Deux analystes de banques, Damien Petit, senior economist à Banque Degroof Luxembourg et Carlo Friob, responsable de l’offre wealth management à BGL BNP Paribas, livrent leur analyse des marchés financiers

2012, année frugale

d'Lëtzebuerger Land vom 09.12.2011

d’Lëtzebuerger Land : Quels vont être les défis en 2012 sur les marchés financiers ?

Damien Petit : Le principal défi sera de poursuivre le processus de désendettement, dans un contexte de croissance extrêmement faible, en particulier pour la zone euro. Les indicateurs précurseurs au niveau de la zone euro, notamment les indicateurs PMI (enquêtes réalisées auprès des entreprises) plaident d’ores déjà pour une contraction de l’activité au quatrième trimestre. Les composantes les plus avancées de ces enquêtes, notamment les nouvelles commandes, ne laissent pas augurer une stabilisation rapide de l’économie. Au mieux, la croissance ne devrait ressortir que très légèrement positive au sein de la zone euro pour l’ensemble de l’année 2012.

Le second problème se situe au niveau du plan de sauvetage européen, en forçant les banques à relever leurs capitaux ; le fameux ratio Tier1 devra atteindre neuf pour cent à la fin de l’année 2012. C’est en soi une nouvelle positive que les banques se renforcent. Toutefois, vu le coût très élevé du capital dans le secteur, il est probable que les banques optent prioritairement pour une réduction de leurs actifs risqués −plutôt que de faire appel aux marchés − et donc leur offre de crédit en aggravant du coup l’affaiblissement de l’activité. Le coût du capital au niveau du secteur financier est très élevé et il est peu probable que les banques optent pour des levées massives de capitaux au niveau des marchés.

Le troisième problème est l’incertitude de la force de frappe réelle du Fonds européen de stabilité financière qui est insuffisant aux yeux des marchés. L’absence de réponse forte au niveau des autorités européennes ne permet pas actuellement de stabiliser les marchés financiers et on assiste, malheureusement, à un très net resserrement des conditions financières. Les spread de crédit au niveau bancaire en Europe ont par exemple atteint des niveaux record.

À très court terme, la solution qui apparaît la plus judicieuse est une intervention encore plus marquée de la Banque centrale européenne. C’est le seul acteur à disposer d’une force de frappe suffisante qui permettrait de calmer les tensions observées au niveau du marché de la dette souveraine et d’annuler en quelque sorte le risque de liquidités. La restauration de la solvabilité restera cependant l’apange des États. Ces derniers ne pourront éviter la poursuite d’ajustements budgétaires qui pèseront malheureusement sur la croissance.

Carlo Friob : Selon nous, deux éléments seront déterminants en 2012 : le dénouement de la crise de la dette en Europe, et l’évolution de l’économie en Chine. Si aucun consensus n’est trouvé dans la zone euro, l’Europe n’échappera pas à une récession qui pourrait même être profonde et qui pourrait se propager au reste du monde. Par contre, si des décisions efficaces seront rapidement prises par les pouvoirs politiques et monétaires, nous pourrions assister à un revirement radical de la confiance.

Aussi cruciaux pour la croissance mondiale seront les événements en Chine. Une chute brutale des prix de l’immobilier aurait un impact sévère sur la croissance chinoise, sur le prix des matières premières, et in fine sur la croissance mondiale. À contrario, un ralentissement graduel de la croissance de l’économie chinoise piloté par les autorités dans le but de maîtriser les risques d’inflation, garderait la Chine en 2012 dans le peloton de tête des pays au monde avec la plus forte croissance économique.

Ou se fera la croissance ?

Carlo Friob : La croissance se fera dans les pays émergents qui contribueront aux trois quarts de la croissance du PIB mondial. La Chine à elle seule contribuera pour presque un tiers de cette croissance.

Quelles sont les zones géographiques à privilégier ?

Carlo Friob : Nous privilégions l’Asie émergente car elle offre de bons fondamentaux, surtout en termes de perspective de croissance supérieure de cinq à six pour cent par rapport aux régions développées, de quatre pour cent par rapport à l’Amérique Latine et de deux par rapport à l’Afrique. En Asie, nous privilégions les marchés dont la demande domestique reste solide : la Chine et l’Indonésie.

Y a-t-il quand même des bonnes nouvelles ?

Damien Petit : Trois points positifs restent à relever au niveau économique. En premier lieu, on constate qu’au niveau des économies développées comme aux États-Unis et en Europe, la portion la plus cyclique des économies, exprimée en pourcentage du PIB, se situe à des niveaux toujours très déprimés. C’est par exemple le cas de investissement résidentiel américain. Cette faible portion de l’activité cyclique devrait de ce fait limiter le potentiel de baisse de ces économies, ce qui est plutôt rassurant.

