Analyse des Européennes 2009

Élections toujours en trompe l’œil

d'Lëtzebuerger Land vom 11.06.2009

30 années d’élections européennes au suffrage universel direct et une nouvelle fois le taux de participation moyen au niveau de l’Union européenne est en recul. Seulement 43,1% des citoyens de l’Union se sont rendus aux urnes la semaine dernière avec des taux particulièrement faibles, entre 19,5 et 28%, dans des États ayant rejoints l’Union après 2004 (Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie). Le Danemark et l’Estonie se distinguent toutefois puisque dans ces pays le civisme électoral progresse (respectivement 11 et 16%)1. La citoyenneté européenne consacrée par le Traité de Maastricht en 1993 et l’extension progressive des pouvoirs du Parlement européen dans le processus décisionnel n’ont donc pas eu pour effet direct de stimuler la participation démocratique au niveau de l’Union européenne pour la majorité de nos concitoyens. Surtout, cette abstention record, dont les motivations ne sont encore nullement étudiées sérieusement, doit nous inviter à la prudence quant à l’interprétation des résultats par famille politique au sein du Parlement européen, à l’état réel des systèmes politiques des 27 États membres et à la mesure de l’opinion à l’endroit de l’Union. 

Néanmoins les différentes études électorales2  – quelque soit la technique re­tenue (sondages, groupes de discussion, enquêtes participatives, forums délibératifs, panels etc.) – au niveau des États membres et de l’Union, depuis les référendums sur le Traité constitutionnel en 2005 et avant le scrutin européen, ont majoritairement montrées que les Européens étaient préoccupés, sinon angoissés, par leur futur économique et social personnel, par les questions énergétiques et climatiques, par les questions éthiques et par le rapport à l’Autre au sein de l’Union européenne et à ses frontières. En d’autres termes, les élections européennes – tout comme le furent les référendums sur le Traité constitutionnel et le Traité de Lisbonne en Espagne, en France aux Pays-Bas et en République d’Irlande – sont à la fois le révélateur d’une incompréhension, voire d’une indifférence, vis-à-vis de la modification des règles de gouvernance en Europe et d’une distorsion entre offre et demande politique. Elles convergeaient également quant au constat de nouvelles exigences d’interventions des pouvoirs publics en raison même de la Mondialisation et de ses effets réels ou supposés sur la vie de chacun d’entre nous et sur notre environnement au risque sinon d’entraîner de réalignements électoraux brutaux. La crise financière, initiée à l’automne 2008, a amplifié ces sentiments d’insécurité sociale entraînant des désirs de protection de la part des gouvernements de l’Union et suivant les États membres des votes « historiques » de protestation, de sanction ou au contraire de confirmation.

Les paradoxes de la domination du centre droit européen

Au niveau de l’Union, outre le niveau record d’abstention, c’est le score des formations politiques membres du Parti populaire européen (PPE) qu’il est important de souligner. Jamais dans l’histoire du Parlement européen, il n’y a eu un tel différentiel de sièges entre le groupe PPE formé des chrétiens démocrates et des conservateurs et celui du Parti socialiste européen (PSE) composé des partis socialistes, sociaux démocrates et travaillistes. Le rapport serait de 264 pour le PPE (et Démocrates européens) contre 162 pour le PSE. La domination du PPE devrait aussi marquer la fin du compromis historique entre le centre droit et le centre gauche dans la désignation du président de la Commission européenne, de la rotation à la tête du Parlement européen et dans la répartition des présidences de commission  en dépit de la proposition réitérée par Wilfried Martens président du PPE de continuer à collaborer avec le PSE. Seul pour l’instant, le groupe européen libéral démocrate réformateur composé des partis libéraux de centre droit et de centre gauche n’a pas décliné la nouvelle offre de collaboration. Ce groupe est plutôt dans une position stagnante par rapport à 2004 (80 députés en 2009 contre 100). Pour la compréhension du phénomène, il faut tenir compte de l’abaissement du nombre total des sièges au Parlement européen, passant de 785 à 736, des pertes en Europe centrale et orientale et des profits en Allemagne et au Royaume Uni. 

