constitution doit donner lieu à « un large débat sur les défis et les objectifs des changements ». Évidemment, tout débat est large par définition ! Il y aura des « forums citoyens » « en vue d’une adhésion de la majorité des citoyens à la nouvelle constitution », car une chose est certaine : il y aura un référendum pour la deuxième lecture de cette constitution selon l’article 114 actuel de la constitution.

Il faut préciser qu’il n’y aura pas de « nouvelle » constitution, mais une refonte de la constitution de 1868. L’exposé des motifs de la proposition de loi 6030, qui entend procéder à cette refonte, révèle qu’il s’agit d’un work in progress depuis au moins 1999, sinon 1980 ! La proposition de loi 6030 a été déposée le 21 avril 2009, donc à la fin de l’avant-dernière législature (2004 à 2009). Le site Internet de la Chambre renseigne 70 documents autour du 6030.

Il est dès lors difficile de saisir ce que sera « le large débat sur les défis et les objectifs des changements ». S’agit-il de revenir sur toutes les modifications dont l’objectif principal est d’adapter notre texte fondamental à la pratique politique d’aujourd’hui ? Contrairement à la révision de 1919, qui a apporté le suffrage universel et installé la souveraineté nationale dans le peuple, ou à celle de 1948, qui a introduit les droits sociaux, la nouvelle constitution n’apportera aucun changement révolutionnaire de ce genre, aucun « renouveau démocratique », mais bien des confirmations de ce qui s’est instauré au fil des années par de nombreuses modifications constitutionnelles pour adapter le fonctionnement démocratique de l’État luxembourgeois aux temps modernes.

Sans doute, il est toujours utile d’organiser des forums citoyens – en fait, plus prosaïquement, des réunions publiques d’information – pour expliquer ce que les institutions ont élaboré en la matière depuis cinq ans et ainsi entraîner l’adhésion des électeurs au référendum sur le texte voté en première lecture.

Le problème de ce référendum en seconde lecture, c’est qu’il n’y a jamais eu de débat public très conséquent sur l’ensemble, sauf quelques interventions sur des points sensibles par des spécialistes du droit constitutionnel, comme par exemple le rôle du Grand-Duc. Le cheminement a été long et complexe, de nombreux avis ont été rendus, des experts sont intervenus, les modifications sont parfois à peine visibles, il n’y a jamais eu de polarisation politique ni donc de mobilisation, même pas lorsque la sanction a été enlevée au Grand-Duc lors de la promulgation de la loi sur l’euthanasie.

Par ailleurs, le dernier référendum au Grand-Duché, qui a eu lieu le 10 juillet 2005 a révélé, s’il en était besoin, qu’une telle entreprise n’est pas évidente dans un pays dont ni la classe politique, ni les citoyens n’ont l’expérience de la consultation populaire. L’expérience de 2005 a montré la difficulté pédagogique à exposer un texte complexe et à réunir les suffrages sur un ensemble de dispositions, alors que les oppositions ciblent normalement des dispositions particulières voire des interprétations subjectives.

La grande majorité à la Chambre mettra donc sa communication au service d’une lecture expliquée du texte et son autorité dans la balance pour faire passer le texte en deuxième lecture. On n’ose pas poser la question lancinante: que se passera-t-il si la réponse des électeurs est négative ? Le Gouvernement démissionnera-t-il ? La Chambre s’en ira-t-elle ?

D’autre part, il n’est pas très sain que le débat démocratique soit seulement organisé par les pouvoirs publics. À la réflexion, on se rend compte que notre pays manque cruellement d’une culture du débat démocratique, à travers des fondations, des associations, des think tanks et autres intermédiaires. Il y a eu quelques timides essais dans les médias écrits et audiovisuels et sur certains blogs, mais le plus souvent, quelques brèves phrases dites par des personnalités politiques aux micros des médias audiovisuels remplacent chez nous le débat. Ni Facebook, ni Twitter et autres réseaux ne sont aptes à remplacer un débat approfondi. S’il y a un problème de renouveau démocratique, c’est plutôt là qu’il faut chercher, se demander si les partis politiques et leurs sous-organisations font vraiment leur travail au niveau du débat (pour lequel ils sont pourtant payés par les deniers publics !), alors qu’ils tendent de plus en plus à n’être que des machines électorales. Le renouveau démocratique ne passe pas par des campagnes officielles, mais par le débat dans la société.