En second lieu, l’économie américaine continue à surprendre positivement à l’heure actuelle. Les derniers chiffres notamment au niveau de la consommation étaient plutôt bien orientés. Si la croissance négative des revenus des ménages reste négative en terme réel, un point d’inflexion est envisageable pour deux raisons. D’une part, la croissance des prix ralentit, confirmant ainsi le scénario de désinflation attendu. D’autre part, la poursuite de l’amélioration du marché du travail est également visible ces derniers mois.

Le plus grand risque à court terme pour l’économie américaine est le resserrement possible de la politique fiscale dès 2012 potentiellement plus important que ce qui avait été prévu. Le pouvoir politique n’a pas été en mesure de se mettre d’accord sur plan bi-partisan au niveau budgétaire. Le risque de voir des mesures fiscales favorables aux ménages américains expirant fin 2011 − notamment l’abaissement de la fiscalité sur le travail et l’allongement des allocations de chômage de crise, deux mesures représentant plus de un pour cent du PIB – non reconduites en 2012 est dès lors important.

Le troisième point plutôt positif pour l’économie mondiale est que l’inflation observée au niveau des pays émergents a très probablement atteint un sommet. Les autorités monétaires disposeront de plus en plus de marge de manœuvre pour assouplir leur politique. Un pays comme le Brésil a d’ailleurs coupé à trois reprises dans ses taux de référence et la Chine vient d’annoncer une réduction de 0,5 pour cent du taux de réserve obligatoire. L’objectif de cette mesure est de favoriser le desserrement du marché du crédit vers les petites et moyennes entreprises.

La Chine offre-t-elle encore des perspectives pour les investisseurs ? Faut-il privilégier le Brésil par rapport à la Chine ?

Damien Petit : La Chine doit rééquilibrer son économie. L’investissement y atteint presque 50 pour cent du PIB, c’est énorme, alors que la part de la consommation ne s’affiche qu’à 33 pour cent seulement. Il va donc falloir pour les autorités réduire ce poids des investissements au profit de la consommation au cours des prochaines années. Le poids économique de l’investissement résidentiel est extrêmement important, et donc la croissance très forte de l’investissement s’est couplée ces dernières années avec une croissance aussi forte du crédit, ce qui fragilise le secteur bancaire chinois. Quand on compare l’économie chinoise avec l’économie brésilienne, on voit que cette dernière est beaucoup mieux équilibrée avec une part de la consommation atteignant 60 pour cent du PIB.

Carlo Friob : Nous avons une préférence pour la Chine. Les autorités chinoises semblent réussir le pari de ralentir en douceur la croissance économique sans causer d’effets brutaux. L’inflation qui a atteint un sommet en juillet semble maîtrisée, et la tendance est clairement à la baisse, comme le démontre le dernier chiffre de 5,5 pour cent. Les prix de l’immobilier reculent doucement, et les autorités ont tout intérêt à ce que l’ampleur de cette baisse soit bien contrôlée, compte tenu de l’importance de l’immobilier pour l’économie et la confiance des consommateurs. La politique monétaire chinoise peut maintenant entrer dans une nouvelle phase et des mesures d’assouplissement viennent d’être adoptées (baisse du ratio de réserve).

L’autre pari qui semble réussir est le passage d’une économie fortement axée sur les exportations, vers une économie tirée par la consommation interne. Bien sûr, un tel mouvement s’inscrit sur le long terme, mais devrait assurer le maintien d’un fort taux de croissance même dans un environnement de ralentissement de l’économie mondiale.

Les craintes de bulle immobilière et de fragilité des banques chinoises ont déprimé le sentiment des investisseurs et ont amené les valorisations des actions à des niveaux attrayants. Le Brésil par contre est pénalisé par la force de sa devise, le real, et n’est pas à l’abri d’un recul des prix des matières premières. Pour 2012, nous attendons une croissance du PIB brésilien de 3,3 p.c. contre une croissance de 8 p.c. du PIB chinois.

Faut-il préférer les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) aux pays dits CIVETS (Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie, Afrique du Sud) ?

Carlo Friob : Le seul point commun des pays regroupés dans des acronymes « marketing » de type BRIC ou CIVETS est le fort potentiel de croissance. Cependant, ces pays se trouvent à différents stades de maturité économique et toute recommandation nécessite une analyse individuelle au cas par cas. Nous avons une préférence pour la Chine et en moindre mesure pour la Russie. Nous recommandons une certaine prudence sur le Brésil et la Turquie.