La victoire des partis du PPE – et son ampleur- est néanmoins fragile. En Allemagne, par rapport aux europé­ennes de 2004, la Christtlich Demo­kratische Union Deutschlands et son allié bavarois est en recule de 6 points (37,9%). De plus, non seulement le Freie Demokratische Partei (10,5%) avec un agenda clairement « libéral national » parvient à progresser de 4 points mais aussi une multitude de formations sans unité de droite évangélique, d’associations de contribuables, de droite nationale et d’extrême droite rassemblent plus de 9% des suffrages. En France, l’Union pour un Mouvement populaire (27,9%) réalise certes le meilleur score de la droite de gouvernement depuis 1979 mais elle ne possède pas de réserves importantes électorales importantes pour le futur sinon parmi les abstentionnistes. Le différentiel des suffrages est clairement en faveur des gauches françaises (44%) et le « coup de grâce » au Front National et aux différents souverainistes de droite (13%) n’a pas été encore donné. Les bons résultats enregistrés en Pologne (Platforma Obywatelska) et en Hongrie (Fidesz), respectivement 44,4% et 56,3% des suffrages exprimés ne doivent pas faire oublier que dans ces États, depuis leur « retour en Europe », c’est-à-dire démocratisation et européanisation après la fin de l’Union soviétique, les oscillations électorales brutales sont fréquentes et l’instabilité gouvernementale qui en résulte empêchent de mesurer sérieusement l’ampleur du soutien populaire que ces mouvements au­raient acquis ni même d’évaluer la politique qu’ils entendent mener au sujet de l’avenir économique et institutionnel européen. Enfin les succès du Parti populaire espagnol (42,3%) et du Parti du peuple de la liberté en Italie, réunissant des anciens de Forza Italia et d’Alleanza Nazionale (35,2%)  – et logiquement le renforcement de leurs poids au sein du groupe PPE – ne seront pas sans conséquences au moment de la désignation des futurs dirigeants de l’Union européenne et dans les orientations politiques du PPE. Jean-Claude Juncker ne trouvera nullement en ces partis des alliés objectifs, si d’aventure il était finalement sollicité pour se porter à l’un des postes à responsabilité européenne tels qu’ils sont prévus dans le Traité de Lisbonne ou dans des nouvelles propositions de politiques de cohésion sociale conditionnées à la création d’un impôt européen qu’il ferait.

Exigence d’une refondation de la sociale démocratie 

En contre exposition, les membres du PSE, connaissent à l’exception de la Grèce, de la Suède et de la Slovaquie, une débâcle électorale authentique. Au Royaume-Uni, au-delà du système électoral, de la défiance de l’électorat vis-à-vis de l’Union européenne et d’une tradition chez les votants britanniques de sanctionner lourdement les gouvernements qui leur déplaisent, le Labour party enregistre son plus mauvais score depuis les années 20 (15,31%). En France, en dépit d’une domination historique de la gouvernance des pouvoirs locaux (régions, départements et communautés urbaines), le Parti socialiste ne parvient à réunir que 16,4% des suffrages faisant jeu égal avec les Verts (16,2%) et la gauche de la gauche (Front de gauche, Nouveau parti anticapitaliste et Lutte ouv­rière) réunit quant à elle plus de 12% des électeurs. Le Sozial­de­mo­kra­tische Partei Deutschlands fait encore moins bien qu’aux européennes de 2004, qui pourtant était déjà son plus mauvais score depuis 1949, toutes élections confondues, avec 20,8% des votes. La Troisième voie (libéralisme culturel, dérégulation du marché du travail, soutien indéfectible à l’approfondissement politique de l’Union etc.) initiée et incarnée successivement par Tony Blair, Gerhard Schroeder et Luis Zapatero depuis plus de 12 ans, qui était en quelque sorte une réponse de la sociale démocratie européenne aux conséquences de la chute du Mur de Berlin, n’apparaît plus adéquat à une grande partie des Européens. La sociale démocratie européenne doit être refondée sinon elle court le risque d’un déclin et sa possible substitution par d’autres familles politiques au centre gauche. Il existe un précédent, l’Italie depuis la création du Parti démocrate en 2008 (26,1% aux européennes) n’a plus officiellement de parti membre du groupe PSE.

Le Parti de la Gauche européenne, réunissant les partis communistes, néo-socialistes, anticapitalistes et altermondialistes ne parvient pas non plus à canaliser les votes de protestation sociale à cette élection. Son groupe unitaire au Parlement devrait avoir seulement 32 députés contre 41 dans le précédent malgré des bons scores en République tchèque, en France, en Allemagne  et au Portugal.