Avant le vote en première lecture de la nouvelle constitution fin 2015, le programme de gouvernement prévoit de consulter le peuple sur quatre questions dites essentielles auxquelles il faudra donner une réponse avant de ficeler le texte. On peut difficilement supposer qu’on soumettra ces quatre questions une à une aux citoyens, ce qui prendrait énormément de temps au gouvernement, mais plutôt ensemble dans un seul référendum et qu’on attendra les réponses de la majorité des citoyens. Ce sera donc un sondage plutôt qu’un référendum pour savoir ce que pense la majorité.

Cette façon de procéder est étrange. On indique quatre mesures (le financement des ministres des cultes ; les droits politiques des concitoyens non- luxembourgeois ; la participation des jeunes à partir de seize ans au processus politique ; la limitation dans le temps des mandats ministériels), on peut supposer que les trois partis de la coalition sont plus ou moins en faveur de ces mesures à plus ou moins long terme, mais le programme du gouvernement ne contient pas de position commune très élaborée à cet égard. Donc le citoyen ne sait pas ce que veut exactement son gouvernement ni ce sur quoi les trois partis de la coalition se sont accordés. Cette retenue de la majorité est-elle tactique ou simplement l’expression d’un grand respect démocratique ?

La mesure politiquement la plus sensible et la plus innovatrice en Europe et dans le monde est sans doute le droit de vote aux législatives pour les citoyens non luxembourgeois.

L’analyse des programmes des trois partis de la coalition révèle que le DP veut un débat à ce sujet à clore en 2016 et en tout état de cause une clause de résidence plus sévère que pour les communales et les européennes. Cela signifie-t-il accord en principe pour le droit de vote des non-Luxembourgeois aux législatives ? Mais ce n’est pas clairement dit.

Le LSAP parle d’une ouverture « progressive » du droit de vote actif, sans plus. Seuls les Verts s’expriment clairement pour ce droit de vote, avec une clause de cinq ans de résidence au pays.

Le CSV est clairement contre cette ouverture du droit de vote, misant sur l’accès facilité à la naturalisation pour faire participer plus de non Luxembourgeois au processus de décision politique. Il évoque tout au plus la participation des non Luxembourgeois à des référendums. Il n’y a donc a priori pas de majorité constitutionnelle à la Chambre pour cette ouverture. S’y ajoute cependant que le programme de gouvernement entend réduire la barrière pour l’accès à la nationalité que constituent les connaissances linguistiques, surtout quant au luxembourgeois.

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On peut aussi s’attendre à une forte polarisation sur la question du financement des ministres des cultes sur laquelle le programme gouvernemental reste muet. Il y a accord entre tous les partis sur la neutralité de l’État face aux communautés religieuses et le respect de toutes les convictions philosophiques et religieuses. Mais le CSV en veut aussi la reconnaissance (« Anerkennung ») et s’en tient au financement des cultes par des conventions. Le LSAP veut par contre une nouvelle approche des relations entre l’État et les cultes conventionnés (« Neuordnung der Beziehungen »), évoquant un impôt spécifique (« Kirchensteuer ») pour financer les services « effectivement » rendus (« gemeinnützige Dienstleistungen ») par les cultes à la société. Les Verts s’expriment aussi pour un impôt spécifique (« Weltanschauungssteuer ») tandis que le DP ne s’oppose ni aux conventions ni à d’autres modes de financement. Il reste en tout cas de la marge pour les discussions futures !

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Le droit de vote actif à seize ans se trouve dans les trois programmes des partis de la coalition, mais non dans celui du CSV, où on essaie de compenser avec toute une série d’ouvertures envers les jeunes. Le programme gouvernemental accompagne ce droit de vote d’une forte dose d’éducation civique et politique, probablement à prendre en charge par l’école, une fois de plus. À trop charger la barque… !

Quant à la limitation du mandat ministériel dans le temps qui a la faveur des Verts et du LSAP, mais dont le DP ne souffle mot, c’est une de ces fausses bonnes idées que notre système électoral risque de faire capoter rapidement. Encore une fois : ce n’est pas à la loi d’imposer l’alternance, c’est à la société politique de l’obtenir.

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En fin de compte, on a beaucoup de peine à imaginer comment le référendum-sondage prévu se déroulera. Le gouvernement interviendra-t-il dans le débat préliminaire ? Avec tout le respect pour la démocratie participative, on voit mal la sphère publique de notre pays orpheline de ses acteurs politiques majeurs.

En tout état de cause, sur des sujets aussi sensibles la campagne va être longue et difficile. On risque de se crêper pas mal le chignon dans les années à venir !

Ben Fayot
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