Les risques liés aux investissements dans les pays CIVETS sont très élevés. Risques politiques, faible transparence des marchés financiers, économies en forte croissance mais turbulentes, difficultés à défendre les intérêts des actionnaires minoritaires, etc. Un portefeuille bien structuré pourrait au plus présenter une exposition de un à trois pour cent sur ces pays. Nous conseillons de se positionner sur l’Asie via des fonds spécialisés sur la région.

L’Europe de l’Est résistera-t-elle à la tempête ?

Damien Petit : Les prêts hypothécaires libellés en francs suisses posent des problèmes importants, en particulier pour la Hongrie où ils représentent plus de quinze pour cent du PIB. La dette de la Hongrie vient d’ailleurs, et à juste titre, d’être reléguée par l’agence Moody’s au statut de junk bonds. Le pays, dont l’économie est très ouverte, est très sensible à l’évolution de la conjoncture internationale et des économies de la zone euro. Le secteur bancaire hongrois reste fragile, en raison notamment des crédits octroyés dans les devises étrangères. On y observe également une dégradation importante des finances publiques, l’exposition de la dette au risque de change étant élevée, plus ou moins 45 pour cent de la dette étant libellé en devise étrangère. On observe d’ailleurs des sorties massives de capitaux du pays, ce qui a contraint la Banque centrale hongroise à relever ses taux afin de les endiguer quelque peu.

Plusieurs pays de l’Europe de l’Est et en particulier la Hongrie disposent de fondamentaux faibles et qui se dégradent rapidement. L’Europe de l’Est ne représente toutefois que moins de 20 pour cent de l’ensemble des pays émergents.

Carlo Friob : Bon nombre de ces prêts en francs suisses ou en euro sont défaillants. La conséquence sera un durcissement des conditions de prêts dans ces pays avec un impact sur la consommation des ménages. Aussi du côté des exportations, la situation sera difficile. La zone euro est le plus important partenaire commercial de l’Europe de l’Est et absorbe plus de 50 pour cent des exportations totales. La probable contraction du PIB de la zone euro en 2012 affectera donc les exportations de l’Europe de l’Est. Dans ces conditions, on ne peut qu’attendre un fort ralentissement de la croissance économique de cette région. Une aide pourrait venir de la dépréciation des devises, mais ce n’est pas un facteur qui encourage à investir dans la dette de ces pays.

Quelles sont vos positions sur le franc suisse ?

Damien Petit : Beaucoup de devises défensives restent très chères, en particulier le franc suisse. Sur base de parité de pouvoir d’achat, un ancrage à long terme, on peut estimer que le franc suisse est surévalué d’un peu plus de quinze pour cent par rapport à l’euro. Nous restons donc très prudents dans l’état actuel des choses.

Carlo Friob : Le franc suisse reste toujours surévalué. Le rendement de la dette souveraine n’est pas intéressant, avec l’échéance deux ans ayant même un rendement négatif. Par contre, on peut trouver du papier intéressant de sociétés type Nestlé, Roche, etc., qui émettent aussi en devises autres que le CHF.

Que conseillez-vous aux inconditionnels des obligations d’État ?

Damien Petit : Nous sommes prudents au niveau des obligations étatiques des pays core, notamment l’Allemagne. Nous estimons que les rendements actuels ne sont pas suffisamment attractifs. Le rendement d’une obligation à dix ans allemande tourne autour de 2,3 pour cent, ce qui reste inférieur à l’inflation constatée au niveau de la zone euro. Il ne s’agit donc pas d’un investissement des plus judicieux. Nous aurions donc tendance à attendre que les rendements des pays core comme l’Allemagne, la Hollande et même la France progressent un petit peu avant de revenir sur ces pays.

Par contre, accumuler de manière prudente un peu de dette belge ne nous paraît pas être dénué de sens. Les fondamentaux de l’économie belge sont relativement solides. Le pays a généré un surplus de balance courante de manière structurelle ces dernières années et le déficit reste relativement limité, la dette au niveau du secteur privé est faible et l’épargne privée de la part des ménages se révèle très abondante. Il est clair que le stock de dette publique est important et que les garanties octroyées au secteur financier en Belgique sont significatives, mais il nous semble que compte tenu de la hausse très importantes des spread que l’on a connu ces dernières semaines, il y a un peu de valeur qui se dégage au niveau de la dette belge.

Carlo Friob : La dette souveraine européenne est, ou trop chère (et donc rendements trop faibles et négatifs en termes réels), ou trop risquée (pour les pays périphériques). Nous recommandons par contre la dette des entreprises, surtout celles au bilan solide, et orientées à l’exportation.

Faut-il rester à l’écart des actions ? Les valorisations vous paraissent-elles attrayantes ? Y a-t-il des secteurs à éviter et d’autres à surpondérer ?