Dans cette configuration étrange, les autres vainqueurs de ces européennes seraient respectivement les partis eurosceptiques de droite et le Parti vert européen (PVE). Pourtant, une nouvelle fois, il est nécessaire d’en préciser la réelle portée et de comprendre ô combien que les résultats aux européennes sont aussi et surtout la conjonction d’une conditionnalité nationale, d’une révolution silencieuse dans le système des valeurs des Euro­péens et d’une lente européanisation des comportements politiques.

L’enracinement diffus de l’écologie politique 

Assurément l’écologie politique s’enracine progressivement dans l’ensemble des démocraties européennes au même titre que le furent à la fin du XIXe siècle les partis chrétiens démocrates, libéraux et ouvriéristes. Le groupe du Parti vert européen ensemble avec l’Alliance libre européenne dans le prochain Parlement aura 52 mandataires (35 en 2004) avec une première parité entre Allemands et Français (14 mandataires). Ce surplus d’eurodéputés (comme souvent le cas pour les groupes du Parlement européen) est fortement dépendant d’un seul résultat dans l’un des grands États de l’Union dont l’origine a peu ou pas de rapport non seulement avec le programme de la formation politique votée mais aussi et surtout sans conséquences durables pour d’autres scrutins beaucoup plus décisifs comme les législatives. Dans le cas du Parti vert européen (PVE), l’avancée des Verts français n’est pas sans rappeler l’élection de 1994 où le Parti socialiste avec Michel Rocard avait déjà reçu une « correction électorale » (14,8%) par une liste de centre gauche concurrente (Énergie radicale conduite par Bernard Tapie) et dans une moindre mesure en 1999 (21,1%) par les Verts déjà sous l’égide de Daniel Cohn Bendit. Les Verts français n’ont jamais été capables par la suite de transformer les succès engrangés aux européennes en une formation pivot du système politique français. Il faut noter également que les élus écologistes anglo-saxons et scandinaves supplémentaires, dont le positionnement par rapport à la méthode communautaire est plutôt critique, sont susceptibles de tensions à l’intérieur du groupe parlementaire. Enfin, il est à remarquer aussi que le PVE est quasi absent de l’Europe centrale et orientale (1 siège en Lettonie, 1 siège en Roumanie) et de l’Europe méditerranéenne (1 seul élu en Grèce).

En d’autres termes, ces européennes confirmeraient non seulement la diffusion de la question environnementale et énergétique dans l’ensemble du corps social européen mais la progression forte du vote écologiste en France, dans la Communauté française de Belgique, aux Pays-Bas et au Danemark doit être mise aussi en relation avec une crise systémique des partis de la sociale démocratie et pour les deux derniers États cités, elle est aussi synonyme d’un néo-euroscepticisme mêlant attachement à l’État national providence, exigence forte de précaution « démocratique » sociale et écologique dans le processus de mondialisation et un certain rejet de l’Union européenne qui l’incarneraient par ses politiques publiques actuelles et ses traités organisant ses pouvoirs. De plus, si les thèmes du réchauffement climatique, de la substitution des énergies fossiles, de la production et de la consommation alternative au consumérisme des années 60 et 70 sont devenus des déterminants du vote contemporain et des variables de politiques publiques, ils en deviennent aussi un objet de la compétition politique. Les autres partis politiques (d’autant plus quand ils sont à la recherche d’une nouvelle identité politique attractive comme le PSE) se font aussi désormais les promoteurs du développement durable en le liant aussi à la croissance économique comme l’ont fait le PVE dans sa proposition d’un Green New Deal. Cette concurrence et la reprise des thèmes écologistes par tous les partis politiques  pourraient expliquer la stagnation, voire le léger recul des Grünen dans les États de langue allemande, pourtant cœur historique et fer de lance de l’écologie politique en Europe. 

