Danse

La vie est un jeu

d'Lëtzebuerger Land vom 11.03.2022

Le 3 du Trois, initié par le Centre de création chorégraphique luxembourgeois, fait figure de véritable plateforme d’expérimentation, de recherches et de porte ouverte sur la scène chorégraphique européenne émergente. C’est important de le souligner tant ces initiatives sont rares, même au-delà des frontières du pays. Et comme le souligne la chorégraphe Jill Crovisier, invitée à présenter ses recherches autour de The Game Research, tenues notamment par deux « apprenties » : Si les scènes luxembourgeoises doivent « aussi » s’imposer comme des acteurs de diffusion, il s’agit « aussi », par ce biais, de soutenir les jeunes artistes. Et ce couple diffusion/émergence est bien au cœur de la programmation des 3 du Trois.

Tout commence par un passage dans la boîte noire, cette fois, face à deux films vidéo-danse, le premier d’Aifric Ní Chaoimh, Auto, le second d’Isaiah Wilson, Passenger. Deux vidéos courtes, tournées dans une voiture et sous des thématiques communes liées à nos mondes intérieurs, explorant « l’altération du paysage émotionnel et du monologue intérieur », chez Ní Chaoimh, et exposant « le monde intérieur du protagoniste, et le thème de la liberté », chez Wilson. Auto nous aura moins convaincu visuellement, malgré une superbe performance d’Ileana Orofino, et un travail atmosphérique somme toute très pénétrant ; Passenger, résonne encore à l’esprit, malgré certaines lignes assez dérangeantes. Pourtant, dans les deux films, les thématiques sont très bien mises en scène. Ce qu’il faut noter chez Wilson, c’est cette implacable maîtrise de l’outil vidéo. On sait le garçon expert en la matière, tant il réitère ce genre de projets sans cesse, et encore cet été, dans des conforts de création et contextes très différents. Dans son Passenger, le voilà plus franchement nous convaincre de ses talents de réalisateur, presque plus que de chorégraphe, finalement.

C’est ensuite le moment d’entrer en salle, d’abord à l’invitation de la chorégraphe Anna Nowicka, qui a posé un temps ses valises au Trois-CL soutenue par le fameux Réseau Grand Luxe, « comptoir d’échanges artistiques au service de chorégraphes émergent.es désirant développer de nouveaux projets ». Et c’est donc à cela que la chorégraphe berlinoise nous propose d’assister : un « truc » complètement expérimental, planté dans une recherche encore chaude, sortie du four, pour un premier test en public de ses nouvelles directions chorégraphiques. Nowicka offre une pause et par son Within The Pause, tente éperdument de répondre à la question, « en dansant, comment un sentiment de pause peut-il apparaître ? ». Vaste quête, sans réponse effective, qui malheureusement nous percute trop violemment. Car, bien que la recherche soit vivace et intéressante autour de cette question générale qui est de chercher « la dernière fois où nous n’avons rien fait du tout », la suite au plateau est plus complexe. Trop pure, trop brute, voire brutale dans sa mise en scène, Within The Pause fait souffrir des deux côtés du quatrième mur, jusqu’à s’auto-pulvériser à l’allumage des lumières de service. Là, ça tourne à la prise d’otage, le spectateur flanqué dans ce débat bien-pensant sur-mâché. Tout cela est certes intéressant, mais forcément, tout « aussi » barbant…

Enfin, c’est à nouveau Jill Crovisier qui clôture la soirée, par du « Jill Crovisier » en puissance, ce, à l’image du 3 du mois dernier, où la même avait « aussi » clôturé la date. Dans The Game Research elle s’intéresse cette fois au jeu. Sous la ligne, « nous grandissons en jouant pour pouvoir vivre », la Luxembourgeoise s’attelle à une recherche autour des facettes psychologiques, physiques, philosophiques et sociales du jeu et toutes les corporalités qu’il peut induire. Accompagnées par la chorégraphe, Zsofia Safranka-Peti, Vanessa Laura Wüthrich (apprentie), Victoria Robinson (apprentie) offrent aux spectateurs quelques extraits et tentatives issus des expérimentations thématiques, sur fond de musique techno abrasive, une création sonore également signée par Crovisier, qui s’y initie. L’ensemble est pour l’heure encore assez en désordre, mais déjà très emballant tant les possibilités y sont pléthoriques et l’axe de travail inspirant. Comme souvent après un 3, on a hâte d’en voir plus. Ça tombe bien : il parait que les « Hors Circuits » du Trois-CL sont faits pour ça…

Godefroy Gordet
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