Drive in

d'Lëtzebuerger Land du 31.07.2020

Au vu des circonstances actuelles, le drive-in constitue peut-être une solution originale pour les films de la cinémathèque ou les concerts de l’Atelier. Mais là, ça va trop loin. Qui a garé un énorme SUV Mercedes devant la Philharmonie ? Pour rappel, il y a un parking juste en dessous. Une berline de la même marque était déjà restée là plusieurs années. On en connaît qui se sont pris des petits tickets à 49 euros sous l’essuie-glace pour moins que ça…

Est-ce en hommage à la manie locale consistant à garer sa voiture devant son garage, et non dedans, pour rendre jaloux ses voisins ? Est-ce pour taquiner Claude Turmes, dont les bureaux sont à quelques mètres, et qui envisageait de réserver les avantages fiscaux des contrats de leasing aux seules voitures électriques ? Il s’agit plus probablement d’une trouvaille d’un conseiller en communication, tombé sur des statistiques concernant l’âge et le revenu moyen des afficionados des concerts de musique de chambre, et y trouver une corrélation incroyable avec son cœur de cible. « Déposons subtilement un V8 devant l’entrée et, demain, sans savoir pourquoi, la première envie des spectateurs de ce soir, après leur coupe de champagne et leurs blinis au caviar du petit déjeuner, sera de se ruer dans une concession. »

On peut trouver bien des raisons pour justifier cette incongruité : la musique du moteur à explosion, le silence de l’habitacle insonorisé avec soin, la qualité de l’autoradio ? Plus prosaïquement, il suffit d’essayer de remplir un formulaire d’abonnement à la Philharmonie pour se rendre compte qu’aucune rentrée financière n’est superflue. Le catalogue n’a pas un mois et, déjà, la liste des représentations annulées fait ressembler la programmation à un tableau d’aéroport. Avant, on appelait cela du sponsoring, maintenant on dit « mécénat », c’est moins dégradant. Si c’est le prix à payer pour maintenir l’institution à flot, pourquoi pas.

On peut, en effet, espérer qu’il faut débourser un petit pactole à la salle de concerts pour sacrifier ainsi l’esthétisme particulièrement réussi de son bâtiment ceint de 823 colonnes immaculées et dédié à l’art immatériel en exposant sur un socle, tel un veau d’or avec des jantes alu, un symbole de tout ce que notre civilisation a pu créer de prosaïque et de matérialiste. 

Il n’y a pas que les joueurs de football qui doivent être transformés en panneaux publicitaires. Le public de la Philharmonie préfère voyager en berline plutôt qu’en auto-stop ? Grand bien leur fasse. Il y a bien un parking à vélos devant les Rotondes où les bobos de Bonnevoie peuvent garer leur fixy. Et puis ça change des sculptures de Lucien Wercollier exposées devant tellement de bâtiments publics. Pourquoi est-ce que ce véhicule serait devenu plus choquant aujourd’hui que, par exemple, l’hélicoptère qui rouille sur le toit de China Connection depuis 20 ans ? Il faudrait installer une Tesla ? Une bicyclette électrique ? Un monument en hommage aux soignants et au politiquement correct ? En attendant, on espère que la crise ne s’éternise pas trop, sinon est partis pour découvrir un sac à main Gucci géant suspendu au plafond du grand auditorium et un logo Chanel brodé sur le rideau de scène.

Cyril Boyer
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