Back, Jean: Amateur

Das Haus mit den sieben Stockwerken

d'Lëtzebuerger Land vom 10.12.2009

Avec Amateur, petite nouvelle d’une certaine originalité, Jean Back publie son troisième livre aux éditions Ultimomondo, après le roman Wolle­kestol en 2003 et le recueil d’histoires courtes Mon amour Schwein en 2008 (d’Land du 15 février 2008).

Amateur raconte en fait deux histoires. La première est, selon l’auteur, une version retravaillée d’un devoir à la maison que le professeur d’allemand du Lycée de garçons d’Esch-sur-Alzette donna à ses élèves de seconde en 1971. Jean Back en fait ici une fiction à part entière, rédigée, dans le livre, par un jeune protagoniste. La deuxième est la rencontre entre ce protagoniste (lycéen de seconde donc) et une jeune fille d’origine allemande nommée Rosa. Leur histoire d’amour dure du printemps 1971 jusqu’au début de l’année suivante.

Mais les deux histoires s’imbriquent étroitement. Le protagoniste, appelé « Amateur » par Rosa, à cause des ses aspirations artistiques (il s’essaie à la photographie et à l’écriture), est en train de composer, sur ordre du professeur d’allemand, une histoire courte : il s’agit du récit loufoque d’un représentant de commerce (une figure littéraire par excellence), Erwin, qui essaie, le jour de Noël, de vendre un dernier sapin en plastique aux habitants d’un immeuble de sept étages, quelque part dans la périphérie d’une ville aux propriétés météorologiques quasi magiques appelée Mariona-sur-Morgen (« Mariona am Fluss Mor­gen »). Après la visite d’un des nombreux bordels de la petite ville, et après avoir tué, presque par hasard, au bord du fleuve Morgen, une gitane naine, Erwin frappe aux portes des différents étages de cet édifice qu’il décrit comme une boîte laide. Les habitants de cet immeuble sont d’une grande excentricité : un tavernier luxembourgeois, un vétéran de guerre, un couple qui compose des variations des traditionnelles chansons de Noël, un politicien visionnaire qui préfère porter son équipement de plongeur à la maison et qui n’a cessé, toute sa vie, d’essayer de moderniser la ville de Mariona, au grand détriment de ses habitants, une famille de gitans nains, une poule (!). À chaque étage, le récit vire un peu plus dans le surréel, dans le cauchemar.

Rosa interrompt régulièrement le récit d’Amateur pour le critiquer, le corriger, pour lui suggérer des changements. Elle a un humour sarcastique, ironique et lui reproche son sentimentalisme et son absence de réalisme. Sur son idée, Amateur change son histoire et le représentant Erwin vend, en plus de son sapin, des photos érotiques de sa copine Rosa. Les limites des deux récits commencent donc à se brouiller.

Mais ce n’est pas tout : le jeune couple se perd souvent dans des discussions politiques : les événements de mai 68, les luttes de la classe ouvrière, les manifestations lycéennes d’Esch en 1971, le rôle de la femme, de l’Église, etc. Les changements politiques et sociaux de cette époque forment le cadre de ce double récit et permettent une autre mise en abyme : celle de la ville fantasmagorique de Mariona et de Luxembourg. Ce qui est ici mis en scène, c’est la sempiternelle lutte des valeurs : la tradition contre l’innovation. Le refus de tout changement contre le dynamisme.

Amateur est le plus accompli des livres de Jean Back. Certes les situations délirantes de la narration prêtent parfois à confusion, et certes l’écriture ne semble parfois pas assez développée pour exprimer ce délire (d’où la confusion), mais l’histoire tient la route. Et même si nous retrouvons cette éternelle nostalgie du sud luxembourgeois (un sujet qui hante bon nombre de nos écrivains), la complexité fictionnelle du livre s’avère comme une tentative de dépasser le caractère folklorique de la plupart des productions littéraires luxem­bourgeoises. Avis aux amateurs !

Ian de Toffoli
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