La contestation désorganisée et limitée de l’euroscepticisme de droiteLes droites eurosceptiques, nationales, régionales, extrêmes, ont pour objectif commun l’abandon, du moins la minoration, de la « méthode communautaire » et pour certaines d’entre elles sa refondation sur le principe coopératif. Cette volonté s’accompagne également d’une critique fondamentale de la capacité et de l’efficacité d’une régulation politique et économique des institutions de l’Union au moment de la Mondialisation des échanges économiques. La souveraineté politique des États et des régions et le contrôle démocratique assurée par le parlement européen, les parlements nationaux et les parlements régionaux, suivant les formations politiques et les ordres constitutionnels nationaux, sont aussi au cœur de leurs projets politiques parfois jusqu’à une idéalisation du principe démocratique et de la capacité du peuple à se représenter la politique. Elles se distinguent en revanche très fortement sur la conception de l’identité, qu’elle soit vécue au sein des sociétés européennes ou par rapport à un Autre (les États-Unis, la Turquie, le reste du monde) et du rôle de la puissance publique dans le domaine économique. À côté des mouvements politiques authentiquement néo-conservateurs, libéraux nationaux et souverainistes libéraux (à modalité variable) coexistent des partis politiques républicains, souverainistes interventionnistes, conservateurs sociaux, confessionnels, « différentialistes » et plus traditionnellement nationalistes et néo-fascistes. 

Comme le témoignent les différentes études électorales susmentionnées, la candidature de la Turquie à l’Union, les politiques d’immigration, le nouveau pluralisme religieux en Europe, les questions de sécurité intérieure et aux frontières de l’Union, la définition du régime politique de l’Union ou bien encore la concurrence économique à l’intérieur même du marché unique sont des questions qui clivent fortement les sociétés européennes et qui sont donc à la source non seulement de votes superficiels et circonstanciels en faveur des formations euro­sceptiques, de droite libérale nationale, de droite régionale et d’extrême droite mais aussi de la réelle constitution d’un pôle plural à la droite du PPE. A Strasbourg, les élus de ces droites devraient être d’ailleurs 143 (soit une progression de 15% de leurs effectifs). Pour autant les résultats enregistrés sont pour le moins paradoxaux et ne préjugent en rien des futurs comportements politiques des Euro­péens. En outre, leur capacité d’influence sur le système décisionnel européen sera plus limitée que par exemple l’ELDR ou le PVE dans la mesure où depuis leur première entrée au Parlement européen dès 1979, ils ont toujours été très divisés et ont connu de multiples constitutions de groupes avec des partenaires très différents ou mêmes éphé­mères et traditionnellement nom­bre d’entre eux restent ou se « réfugient » parmi les non-inscrits3.  

Aux Pays-Bas, le Partij voor de Vrijheid de Geert Wilders enregistre un beau succès avec 17% des voix et 4 élus et les partis confessionnels protestants sont aussi en nette progression (ils obtiennent 6,9% et 2 élus). Le parti Libertas au niveau européen fondé par Declan Ganley n’obtient qu’un seul élu péniblement acquis en Fran­ce avec Philippe de Villiers dont les listes n’ont nullement capitalisées le non au Traité constitutionnel de 2005 ou au Traité de Lisbonne de 2008. Au Royaume Uni, le Conservative Party britannique obtient certes la première position (27%) – il quitte d’ailleurs le PPE pour fonder un nouveau groupe avec l’Občanská demokratická stra­na (31,4%) et du Prawo i Sprawiedliwość (27,4%) des présidents tchèque et polonais – mais n’a pas su attirer à lui toutes les votes « eurocritiques » qui se sont aussi reportés vers l’United Kingdom Indepen­dence Party (16%) et le British National Party de Nick Griffin décrochant ses deux premiers sièges (8,4%). Au Danemark, le Dansk Folkeparti (14,8 %) obtient un siège supplémentaire mais les mouvements historiques de l’euroscepticisme danois notamment le Junibevægelsen de Jans Peter Bonde sont en net retrait (moins de 11% des voix au total), idem pour la Suède mais forte progression en Finlande (les vrais finnois 14%). En Autriche, le FPÖ (13,08 % des suffrages) fait un meilleur résultat qu’en 2004 et le BZÖ, qui se présentait pour la première fois aux élections européennes, recueille 4,66 %. Mais ces deux partis reculent par rapport aux législatives de septembre 2008 (30 % des voix) au bénéfice d’une autre liste « eurocritique » déjà présente en 2004 (Liste Dr. Martin – für Demokratie, Kontrolle, Gerechtig­keit 17,9%). Situation du même acabit en Flandres où le Vlaams Belang perd un des trois  mandats qu’il détenait au profit d’une autre liste « eurocritique » et libérale nationale (Lijst Dedecker). En Italie, la Lega avec un agenda clairement anti-immigration obtient 10,5% des voix et 9 élus, son record historique, mais le Front Natio­nal en France atteint seulement 6,5% avec trois élus. Enfin les seuls gains en Europe centrale et orientale pour les partis nationalistes sont les trois élus du hongrois Jobbik (15 %) ceux du Parti de la Grande Roumanie (8,74 %) d’Ataka bulgare (11,7%) et de partis lituaniens et lettoniens dont les États sont « foudroyés » par la crise économique et financière.