Damien Petit : Dans une perspective de long terme, nous pensons toujours que les actions restaient la classe d’actifs qui présente le plus d’intérêt. Le risque est que les attentes croissances bénéficiaires, au-delà de dix pour cent de part et d’autre de l’Atlantique en 2012, semblent totalement déconnectées des perspectives de croissance, qui devraient rester très faibles en 2012 au niveau mondial. Nous avons tentance à nous appuyer sur des hypothèses relativement conservatrices, en tablant sur des bénéfices 25 pour cent en deçà du consensus. Nous appliquons ensuite une croissance de bénéfice de l’ordre de quatre pour cent en terme nominal pendant dix ans et après dix ans, nous supposons que le ratio entre le cours et le bénéfice retourne à onze pour cent en Europe et treize aux États-Unis de même qu’au niveau des pays émergents. On peut ainsi calculer, compte tenu du niveau des indices, un rendement attendu de ces marchés. Et selon ces hypothèses relativement conservatrices, les attentes de rendements tournent autour de sept et huit pour cent en Europe et au niveau des pays émergents qui sont les eux zones nous paraissant les plus attractives en termes de valorisation. Mais il est clair qu’il faut s’attendre encore à de la volatilité au niveau des marchés en action, c’est indéniable.

Nous sommes toujours souspondérés dans le secteur financier, très clairement au niveau de la zone euro et nous surpondérons les secteurs plutôt défensifs, à savoir notamment la pharmacie et les secteur des télécommunications et de l’IT. Nous sommes également surpondérés dans le secteur énergétique, mais via des pétrolières intégrées qui sont des acteurs relativement défensifs. Les valeurs à fondamentaux solides offrant des dividendes élevés est une thématique que nous jouons dans nos portefeuilles.

Carlo Friob : L’analyse du couple risque-rendement incite au maintien de la prudence sur les actions. Les attentes bénéficiaires continueront à subir des révisions baissières alors que les valorisations ne sont pas suffisamment attrayantes pour procurer un soutien suffisant. Nous avons une préférence fondamentale pour les marchés émergents. Au sein des marchés matures, nous donnons la priorité aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et au Japon. Nos secteurs préférés sont la santé, l’énergie et la technologie.

La volatilité n’offre-t-elle pas des perspectives pour les investisseurs même de long terme ? Les « contrats futures sur l’indice de volatilité implicite » et les « swaps de variance » seraient devenus des classes d’actifs à part entière offrant un accès à la volatilité aux investisseurs. Comment cela fonctionne-t-il ?

Carlo Friob : Des nouveaux outils qui permettent de prendre position sur la volatilité des marchés s’offrent aujourd’hui aux investisseurs. Idéalement, ces instruments devraient permettre de couvrir un portefeuille d’investissements en période de stress. Concrètement, sur deux mois, en juillet août dernier, l’indice sur actions européennes Euro Stoxx 50 a baissé de 19 pour cent. Sur la même période le VIX, l’indice de volatilité implicite sur le S&P500, a progressé de 91 p.c. Théoriquement, une personne ayant couvert dix pour cent de son portefeuille en actions européennes via une exposition à la volatilité, aurait limité les pertes à huit pour cent.

La réalité est beaucoup plus nuancée. Il ne faut pas oublier que malgré leur récente facilité d’accès, ces instruments à l’origine ne se traitaient que dans les salles de marché, et qu’ils restent extrêmement complexes. Leur exposition à la volatilité implicite n’est jamais directe, et donc leur performance dépend de toute une série de facteurs, entre autres, la forme de la courbe de volatilité. Reprenons l’indice VIX. Du 1er janvier 2011 au 29 novembre 2011, il a grimpé de 72,62 p.c. Le même indice avec roulement journalier des positions sur les contrats futures a progressé de 22,23 p.c. Un instrument supposé offrir aux investisseurs deux fois la performance du VIX (donc 145 p.c.) a eu une perte de 14,6 p.c. Soulignons au passage que ce même type de problème se rencontre sur la grande partie des trackers, qui promettent de répliquer la performance d’une matière première.

Autre aspect important : Par sa propre nature, la volatilité n’a pas vocation à une perpétuelle croissance, mais aura toujours une forte tendance à revenir vers le niveau de sa moyenne. Les investisseurs doivent donc bien choisir le moment précis de l’entrée sur de telles positions, et le moment précis de la sortie. Il s’agit donc d’un instrument de trading qui ne convient qu’aux investisseurs sophistiqués et que nous ne recommandons pas aux clients privés.

Les interviews ont été réalisées séparément. Celle de Damien Petit a été menée par téléphone. Carlo Friob, pour une question d’agenda, a répondu à nos questions par courriel.
Véronique Poujol
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