Cinéma

Thomas et sa montagne

d'Lëtzebuerger Land du 30.03.2018

Thomas (Anthony Bajon), visiblement abîmé par la dépendance et les bagarres, fixe inlassablement Marco (Alex Brendemühl), le responsable, qui l’emmène en voiture dans son centre de désintoxication situé au pied des Alpes. Les grandes montagnes enneigées sont apaisantes, mais symbolisent aussi les défis qui attendent le jeune homme de 22 ans. Le foyer, fondé par la sœur Myriam, qui jouera un rôle beaucoup plus tard dans l’intrigue, fonctionne selon la devise des monastères: ora et labora, prie et travaille ! Ici, les jeunes junkies sont sevrés à la dure. Pas de méthadone, ni d’autre soutien médical, seulement un « ange-gardien », un des autres pensionnaires assigné à les soutenir pendant leur séjour. Pendant que Thomas est secoué par des crampes, des vomissements et des frustrations, la vie archaïque autour de lui suit tranquillement son cours, ce qui dédramatise de manière étrangement efficace tout le processus. Mais les bons mots, les citations bibliques et la générosité inébranlable de Marco et de son « ange » Pierre (Damien Chapelle) sont finalement assez durs à supporter. Thomas hésite à tourner le dos à ce qui se présente comme sa dernière chance…

Pour La Prière, Cédric Kahn, dont on se souvient entre autres pour son portrait hypnotisant du tueur Roberto Succo (2001), met sa mise en scène au rythme de la désintoxication spirituelle de son héros sans pour autant créer des grands vides ou des longueurs au niveau de la narration. On comprend que la foi, même partiellement assumée, du personnage, lui sert de béquille, de support devenant rapidement indispensable en vue de son manque d’expérience de vie. Même si le protagoniste porte le nom de l’apôtre incrédule, il n’est pas jugé sur son manque de foi, mais sur son manque d’honnêteté face à lui-même, notamment lors d’une séquence très prenante qui l’oppose à sœur Myriam, jouée par la mythique Hanna Schygulla. Le film ne cherche pas à nous convaincre d’un modèle de soumission, ni à véhiculer une image ambiguë, même s’il frôle littéralement le miracle dans une séquence en haute montagne, qui fera sans doute parler le plus ceux qui lui reprochent trop d’indulgence à l’égard de la foi. Le personnage se crée tout seul face au calme stoïque qui l’entoure et c’est le bon mélange entre auto-détermination et discipline qui sera finalement décisive dans le destin de Thomas, interprété par un Anthony Bajon (Les ogres, 2015) bouleversant, récompensé à la Berlinale pour son rôle. Quelque part entre adolescent têtu, jeune délinquant imprévisible et jeune adulte errant, il arrive à définir subtilement son personnage tout en lui préservant la part d’anonymat et le caractère exemplaire que Cédric Kahn a voulu lui donner.

Dans une mise en scène aussi spartiate et subtile qu’efficace, La Prière ne prétend être rien de plus que l’histoire d’une quête de soi bien avant d’être un film sur la religion ou même sur la toxicomanie. Le monde intérieur du protagoniste est captivant et palpable à tout moment. Fränk Grotz

Fränk Grotz
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