L’hypothèse d’un double vote disjoint au Luxembourg

Dans un tel concert européen, le Luxem­bourg se distingue une nouvelle fois, avec la Belgique, d’abord par son taux de participation qui est le plus élevé de l’Union en raison du vote obligatoire. 91% des citoyens inscrits sur les listes électorales se sont déplacés. Toutefois, cette participation excellente ne doit pas occulter que les eurodéputés du Luxembourg ne représentent que partiellement le corps social du Grand-duché. L’inscri­ption des ressortissants communautaires installés au Luxembourg demeure toujours en dessous des 15% du total de la population adulte étrangère en âge de voter (qui représenterait à peu près 38% de l’ensemble du corps électoral aux européennes) et ce en dépit des gains d’inscription particulièrement élevés cette année dans la communauté portugaise par rapport aux autres « communautés ». Logiquement et constante par rapport aux scrutins européens antérieurs depuis 1999, les candidats d’origine étrangère sont ceux qui reçoivent le moins de votes préférentiels par partis à l’exception du mouvement de la Gauche et du Parti communiste luxembourgeois. 

Surtout, pour la première fois depuis 1979, les listes aux législatives et européennes, après un gentlemen’s agreement entre les formations politiques, n’étaient plus composées des mêmes candidats à l’exception de l’ADR et des partis à la gauche de la gauche. Cette distinction des listes n’a pas entraîné une campagne proprement européenne et identifiable par les citoyens. Elle confirmerait avant tout l’existence d’un comportement électoral disjoint entre le scrutin européen et le législatif que nous avions déjà identifié en 2004 et qui auparavant profitait surtout au Parti chrétien social4. Un second vote disjoint devrait également émerger dans l’étude que nous menons actuellement pour la Chambre des Députés entre le scrutin européen de 2009 et le référendum sur le Traité constitutionnel européen de 2005. Dans l’enquête référendaire en 2005, si la majorité des Luxem­bourgeois étaient demeurés attachés à la méthode communautaire, 56,52% pour le « oui », 43,48% pour le « non », la campagne avait révélé des inquiétudes éco-sociales de la part de plusieurs segments de la société grand-ducale, la constitution d’un pôle « euro-vigilant » et d’une problématique identitaire. Dans quelles mesures ces questions dans un contexte de tensions avec la France et l’Allemagne sur la gouvernance fiscale et européenne et l’amplification de la crise économique et financière ont-elles été canalisées dans les programmes des partis politiques et comment les votes se sont répartis entre les différentes formations politiques et pour quelles raisons ?  

Enfin, le niveau du vote préférentiel s’amplifie, passant de 41,75 à 45,87% (47,19% pour les législatives lui-même en progression). Chose intéressante à noter pour des élections qui sont habituellement de second ordre, le Parti Chrétien Social remporte un succès éclatant aux législatives (38,2%) mais enregistre son plus mauvais score aux élections européennes depuis 1979 avec —31,33 % des suffrages exprimés. Il en va de même pour le Parti Ouvrier Socialiste Luxembourgeois avec 19,42%, rejoignant la cohorte des partis sociaux démocrates « en danger ». Idem pour l’ADR (7,4%), qui plus est, ce parti n’a pas réussi à capter l’électorat du « non » au Traité constitutionnel européen qui s’était exprimé au référendum 2005 en dépit d’un agenda clairement souverainiste et d’une campagne active sur ce thème. En revanche, le Parti Démocrate et Déi Gréng progressent respectivement de 3,8 et de 1,8% – bien au-delà de leurs scores aux nationales et parfois même enregistrent des gains très forts dans des communes nouvellement loties de la périphérie de la Ville de Luxembourg ou dans le Sud qui sont pour le moins très distinctes d’avec le vote aux législatives. Cette montée en puissance est due essentiellement grâce aux votes préférentiels qui se sont portés sur Charles Goerens (qui est le préféré de tous les Luxembourgeois devant la Commissaire européenne Viviane Reding) et Claude Turmes en troisième position. Mais quelles en sont les motivations et ressorts réels au-delà de la notoriété de ces candidats ?

Il est impossible de le savoir avant de connaître les résultats des études que nous menons actuellement dans le cadre du projet Elect 2009 commandité par la Chambre des Députés et dans le cadre du projet Election European Survey auquel nous participons au niveau de l’Union européenne. C’est pour ces raisons que nous appelons à la prudence quand à l’analyse des résultats des européennes de juin 2009 au Luxembourg et dans l’Union car elles sont plus complexes et témoignent aussi de réalignements partisans déjà engagés aussi bien par rapport aux clivages fondateurs des systèmes politiques des États membres que vis-à-vis de l’Union européenne elle-même. 

Philippe Poirier est responsable du Programme gouvernance européenne à l’Université du Luxembourg et des projets Elect pour la Chambre des Députés et Polux pour le FNR, Astrid Spreitzer est doctorante en sciences politiques à l’Université du Luxembourg. Ses recherches portent sur l’européanisation des partis politiques et les élections au Luxembourg.

1 Les Danois étaient appelés aussi à voter sur une nouvelle loi pour la succession au trône et les Estoniens pouvaient voter pour la première fois par internet. 

2 Van der Brug, W., van der Eijk C. [&] Franklin M., The Economy and the Vote. Understanding Voter Preferences and Election Outcomes in EU Countries. Cambridge: Cambridge University Press, 2006. Thomassen, J., European Citizenship and Identity. Paper presented at the European Election Survey Spring Meeting on The European Parliament Election of 2004, Lisbon, 11-14 May 2006. Tiberj, V. Le jour où la France a dit non : comprendre le référendum du 21 mai 2005. Paris, Fondation Jean Jaurès / Plon, 2005. Crum,  B., Party Stances in the Referendums on the EU Constitution Causes and Consequences of Competition and Collusion. Amsterdam, Vrije Universiteit 2007. Dumont, P., Fehlen, F., Kies, R. [&] Poirier, Ph, Étude sur le référendum sur le Traité établissant une Constitution pour l‘Europe, Luxembourg : Service Central des Imprimés de l’État, 2006. Philippe Poirier [&] Pascal Delwit, Parlement puissant, électeurs absents ? Les élections européennes de juin 2004. Bruxelles : Editions de l’Université libre de Bruxelles, avril 2004.

3 De 1979 à 2009, la mouvance néo-conservatrice s’est organisée en plusieurs fractions parlementaires distinctes, avec pour membres principaux les conservateurs britanniques, le Fianna Fail irlandais et les néo-gaullistes français : Groupe des Démocrates Européens et Groupe des Démocrates Européens de Progrès de 79 à 89, Groupe du Rassemblement des Démocrates Européens en 1989, puis en 1994, le Groupe Union pour l’Europe pour aboutir finalement à la fondation en 1999 du groupe de l’Union de l’Europe des Nations. En 2004, le Groupe Indépendance [&] Démocratie présidé par le danois Jan Peter Bonde a été un avatar supplémentaire de cette mouvance qui s’est alors décrite elle-même comme « souverainiste européen ». Il était composé surtout de l’UKIP et des mouvements eurosceptiques scandinaves et français. La tendance nationaliste a elle aussi été représentée au sein du Parlement européen depuis 1979. Elle est parvenue à constituer des groupes parlementaires seulement en 1984 avec le Groupe des Droites Européennes, en 1989 avec le Groupe Technique des Droites Européennes. Deux expériences ont été avortées en 1999 avec le Groupe Technique des Députés Indépendants et en 2007 avec le Groupe Identité, tradition, souveraineté toujours sous l’impulsion du Front national français. Mais de manière générale, les élus d’extrême droite et nationalistes ont siégé le plus souvent parmi les non-inscrits. 

4 Dumont, P., Fehlen, F., Kies, R. [&] Poirier, Ph, Les Elections Législatives et Européennes de 2004 au Grand-Duché de Luxembourg. Luxembourg : Service Central des Imprimés de l’État, 2006.

Astrid Spreitzer, Philippe Poirier
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